Dans le numéro du 12 janvier 1908 des Annales littéraires et politiques figurait un texte écrit et illustré par le dessinateur d’origine russe Caran d’Ache, qui s’intitulait « Féminisons ! » On y lisait ceci :
« Au nom des vingt millions de femmes, l’Académie est invitée à bien vouloir féminiser la langue française pour faciliter l’affranchissement de la plus belle moitié de la nation, et afin d’empêcher le masculin de se dresser partout devant la femme pour le seul profit de l’homme “monopoleur” (cet adjectif se lisait encore dans les sept premières éditions de notre Dictionnaire). »
L’auteur considérait qu’il fallait féminiser même les noms de métier épicènes puisqu’il s’interrogeait sur les féminins de fonctionnaire, astronome, apothicaire, membre, architecte. Pour ceux-ci, il proposait souvent une forme en -esse, comme apothicairesse (à côté de pharmacienne). Et, au sujet de l’astronome, de demander : « Et comment direz-vous si l’astronome est, avec ça, membre de l’Institut ? Membresse ? » (rappelons que la première femme à l’être fut Suzanne Bastid, élue en 1971 à l’Académie des sciences morales et politiques). Ce suffixe en -esse, que la langue avait utilisé pour des formes comme abbesse, comtesse, duchesse, chasseresse, était également proposé pour doctoresse (en concurrence avec la médecin), nom qui fut longtemps employé avant de sortir peu à peu de l’usage. S’agissant des fonctionnaires, il proposait chefesse de bureau. Pour ceux qui font profession d’écrire, il s’interrogeait : écrivaine ? journalistine ? Et la femme auteur ? Il suggérait alors, comme cela se fait encore aujourd’hui, d’ajouter un simple e à la forme du masculin ; on obtenait donc, à côté de l’écrivaine vue plus haut, une témoine, une tamboure, une électeure. Et une consule – terme qui, de fait, n’était pas entièrement nouveau ; on lisait en effet, en 1732, dans les Lettres historiques et galantes de deux dames de condition, d’Anne-Marguerite du Noyer : « Cette qualité de Madame la Consule l’avait rendue si orgueilleuse qu’elle se croyait la première Moutardière (autre néologisme) du Pape. » Caran d’Ache propose encore avocate (on rappellera que la première femme à prêter serment fut Olga Petit, en 1900, et la première à plaider, Jeanne Chauvin en 1901). C’est dans la huitième édition de notre Dictionnaire (1935) qu’on trouvera cette forme avec ce sens : « Il s’emploie aussi au féminin, Avocate. On compte maintenant d’assez nombreuses avocates au Palais. » S’agissant du mot coiffeur, notre auteur notait que l’on pouvait user de « coiffeuse », même si c’était déjà le nom d’un meuble, et précisait que « barbier » n’existait pas au féminin, les femmes n’exerçant pas ce métier. Il s’intéressait ensuite aux femmes « commis », qu’il appelle « commises » ; là encore, ce terme de « commise » existait dans la langue avec un autre sens, ainsi défini dans la septième édition de notre Dictionnaire : « confiscation d’un fief au profit du seigneur, faute de devoirs rendus par le vassal ». Il signalait ensuite le problème que posait le nom « souffleur » : « Nous avons le souffleur, mais serait-il séant de parler de la souffleuse ? » Ce dernier nom échappe en effet à la bienséance, sans doute à cause de la « souffleuse de poireau », que, dans son Dictionnaire de la langue verte, Hector France, un auteur de textes à caractère érotique, présentait pudiquement comme une « prostituée qui exerce une certaine spécialité ». Signalons enfin que Caran d’Ache considère qu’il est des termes qu’il préfère laisser au masculin, quelle que soit la personne à qui ils s’adressent et donne cet exemple parlant : « Va donc, hé, chameau ! »