Le nom chandeleur mérite particulièrement notre attention. D’abord parce que, après avoir figuré dans les sept premières éditions de notre Dictionnaire, il fut étonnamment banni de la huitième avant de reprendre sa place dans la neuvième édition. De plus, alors que les étymologies sont une nouveauté de la présente édition, l’origine de ce nom était déjà donnée dans celle de 1694. On y lisait en effet : « La feste de la Purification de la Vierge, ainsi nommée à cause que ce jour-là il se fait une procession où tout le monde porte des cierges. » La neuvième édition ajoute quelques précisions à cette étymologie : « du latin populaire candelorum, par ellipse de festa dans l’expression festa candelorum, fête des chandelles ». Point n’est besoin d’être grand clerc ni d’être particulièrement versé dans les études latines pour reconnaître dans ce candelorum un génitif pluriel. Et c’est ce génitif qui fait de ce mot une curiosité linguistique.
En effet, les noms français sont issus le plus souvent de l’accusatif latin ou, plus précisément, du cas régime de l’ancien français. Voici pourquoi : en passant du latin classique à l’ancien français, le nombre des cas grammaticaux s’est réduit de six à deux, d’une part le cas sujet, qui regroupait le nominatif et le vocatif, d’autre part le cas régime, qui cumulait les fonctions imparties en latin à l’accusatif, au génitif, au datif et à l’ablatif. Ce cas régime était donc naturellement le plus fréquent et c’est de lui que viennent l’immense majorité des noms. Il en est cependant quelques-uns qui sont issus du cas sujet, le plus souvent en concurrence avec un autre tiré du cas régime. Ce sont en général des noms qui étaient mis en apostrophe : on disait ainsi Sire, voulez-vous… ? mais Il parle au seigneur. Sur ce modèle étaient bâtis les couples maire/majeur, pâtre/pasteur, geindre/junior, nonne/nonnain, pute/putain ou encore copain/compagnon.
Une poignée de termes de notre langue viennent, eux, d’ablatifs latins mais, même s’ils ont été parfaitement intégrés à notre langue, on peut considérer qu’il s’agit encore de mots latins. Ce sont par exemple folio, illico, recto, verso, sans oublier la liste primo, secundo, tertio, quarto, quinto, sexto, septimo, octavo, ni les pluriels quibus et rébus (malgré son accent). Omnibus est, lui aussi, rare puisque c’est un datif.
Notons, pour conclure, que si chandeleur semble bien être le seul nom français issu d’un génitif latin, il n’est pas le seul mot dans ce cas : le pronom personnel leur est issu du pluriel latin illorum, génitif du pronom adjectif de 3e personne ille. Cela ne doit point nous étonner, les pronoms sont en effet les cœlacanthes de la morphosyntaxe, des fossiles vivants, puisqu’ils sont les seuls mots de notre langue qui changent de forme quand ils changent de fonction, c’est-à-dire les seuls qui, aujourd’hui encore, se déclinent.