Les adjectifs numéraux ordinaux occupent une place à part dans notre langue car jusqu’à dix, ils existent tous sous une double, voire une triple forme : la plus courante, en -ième (à l’exception notable de premier), formée à partir des numéraux cardinaux, est utilisée pour les classements et, à partir de cinq, pour les fractions. Une autre forme, plus ancienne, est issue du latin et on la rencontre essentiellement dans les langues de l’escrime, de la musique et de la liturgie. C’est ainsi que le français distingue premier de prime, son synonyme plus littéraire qui se rencontre, comme adjectif, dans les locutions « prime enfance » ou « prime abord », mais qui existe aussi comme nom pour désigner la première position de la main en escrime et la première des heures canoniales. Unième, sans existence autonome, ne se rencontre qu’en composition : vingt et unième, cent unième, etc.
Deuxième et second ont fait couler beaucoup d’encre. Longtemps, second a été la forme la plus courante, et certains grammairiens souhaitaient réserver l’usage de deuxième aux cas où la série comprenait plus de deux éléments. Mais Littré contestait déjà cette distinction qui ne s’est jamais imposée dans l’usage, même chez les meilleurs auteurs. L’unique différence d’emploi effective entre deuxième et second est que second appartient aujourd’hui à la langue soignée, et que seul deuxième entre dans la formation des ordinaux complexes (vingt-deuxième, trente-deuxième, etc.). Notons aussi qu’en mathématiques, lorsqu’on parle de fractions, ces deux termes sont supplantés par demi.
À côté de troisième, on trouve tierce, pour l’escrime, la musique, les heures canoniales et certains jeux de cartes, mais aussi tiers, employé comme nom en mathématiques et comme adjectif dans des locutions comme tiers-monde, tiers-état. On observe le même phénomène avec quatrième, concurrencé par quarte, en escrime, en musique, pour les heures canoniales et les jeux de cartes où il désigne une suite (pour quatre cartes identiques, c’est « carré » qu’on emploie), et par quart, en mathématiques mais aussi en médecine où il est adjectif dans la fameuse fièvre quarte, « qui revient tous les quatre jours ».
Quinte, sixte et octave se rencontrent eux aussi en musique, en escrime et dans la liturgie. Ces ordinaux, c’est un héritage du latin, étaient également utilisés pour indiquer le rang de tel ou tel dans une dynastie, et pouvaient aussi devenir prénoms. Nous en avons des exemples avec Charles Quint, Septime Sévère et Octave (rappelons au passage que Pompée, « Pompeius » en latin, signifie proprement « né le cinquième », ce mot étant tiré de l’osque pompe, « cinq »). Dans cette série se rencontre une forme plus rare, sixte, qui eut la particularité d’être suivie d’un autre ordinal pour former le nom du pape qui régna de 1585 à 1590, Sixte Quint.
La répartition des emplois entre les diverses formes que peuvent prendre les ordinaux perd sa belle ordonnance à partir de sept : en effet, si l’on parle de septime en escrime, c’est septième que l’on emploie en musique, tandis que c’est la seule forme octave que l’on retrouve dans ces deux domaines. None est une heure canoniale, mais, au pluriel, on emploie aussi ce mot pour désigner le jour qui, dans le calendrier romain, était le neuvième avant les ides. Enfin, à côté de dixième, on trouve décime, qui désignait, sous l’Ancien Régime, la dixième partie du franc et un impôt royal équivalant à la dixième partie des revenus du clergé. Puisque l’on parle du clergé, on n’oubliera pas que la dîme, nom issu du latin decima (pars), « dixième (partie) », désignait, en droit féodal, un prélèvement, en principe d’un dixième, mais en réalité de taux variable, opéré sur les récoltes au profit de l’Église et des pauvres.
Au-delà du nombre dix, par un procédé d’analogie, toutes les formes dans tous les cas, sont en -ième. On ne note qu’une exception notable et durable, que l’on doit à un décret de la Convention, en date du 24 août 1793, énonçant que « le décime sera divisé en dix parties ; chacune de ces parties portera le nom de centime ».