L’œuvre de Rabelais est toujours d’actualité. Il n’est pour s’en convaincre que de lire ces quelques lignes de la Pantagrueline Progostication : « Lors reignera une maladie bien horible et redoutable, maligne, perverse et espouvantable, et malplaisante, laquelle rendra le monde bien estonné et dont plusieurs ne sauront de quel bois faire flèche, […] Je tremble de peur quand j’y pense, car je dy qu’elle sera epidimiale. »
Mais, plutôt qu’à l’épidémie, sujet aujourd’hui assez rebattu, c’est à l’expression faire flèche de tout bois que nous allons nous intéresser. Au Moyen Âge, les flèches, comme les arcs, étaient souvent en if mais pouvaient aussi être en noisetier ou en cormier. Ce dernier était d’ailleurs cultivé pour la dureté de son bois, dont on faisait des manches de pioche ou de cognée. On ne s’étonnera donc pas que, chez Rabelais encore, frère Jean des Entommeures ait mis à mal les soldats qui saccageaient la vigne du couvent en s’aidant du « baston de la Croix, qui estoyt de cueur de cormier ». Cependant, nécessité faisant loi, il arrivait parfois qu’il faille recourir à d’autres essences pour fabriquer des traits, d’où l’expression faire flèche de tout bois (on rencontrait également, dans le même sens, faire feu de tout bois), employée pour signifier que tout moyen était bon pour parvenir à ses fins. Mais, un proverbe en contredisant souvent un autre, on nous apprenait également que Tout bois n’est pas bon à faire flèche, pour montrer qu’il faut savoir choisir à bon escient les moyens qu’on veut employer.
Mais le bois était surtout autrefois employé comme combustible ainsi que certaines expressions en attestent. On lisait ainsi, à l’article Bois de la première édition du Dictionnaire de l’Académie française : « On dit d’Un homme, qu’On verra de quel bois il se chauffe, pour dire, qu’On verra ce qu’il vaut ou ce qu’il sçait faire. » Que, dans cette expression, le sujet du verbe chauffer passe de la troisième à la première personne et celle-ci prendra un sens beaucoup plus menaçant. Il ne s’agit plus de souligner les qualités d’une personne, mais de lancer un avertissement à celui dont on avait lieu de se plaindre et qui s’exposait à essuyer une vengeance terrible.
Ce bois de chauffage, avant d’être vendu par stère, l’était à la corde, la quantité de bois étant mesurée à l’aide d’une corde. Cette unité variait suivant les régions. À Paris, elle valait 3,8 stères ; elle en vaut un peu moins de trois aujourd’hui. L’article 5 de la loi du 18 germinal an III (7 avril 1795) visait à mettre fin à ces disparités avec la création du stère, mais les unités de mesure, on le sait, ont la peau dure et la corde est toujours en usage, comme le stère d’ailleurs qu’un décret de décembre 1975 souhaitait supprimer au profit du mètre cube. Le Moyen Âge, peu avare de jeux de mots cruels, employait l’expression mesurer du bois de corde pour dire « être pendu ». Concluons sur une note un peu plus douce avec le bois présenté comme la matière dans laquelle sont façonnés les grands hommes. L’Académie nous informait que « Quand on veut dire qu’un homme est de qualité à estre, par exemple, Evesque, Mareschal de France, &c. Duc & Pair, qu’Il est du bois dont on les fait.. », ce que Littré glosait par « Avoir le mérite, les qualités qu’exigent ces différentes fonctions ». Dans ce même registre, on constate que si la musique adoucit les mœurs, c’est peut-être parce que les instruments amènent à conciliation. Un proverbe du Moyen Âge disait qu’un homme « est du bois dont on fait les vielles », parce que, par analogie avec les accords de cet instrument, on pouvait s’accorder facilement avec lui et qu’il répondait favorablement à toutes les demandes. La vielle est passée, mais la flûte est restée et l’on dit, nous apprend Littré, Il est du bois dont on fait des flûtes, par allusion probablement à la légèreté des bois employés pour faire des flûtes…