Ce nom, issu de l’ancien bas francique *faldistôl, « siège pliant », s’est rencontré au xiie siècle sous les formes faldestoed et faudestuel puis faudestueil au xiiie siècle, et enfin fauteuil trois siècles plus tard. Fauteuil désigna très tôt un siège d’apparat, qui était aussi une marque de pouvoir. Le Dictionnaire national de la langue française, de Bescherelle, nous apprend d’ailleurs que « certaines familles conservent religieusement les fauteuils qui ont porté leurs ancêtres » et, plus largement, que « la société entière voue un culte non moins fervent à ceux qui ont appartenu à des hommes célèbres ».
Mais ce nom sert plus particulièrement à nommer les sièges qu’occupent les membres de l’Académie française quand ils tiennent séance. Tous sont parfaitement semblables, mais il n’en fut pas toujours ainsi. Longtemps les académiciens se contentèrent de chaises. C’est à Louis XIV que la Compagnie doit ses fauteuils : quand, en 1713, le poète, philologue et critique littéraire Bernard de la Monnoye fut reçu à l’Académie française, le cardinal César d’Estrées, qui avait œuvré pour cette élection, demanda, en arguant de son grand âge (il avait quatre-vingt-cinq ans), de ses infirmités, et sans doute aussi de son rang, à assister à cette réception assis dans un fauteuil. On accéda à sa requête et le fauteuil est ainsi devenu l’un des symboles de l’Académie française. On dit depuis briguer un fauteuil, obtenir un fauteuil, pour « vouloir siéger à l’Académie, y être élu ». L’académicien Antoine-Vincent Arnault, qui eut une vie académique mouvementée, élu en 1803, destitué en 1816, réélu en 1829 et Secrétaire perpétuel en 1833, écrivit que « les honneurs du fauteuil sont l’objet de l’ambition secrète de tout homme de lettres et de tout savant ». Comme tout ce qui touche à l’Académie française, ce fauteuil fut l’objet de piques, le plus souvent d’ailleurs de la part d’académiciens eux-mêmes : à une dame de province qui lui demandait ce qu’était ce fauteuil académique, dont elle avait entendu si souvent parler, Fontenelle répondit : « Madame, c’est un lit de repos où le bel esprit sommeille. » Quant à Alexis Piron, dont l’élection fut invalidée parce qu’il avait écrit dans sa jeunesse une Ode à Priape jugée scandaleuse, il fit paraître, à l’occasion de la réception de Jean-Baptiste Gresset, cette épigramme : « En France on fait, par un plaisant moyen, / Taire un auteur quand d’écrits il assomme ; / Dans un fauteuil d’académicien, / Lui quarantième on fait asseoir mon homme : / Lors il s’endort et ne fait plus qu’un somme ; / Plus n’en avez phrase ni madrigal ; / Au bel esprit le fauteuil est en somme / Ce qu’à l’amour est le lit conjugal. » Ce même Piron évoqua encore la Compagnie quand il composa son épitaphe : « Ci-gît Piron / Qui ne fut rien / Pas même académicien. »
Mais, si décrié ou brocardé soit-il, le fauteuil importe car il est aussi un autre symbole, celui de l’égalité qui règne entre tous les académiciens. En effet, si Louis XIV accéda à la demande de César d’Estrées, il ne voulut pas que ce dernier semblât avoir un rang supérieur à ses confrères : il ordonna donc à l’intendant du garde-meuble de faire porter quarante fauteuils à l’Académie. Il est d’ailleurs à noter que cette égalité entre membres, ainsi que l’indépendance par rapport au pouvoir en place, était inscrite dans les statuts de l’Académie tels que les avait voulus Richelieu. Elle fut de nouveau mentionnée dans la préface de la cinquième édition du Dictionnaire, en 1798 : « Par un statut, ou par un usage, l’Académie Françoise étoit composée d’Hommes-de-Lettres, et de ce qu’on appeloit grands Seigneurs. Ses Membres, égaux comme Académiciens, se regardèrent bientôt égaux comme hommes ; les futiles illustrations de la naissance, de la faveur, des décorations, s’évanouirent dans cette égalité académique ; l’illustration réelle du talent sortit avec plus d’éclat et de solennité. Cette espèce de démocratie littéraire étoit donc déjà, en petit, un exemple de la grande démocratie politique. » Sans doute y eut-il, comme pour confirmer la règle, quelques exceptions : Armand de Coislin, apparenté à Richelieu par son père et au chancelier Séguier par sa mère, dut certainement son élection, à seize ans, plus à ses aïeux qu’à ses talents propres, et peut-être en alla-t-il de même pour ses deux fils, qui lui succédèrent au 25e fauteuil. Ces fauteuils, aujourd’hui remplacés par des chaises pour les séances de travail, ne sont plus que le symbole des lignées d’académiciens qui vinrent un jour siéger en remplacement d’un confrère disparu, mais ils créent, à l’aide de ces hasards objectifs qu’aimaient tant les surréalistes, fût-ce par-delà de longs espaces de temps, des liens entre les académiciens. Ainsi, le 7e et le 38e fauteuil ont chacun vu siéger un prix Nobel de littérature et un prix Nobel de médecine, Henri Bergson et Jules Hoffmann pour le premier, Anatole France et François Jacob pour le second. Quant au 13e, il peut disputer au 14e l’honneur d’avoir vu siéger deux des plus grands poètes et dramaturges français, puisque c’est sur l’un que furent élus Jean Racine et Paul Claudel, quand l’autre fut celui de Pierre Corneille et de Victor Hugo. Et rappelons, pour conclure, que, lors des cérémonies sous la Coupole, les académiciens n’ont pas de siège attitré ; on peut dire, en quelque sorte, que le placement y est libre.