On lit dans Les Paysans, de Balzac : « Les deux rivales font assaut d’insultes et de perfidies » et dans Apollon le couteau à la main, de Marcel Détienne : « […] l’aveugle chante le récit de la querelle d’Ulysse et d’Achille, quand […] ils avaient fait assaut d’insultes effroyables ». Et l’on entend souvent, à propos de personnes qui rivalisent de bons mots qu’elles font assaut de saillies. La proximité de ces mots assaut, insulte et saillie dans ces expressions est redoublée par une proximité étymologique. Assaut, qui s’est d’abord rencontré dans la Chanson de Roland sous la forme asalt, se lisait aussi, au début de la Renaissance, dans l’expression figurée amoureulx assaulx, « ébats amoureux », et au xviie siècle dans faire assaut de, « rivaliser, lutter à qui sera le meilleur dans tel ou tel domaine ». Ce nom est issu du latin populaire *assaltus, réfection de assultus, « assaut attaque », lui-même dérivé de saltus, « saut ».
Quant au nom insulte, apparu au masculin, insult, c’est un déverbal d’insulter, qui a d’abord signifié « prendre d’assaut ; monter à l’assaut ». On lit d’ailleurs encore dans L’Esprit des lois, de Montesquieu : « L’empire de la mer a toujours donné aux peuples qui l’ont possédé une fierté naturelle parce que se sentant capables d’insulter partout, ils croient que leur pouvoir n’a pas plus de bornes que l’Océan. » Et on lit également dans l’Abrégé chronologique de l’histoire de France, de Mézeray : « Le comte de Nassau entra en Picardie avec une armée de trente mille hommes et emporta d’insulte la ville de Guise. »
Les mots de la même famille saillie et saillir appartenaient autrefois à ce même champ sémantique, mais pour indiquer une sortie. Jean Lemaire de Belges écrit dans ses Illustrations de Gaule et singularités de Troie : « Les Troyens firent une saillie hors de Troie. » Ce verbe s’enrichit d’un nouveau sens au xixe siècle puisque Bescherelle nous apprend que saillir « se dit de l’action de quelques animaux lorsqu’ils couvrent les femelles ». Dès lors ce verbe saillir a l’étrange particularité de changer de conjugaison en fonction de sa signification ; en effet si un angle ou un balcon saille, un étalon saillit. Mais ce n’est que chez Littré qu’apparaît le déverbal saillie pour désigner l’accouplement des animaux (auparavant on employait saut, et on lit chez Bescherelle : « Ne permettez pas que les étalons donnent trop de sauts aux juments »). Mais dès le xvie siècle, ce nom désignait aussi un trait d’esprit plein de vivacité.
Aujourd’hui saillir est devenu un terme technique appartenant à la langue de l’élevage, tandis que c’est « sauter » qui, dans une langue triviale, signifie « posséder sexuellement ».
Toutes ces formes remontent au latin salire, « sauter, bondir » et, dans la langue des éleveurs, « saillir une femelle ». De salire a été tiré le fréquentatif saltare, d’abord « sauter fréquemment » et enfin « danser ». Le nom qui en est tiré, saltator, ne signifie donc pas « sauteur » mais « danseur ». On rappellera que ceux qui pratiquaient cette activité étaient stigmatisés à Rome, puisqu’elle était considérée comme indigne d’un homme libre et que cette accusation faillit, en 63 avant Jésus-Christ, coûter son élection au consulat à Muréna : « Saltatorem appellat L. Murenam Cato » (« Danseur ! Voilà comment Caton traite Muréna »), écrit Cicéron dans son Pro Murena. Le sens sexuel que peut avoir le verbe salire passa vite des animaux aux hommes, et on en a dérivé l’adjectif salax, « lascif, lubrique, salace », puis « aphrodisiaque ». Dans L’Art d’aimer, Ovide désigne par la locution herba salax la roquette, nom issu, par les intermédiaires italiens rochetta et ruchetta, diminutifs de ruca, du latin eruca, « roquette », que sa réputation de plante aphrodisiaque faisait aussi appeler uruca, par croisement avec urare, « brûler de désir, de passion amoureuse ».