« Lorsque l’enfant paraît, le cercle de famille / Applaudit à grands cris », nous dit Victor Hugo, mais le temps de la naissance est précédé de celui de la grossesse. La langue s’est plu à nommer ce dernier en créant des expressions allant du plus trivial au plus poétique. On a dit en Vendée, et ce tour s’est largement répandu, être en promesse de famille. On entend, dans d’autres régions, être en attente de famille ; en Belgique on emploie avoir des espérances, expression qui avait un tout autre sens dans les romans des xixe et xxe siècles, puisqu’elle signifiait « attendre un héritage ». En Normandie, on dit d’une femme enceinte qu’elle a acheté un héritier. Le ventre arrondi est souvent comparé à un ballon, d’où des tours comme attraper le ballon, avoir du ballon ou le ballon, ou même, au Québec, avoir sa butte, être en balloune. Sur le modèle de tomber malade s’emploie fréquemment l’expression tomber enceinte, mais nos amis québécois disent tomber en famille et parlent de la grossesse comme d’une belle maladie. La langue populaire aime aussi à lier cette grossesse à l’ingestion de quelque aliment et emploie des expressions comme elle a avalé un pépin, un rude pépin, elle a gobé une pomme, voire, plus familièrement, elle a sucé son crayon, elle a une côtelette dans le buffet ou un petit salé sous le tablier. Puisque nous évoquons la nourriture, rappelons que nous avons emprunté à l’anglais to have a bun in the oven pour en faire « avoir un pain dans le four ». On évoque aussi parfois la grossesse comme un état que l’on souhaiterait, pour un temps au moins, dissimuler : la langue en rend compte avec des formes comme avoir un polichinelle (ou un mouflet) dans le tiroir (ou sous le tablier) et avoir un moussaillon dans la cale. Comme nous parlons de grossesse, on se gardera d’oublier la locution verbale être grosse, à laquelle une langue soutenue ajoute « des œuvres de » pour désigner le père. Si on trouve dans notre Dictionnaire : « Elle était alors grosse de son premier enfant », on y lit aussi que « figurément, gros de se dit de ce qui porte en puissance d’autres choses à venir ». Nous en avons un bel exemple dans ces vers de La Mort de Philippe II, de Verlaine :
« La figure du Roi, qu’étire la souffrance,
À l’approche du fray [c’est-à-dire de la communion] se rassérène un peu
Tant la religion est grosse d’espérance ! »
Une langue triviale remplace ordinairement être grosse par être en cloque ou, moins souvent, par gondoler de la devanture et, pour évoquer l’origine de la grossesse, se faire engrosser ou encloquer quand elle ne dit pas être tombée sur un clou rouillé. La natalité ayant souvent été encouragée par les gouvernements, des expressions comme travailler pour Marianne ou, plus fréquemment, travailler pour la France ne surprennent pas. Dans ces derniers cas, le sujet de l’expression est plus souvent le nom du père de l’enfant à naître que celui de la mère. Et, puisque l’on réunit travail et grossesse, on rappellera pour conclure que le nom prolétaire est emprunté du latin proletarius, qui désignait à Rome un citoyen de la dernière classe, dont on estimait qu’il n’était utile à la nation que par les nombreux enfants (proles) qu’il lui donnerait.