Fier comme un pou, laid comme un pou
Le rapprochement de ces deux expressions étonne. Comment le même animal peut-il être à la fois un symbole de fierté ou d’orgueil, et de laideur ? La réponse est simple, il ne s’agit pas du même animal. Le pou était jadis appelé pouil, comme en témoignent les formes pouilleux, pouillerie, pouilles – ou pouiller, remplacé aujourd’hui par épouiller. Mais un pouil, c’était aussi le mâle de la poule, le coq, et cette homonymie explique la confusion entre ces deux animaux si dissemblables ; c’était donc notre gallinacé et non le parasite aptère qui était évoqué dans l’expression fier comme un pou (parfois développée en fier comme un pou sur l’épaule d’un prêtre). Coq ou pou, cette expression connut une telle fortune qu’on en créa d’autres de ce type, comme fier comme un paon. Mais bientôt on oublia que le pou était en vérité un coq et l’on crut qu’il avait été choisi par antiphrase, comme dans cette autre expression il est glorieux comme un pet.
Malgré cela, le pou allait quand même, en raison de sa nature, réelle ou supposée, être fort utilisé par la langue populaire. Son aspect, jugé repoussant, et les maux qu’il causait ont amené à créer les tours laid (ou moche) comme un pou. Comme avec cette expression notre bestiole devenait ce qui se faisait de mieux en matière de laideur, le syntagme comme un pou prit une valeur superlative et fut appliqué à d’autres adjectifs ; apparurent alors jaloux comme un pou, vexé comme un pou (on notera que, dans ces deux tours, pou aurait pu être remplacé par coq), méchant comme un pou, même si dans ce dernier cas la teigne allait se révéler une redoutable concurrente (méchant comme une teigne se répandant largement, et on lit même laids comme des teignes chez Balzac dans Illusions perdues).
Son empressement à se nourrir de ses victimes fit que cet animal devint vite un symbole d’avidité. En 1694, le Dictionnaire de l’Académie française nous apprenait ceci : « On dit populairement d’un homme gueux & fort avide de gain, qui entre dans quelque employ lucratif, que C’est un pou affamé. » Ce qui n’était alors qu’une métaphore amusante sera confirmé soixante-dix ans plus tard par l’entomologiste genevois Charles Bonnet, qui écrit dans ses Contemplations de la nature (1764) : « Quand un pou affamé a fait pénétrer sa trompe dans un vaisseau sanguin, le sang passe avec tant de rapidité et tant d’abondance dans le tube intestinal, que l’observateur qui le contemple au microscope en est presque effrayé. »
L’histoire de notre animal va se compliquer parce que, rapidement, pou (ou pouil) en est venu à désigner n’importe quel type de parasite, pou, puce, teigne ou vermine. Ainsi, pour gloser les expressions avoir une garnison dans ses chausses ou avoir un régiment dans son pourpoint, Antoine Oudin écrit : « avoir quantité de poüils ».
D’autre part, si ce n’est qu’au xixe siècle, à une époque où il était fort courant de porter la barbe, qu’est attestée l’expression barbe à poux, la chose, assurément, est plus ancienne. En témoigne le Livret des folastries, de Ronsard ; ce dernier y écrit, à l’intention de ceux qui pensent que le port de la barbe donne un air de sage :
« La grand’ barbe n’engendre pas / Les sciences plus excellentes / Mais des morpions et des lentes. »
Ronsard parle avec beaucoup de désinvolture de ce morpion (c’est-à-dire le pou, appelé ici « pion », qui mord) que, dans son Grand Dictionnaire universel, Pierre Larousse appelle « l’insecte honteux pour ceux qui se respectent et dont on évite de prononcer le nom vulgaire en bonne compagnie ».
Parce que le pou fut considéré comme l’incarnation de toute espèce de vermine, et sa présence comme un signe de saleté ou d’extrême pauvreté, il devint ensuite, par un phénomène de renversement lié à la volonté de quelque puissance supérieure, l’arme destinée à châtier l’orgueil des grands et à les punir dans leur chair à leurs jours derniers. Plusieurs hauts personnages ont particulièrement marqué les esprits en expiant par les poux leur inconduite passée. Sylla, pour les proscriptions, Hérode, pour le massacre des Innocents. La mort de ce dernier impressionna tant que l’on nomma jadis en anglais Herodian disease ce que le Dictionnaire royal françois-anglois (et anglois-françois) traduit par « la Maladie pédiculaire ou maladie d’Hérode, qui consiste à être mangé des poux, comme Hérode ».
Le médecin suisse Johann Scheuzer évoque, en 1732, dans sa Physique sacrée ou Histoire naturelle de la Bible, le sort qui fut réservé à cet orgueilleux tyran :
« Le superbe d’Hérode fut mangé de vermine, non pas mort […], mais vivant […]. Dans le convoi funèbre de ce Roi, les Poux furent le premier rang & les Vers le dernier. »
On trouve des échos de ce texte dans la fin du poème de Verlaine intitulé La Mort de Philippe II, où tout ce que les poux ont de repoussant semble se concentrer :
« Dans sa barbe couleur d’amarante ternie,
Parmi ses cheveux blancs où luisent des tons roux,
Sous son linge bordé de dentelle jaunie,
Avides, empressés, fourmillants, et jaloux
De pomper tout le sang malsain du mourant fauve
En bataillons serrés vont et viennent les poux. […]
Et puis plus rien ; et puis, sortant par mille trous,
Ainsi que des serpents frileux de leur repaire,
Sur le corps froid les vers se mêlèrent aux poux.
– Philippe Deux était à la droite du Père. »