Dire, ne pas dire

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De sorte à ce que

Le 1 juin 2017

Emplois fautifs

Les locutions conjonctives de sorte que et en sorte que, que l’Académie française, de la première à la cinquième édition de son Dictionnaire, appelait « des façons de parler adverbiales », sont l’une et l’autre correctes. À leur sujet, Féraud écrivait dans son Dictionnaire critique de la langue française, paru en 1787, que la première régissait l’indicatif et la seconde le subjonctif. Un peu moins d’un siècle plus tard, Littré montrait que tout n’était pas aussi simple et que le mode de la subordonnée était lié au sens de la phrase. Si ce qui suit exprime le but à atteindre, on emploie le subjonctif : Faites de sorte que / en sorte que vous arriviez avant moi. Si ce qui suit exprime le résultat à obtenir ou obtenu, ces locutions régiront l’indicatif : Il a fait de sorte que / en sorte qu’il arrivera à temps. Il a travaillé de sorte que, en sorte qu’il est le premier de sa classe.

De sorte et en sorte peuvent aussi commander un infinitif prépositionnel : Il travaille de sorte à réussir, il fait en sorte de réussir.

Mais on ne mêlera pas conjonction et préposition et l’on rappellera que la locution conjonctive de sorte à ce que, lourde et redondante, est incorrecte.

 

on dit

on ne dit pas

Asseyez-vous, de sorte que tous puissent voir le spectacle

Agissez de sorte à vous faire aimer

Asseyez-vous, de sorte à ce que tous puissent voir le spectacle

Agissez de sorte à ce qu’on vous aime

 

Il a dit comme quoi que…

Le 1 juin 2017

Emplois fautifs

Il arrive fréquemment que des fautes de français soient commises parce que les locuteurs manquent de confiance dans les mots qui sont à leur disposition. Pour pallier ce problème, ils amalgament des formes et créent ainsi d’étranges monstres linguistiques. C’est le cas de la locution comme quoi, employée pour mettre en doute la validité d’un propos rapporté, comme dans Il a dit comme quoi qu’il y aurait eu un accident. Ce type de phrase est incorrect ; il a dit que suffit pour introduire la subordonnée complétive, tandis que le conditionnel marque assez nettement que le locuteur n’accorde pas tout crédit au propos qu’il rapporte.

Notons cependant que comme quoi peut s’employer dans la langue familière avec le sens de « d’où il résulte, ce qui prouve que » : il l’a épousée, comme quoi tout finit par s’arranger.

La plus grande entreprise que j’ai eue à gérer

Le 1 juin 2017

Emplois fautifs

Quand il est construit avec l’auxiliaire avoir, le participe passé s’accorde avec le complément d’objet direct, si celui-ci est placé avant ce participe. C’est la règle bien connue qui fait que l’on écrit Il a réparé la voiture et la voiture qu’il a réparée, il a voulu des pommes et les pommes qu’il a voulues. Mais il arrive que certains verbes jouent le rôle de semi-auxiliaire. Dans ce cas, ils ont pour complément d’objet direct l’infinitif qu’ils régissent et ne commandent donc pas l’accord. C’est pourquoi il faut distinguer Il a eu les facilités qu’il a voulues, où le pronom relatif qu(e), qui reprend le nom féminin pluriel facilités, est le complément d’objet direct antéposé de voulues d’Il n’a pas eu les facilités qu’il aurait voulu obtenir, où le pronom relatif qu(e) est complément d’objet direct d’obtenir et non de voulu.

on écrit

on n’écrit pas

La plus grande entreprise que j’ai eu à gérer

La plus grande entreprise que j’ai eue à gérer

 

 

Quelque chose de spéciale

Le 1 juin 2017

Emplois fautifs

La locution pronominale indéfinie quelque chose a une valeur de neutre, bien qu’elle soit formée à partir du nom féminin chose. Le neutre, en français, prend les formes du genre non marqué, c’est-à-dire du masculin. Les adjectifs qui se rapportent à cette locution sont donc au masculin et l’on dit quelque chose de beau et non quelque chose de belle. Cette règle est le plus souvent respectée quand l’adjectif qui qualifie quelque chose a des formes phonétiquement différentes au masculin et au féminin, comme les couples bon / bonne, nouveau / nouvelle, grand / grande. Mais quand la prononciation de ces adjectifs est la même au masculin et au féminin, on constate que ceux-ci sont parfois incorrectement orthographiés. Rappelons donc que l’on écrit quelque chose de spécial et non quelque chose de spéciale.

