Le suffixe -erie sert à former des noms féminins à partir de bases nominales (ânerie, laiterie), de bases adjectivales (brusquerie, mièvrerie), ou encore de bases verbales (fâcherie, rôtisserie). Les noms ainsi formés désignent le plus souvent des actions, comme gaminerie ou pitrerie, ou des lieux, comme parfumerie, brasserie, fruiterie, etc.
Quelques-uns de ces mots étonnent par la surprenante évolution de leurs sens. Nous l’allons voir avec certains d’entre eux.
Le substantif fumisterie est un nom tout à fait sérieux quand il apparaît dans notre langue, en 1845, pour désigner l’activité du fumiste. Ce nom, qui se lit pour la première fois dans la Correspondance de Voltaire, désigne alors un artisan spécialisé dans la construction des cheminées, qui veille à ce que la fumée ne s’échappe pas dans la pièce où se trouve ladite cheminée. Dans son Tableau de Paris (1781), Louis-Sébastien Mercier rend un vibrant hommage à cette corporation : « Il a fallu faire venir à Paris des fumistes d’Italie, et l’on tire vanité dans quelques maisons d’une cheminée qui ne fume pas. Les fumistes forment une espèce de corps ; mais je voudrois qu’en punition de leur ignorance, nos architectes et nos maçons fussent condamnés à donner tous les ans un grand repas aux poëliers et aux fumistes, et qu’ils fussent obligés de les servir jusqu’à ce qu’ils eussent appris à faire une cheminée qui ne fume point. »
Sans doute est-ce pour les aider dans cet apprentissage que Philippe Ardenni fait paraître en 1828 un Manuel du poêlier-fumiste, avec comme sous-titre Traité complet et simplifié de cet art, indiquant le moyen d’empêcher les cheminées de fumer, l’art de chauffer économiquement et ventiler les habitations, les manufactures, les ateliers, etc. Il place en épigraphe cette citation de Benjamin Franklin (on rappellera que ce dernier, surtout connu comme étant un des pères fondateurs des États-Unis et l’inventeur du paratonnerre, est aussi l’inventeur du premier poêle à bois à combustion contrôlée), citation qui montre bien la nécessité de son livre : « Si l’on eût proposé un prix pour être chauffé le plus mal possible en dépensant le plus, l’inventeur des cheminées eût certainement mérité la couronne. » Ardenni se présente comme poêlier-fumiste et aussi comme caminologiste. Ce nom, qui désigne un spécialiste de l’étude scientifique des cheminées, a d’abord qualifié le chimiste Clavelin, auteur d’un ouvrage intitulé Sur les principes de la statique de l’air et du feu appliqués à la construction des cheminées. C’était pour le fumiste une glorieuse entrée dans la carrière et celle-ci s’annonçait d’autant plus prometteuse qu’Ardenni donnait bientôt au public une édition revue et augmentée de son ouvrage, édition pour laquelle il s’était assuré la collaboration de Julia de Fontenelle, illustre professeur de chimie à l’École de médecine de Paris (peut-être est-ce d’ailleurs la présence de cet universitaire de renom qui explique que dans le sous-titre de cette nouvelle édition, l’adjectif simplifié ait disparu, et que ce sous-titre soit devenu Traité complet de cet art, indiquant le moyen d’empêcher les cheminés de fumer, l’art de chauffer économiquement et ventiler les habitations, les manufactures, les ateliers etc.).
Las, quelques années plus tard cette belle réputation était ruinée. La faute en revenait à Félix-Auguste Duvert, Augustin-Théodore de Lauzanne de Vaux-Roussel et François-Antoine Varner, tous les trois auteurs d’un vaudeville intitulé La Famille du fumiste, dans lequel un personnage de fumiste allait répétant après chacune de ces plaisanteries : C’est une farce de fumiste. La pièce est jouée pour la première fois en février 1840, et dès 1852 les frères Goncourt emploient le terme de fumisterie pour désigner ce que l’on ne peut prendre au sérieux. C’est à partir de 1885 que le précieux artisan qu’était le fumiste voit sa réputation, déjà bien entamée, se ternir définitivement puisque son nom désigne désormais un individu, le plus souvent hâbleur et paresseux, sur lequel on ne peut compter.