L’expression dislocation à gauche ne relève ni du vocabulaire de l’orthopédie ni, contrairement à ce que l’on pourrait croire, de celui des sciences politiques. Elle ne désigne en effet pas un éclatement des forces de gauche, mais une figure de rhétorique dont les tout jeunes enfants usent aussi inconsciemment et aussi volontiers que monsieur Jourdain usait de la prose. Il est loisible aux adultes d’en faire également usage pour donner de l’emphase à leur propos. Il s’agit en effet d’un procédé d’insistance parfaitement licite et non, comme le croyait Jean Ménudier, d’une caractéristique de l’allemand. Il présentait en effet, dans ses Différences du genie de la langue française & de l’allemande, le tour Le Roy, il est à Paris comme un germanisme à proscrire, auquel on devait obligatoirement substituer le tour Le Roy est à Paris. Or Le Roy, il est à Paris pourrait être le parangon de ce qu’est la dislocation à gauche, avec les plus enfantins Mon papa, il est gendarme ou La maîtresse, elle est gentille. Il s’agit en effet de casser la phrase canonique (Le Roy est à Paris ; mon papa est gendarme ; la maîtresse est gentille) en isolant, généralement avec une virgule, le sujet en tête de phrase et en le reprenant ensuite par un pronom. Cela étant, signalons que, par un effet de glissement, la dislocation peut se situer à droite, toujours pour créer un effet d’insistance et pour mettre en valeur le sujet, rejeté cette fois en fin de proposition avec des formes comme Il est à Paris, le Roy ; il est gendarme, mon papa ou elle est gentille, la maîtresse. Ce procédé ne sert pas qu’à mettre en valeur le sujet d’une proposition. Il peut en effet s’appliquer à un complément d’objet direct ; ainsi Je connais Jean-Luc depuis très longtemps pourra devenir, si l’on disloque à gauche, Jean-Luc, je le connais depuis très longtemps, et à droite Je le connais depuis très longtemps, Jean-Luc. On peut l’appliquer aussi à un complément d’objet indirect : Il parle beaucoup à ses amis deviendra, à gauche, ses amis, il leur parle beaucoup (ou à ses amis, il parle beaucoup) et, à droite, avec cette fois une reprise de la préposition à, Il leur parle beaucoup, à ses amis.
Même si ce tour, comme on vient de le voir, est correct dans notre langue et si la majesté de son nom peut impressionner, il conviendrait que les hommes politiques, à gauche comme à droite, n’en fassent pas un usage systématique qui le réduirait à un tic de langage…