 

on écrit

on n’écrit pas

Quelque chose d’actuel

Quelque chose d’amer

Quelque chose d’actuelle

Quelque chose d’amère

 

 

Dirigeance pour Direction

Le 1 juin 2017

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Le nom dirigeance est un néologisme qui ressortit à la sociologie du travail. Il désigne ce qui touche à la direction d’une organisation, en particulier d’une entreprise. Il appartient donc au vocabulaire des sciences humaines, et s’il est parfaitement correct dans ce cadre, on ne doit pas en faire un synonyme vague et ampoulé de direction.

 

on dit

on ne dit pas

Assurer la direction d’une entreprise

Se voir confier la direction des opérations

Assurer la dirigeance d’une entreprise

Se voir confier la dirigeance des opérations

 

Argent et récit : devise et deviser, compter et conter

Le 1 juin 2017

Expressions, Bonheurs & surprises

Les noms désignant l’argent sont liés, étymologiquement, au bétail. C’est le cas du doublet capital et cheptel, de pécule, pécuniaire et pécunieux tirés du latin pecus, « troupeau ». Ils renvoient également à l’agriculture puisque l’on parle de manière figurée de blé ou d’oseille. Mais on constate qu’ils sont aussi liés au récit, aux mots, à la langue. Ces relations n’avaient pas échappé à Maurice Druon, qui, dans sa préface à la neuvième édition du Dictionnaire de l’Académie française, citait Quintilien, « Quant à l’usage, c’est le maître le plus sûr, puisqu’on doit se servir du langage comme de la monnaie qui a cours public et avoué… », avant d’ajouter au sujet des néologismes : « Il faut attendre pour reconnaître ceux qui continuent d’avoir “cours public” […] afin d’empêcher que la mauvaise monnaie ne chasse la bonne. »

Au sein de cette famille des mots liés à l’argent et à la langue, il y a devise, une forme tirée de deviser. Ce verbe est issu du latin tardif *devisare, une forme altérée de dividere, « diviser ». En ancien français, deviser signifiait « partager », mais également « ranger, ordonner ». De ce sens on est passé à « organiser les éléments d’un récit », puis à « discourir ». Bientôt deviser n’a gardé que ce sens, celui de « partager » étant dévolu à diviser. De deviser sont tirés plusieurs noms : devise, qui s’est d’abord employé en héraldique pour désigner la division d’un écu, puis une marque distinctive. Cette marque, cet emblème fut bientôt accompagné d’une sentence. Marmontel écrivait à ce sujet que « dans la devise, on distingue le corps et l’âme, le corps c’est la figure, l’âme, ce sont les mots ». De là on passa au sens actuel de formule concise exprimant un idéal, une manière de penser, etc. Le sens actuel de « moyen de paiement exprimé dans une monnaie » nous est venu de l’allemand Devisen, précédemment emprunté à devise.

Devise a un pendant masculin, devis, qui désigne aujourd’hui la description détaillée et facturée de toutes les parties d’une tâche à effectuer, mais désignait aussi autrefois une conversation familière, un sens qui dès le xixe siècle n’était, comme l’écrit Bescherelle l’aîné dans son Dictionnaire national, « usité et gracieux que dans le genre badin ou le style marotique ».

On n’oubliera pas, bien sûr Le Devisement (la description) du monde, de Marco Polo.

On retrouve semblable balancement avec les verbes conter et compter. Le premier est issu du latin computare, « calculer, supputer », mais en ancien français conter prit aussi le sens d’« énumérer, dresser des listes », puis, en parlant d’évènements, « raconter, relater ». Le sens actuel de « faire un récit » s’imposant, on refit, à partir de conter et du latin computare, une forme compter, qui prit les sens de « calculer, faire des comptes ». De ces formes nous viennent entre autres, le comput, les calculs destinés à établir les calendriers et le titre d’une œuvre célèbre de Philippe de Thaon, mais aussi, à la charnière entre ces deux sens et ces deux formes, la comptine, ce petit texte rythmé chanté par les enfants et le compte rendu, ce rapport (encore un mot qui appartient au récit et aux mathématiques) sur ce qui a été dit ou fait.

Quant au compte et au conte, aujourd’hui dissociés, la langue les unissait encore il y a peu, qui distinguait le compte borgne, un compte qui n’est pas juste et le conte borgne, une fable invraisemblable mais dont les aïeules se plaisaient autrefois à amuser les tout-petits.

Semblable aventure est arrivée au nom billet, qui a d’abord désigné un court message écrit sur un papier de petit format, avant d’être un engagement écrit de payer une somme déterminée à une date fixée, et enfin du papier-monnaie émis par une banque d’État. Le contexte, et parfois les adjectifs qui qualifient ce billet, permet de distinguer entre l’un et l’autre et il faudrait beaucoup aimer l’argent pour confondre un gros billet et un billet doux.

Notons pour conclure qu’une forme de synthèse entre ces deux notions fut réalisée par Jean, un des Pères de l’Église aux homélies célèbres, qui fut évêque de Constantinople et que ses talents oratoires firent surnommer Chrysostome, c’est-à-dire « Bouche d’or », qui est d’ailleurs l’autre nom par lequel on le désigne en français. On rappellera à ce sujet, et ce n’est pas la moindre difficulté de notre belle langue, que dans l’expression parler d’or, d’or n’est pas un complément d’objet indirect, comme dans parler d’argent ou parler du temps qu’il fait, mais un complément de manière, comme dans parler du nez.

Édith L. (France)

Le 1 juin 2017

Courrier des internautes

Faut-il dire : « les femmes ont répondu présent » ou « les femmes ont répondu présentes » ? Merci pour votre réponse.

Édith L. (France)

L’Académie répond :

Il n’y a pas de règle. On constate que de plus en plus présent est considéré comme invariable. Mais elles ont répondu présente est correct (chacune a dit qu’elle était présente), de même qu’elles ont répondu présentes (elles n’ont pas été interrogées individuellement et leur réponse signifie qu’elles sont toutes là).

Il n’est donc pas possible de trancher une fois pour toutes. Sachez simplement que l’usage est plutôt d’écrire « Elles ont répondu présent ».

Chaque dix minutes

Le 4 mai 2017

Emplois fautifs

Chaque est un adjectif indéfini singulier. Il a une valeur distributive et ne doit s’employer qu’avec des noms singuliers, quand bien même il est sémantiquement proche de formes comme tout ou tous les : Chaque homme veut être heureux, tout homme veut être heureux, tous les hommes veulent être heureux. On ne dit donc pas chaque dix minutes, mais toutes les dix minutes.

 

on dit

on ne dit pas

Toutes les deux heures passe un train

Tous les cent mètres, il y a un guetteur

Chaque deux heures passe un train

Chaque cent mètres, il y a un guetteur

 

Dénoter d’un grand courage

Le 4 mai 2017

Emplois fautifs

Le verbe dénoter est un verbe transitif, c’est-à-dire que son complément n’est pas introduit par une préposition, contrairement au verbe témoigner de dont le sens est proche. On dit donc son geste dénote un grand courage et non son geste dénote d’un grand courage. On peut, bien sûr, rencontrer dénoter de si de n’est pas une préposition mais une autre forme de l’adjectif indéfini des, ce qui est le cas quand il est suivi d’un adjectif antéposé comme dans son devoir dénote de remarquables qualités de synthèse, ou s’il entre dans la composition d’un article partitif, comme dans des frissons qui dénotent de la fièvre.

 

on dit

on ne dit pas

Des tableaux qui dénotent un talent certain

Tout en elle dénote un heureux caractère

Des tableaux qui dénotent d’un talent certain

Tout en elle dénote d’un heureux caractère

 

Mettre dans la loop pour Tenir au courant

Le 4 mai 2017

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Les formes anglaises loop et to loop signifient « boucle » et « faire une boucle ». Elles entrent dans l’expression looping the loop, « action de boucler la boucle », à l’origine du nom looping, apparu il y a plus d’un siècle et d’abord employé pour désigner la figure en forme de boucle réalisée par des cyclistes acrobates dans des cabarets, puis celle que réalisent des aviateurs. Mais, depuis peu, on lit et on entend une étrange expression mêlant français et anglais, mettre dans la loop. Dans ce cas, loop a le sens de circuit d’information, et cette expression signifie « tenir au courant ». C’est donc cette forme que l’on choisira, ou une tournure équivalente, pour éviter cet hybride incongru.

 

on dit

on ne dit pas

Tenir ses collègues au courant

Gardez-moi informé

Mettre ses collègues dans la loop

Gardez-moi dans la loop

 

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