Les noms désignant l’argent sont liés, étymologiquement, au bétail. C’est le cas du doublet capital et cheptel, de pécule, pécuniaire et pécunieux tirés du latin pecus, « troupeau ». Ils renvoient également à l’agriculture puisque l’on parle de manière figurée de blé ou d’oseille. Mais on constate qu’ils sont aussi liés au récit, aux mots, à la langue. Ces relations n’avaient pas échappé à Maurice Druon, qui, dans sa préface à la neuvième édition du Dictionnaire de l’Académie française, citait Quintilien, « Quant à l’usage, c’est le maître le plus sûr, puisqu’on doit se servir du langage comme de la monnaie qui a cours public et avoué… », avant d’ajouter au sujet des néologismes : « Il faut attendre pour reconnaître ceux qui continuent d’avoir “cours public” […] afin d’empêcher que la mauvaise monnaie ne chasse la bonne. »
Au sein de cette famille des mots liés à l’argent et à la langue, il y a devise, une forme tirée de deviser. Ce verbe est issu du latin tardif *devisare, une forme altérée de dividere, « diviser ». En ancien français, deviser signifiait « partager », mais également « ranger, ordonner ». De ce sens on est passé à « organiser les éléments d’un récit », puis à « discourir ». Bientôt deviser n’a gardé que ce sens, celui de « partager » étant dévolu à diviser. De deviser sont tirés plusieurs noms : devise, qui s’est d’abord employé en héraldique pour désigner la division d’un écu, puis une marque distinctive. Cette marque, cet emblème fut bientôt accompagné d’une sentence. Marmontel écrivait à ce sujet que « dans la devise, on distingue le corps et l’âme, le corps c’est la figure, l’âme, ce sont les mots ». De là on passa au sens actuel de formule concise exprimant un idéal, une manière de penser, etc. Le sens actuel de « moyen de paiement exprimé dans une monnaie » nous est venu de l’allemand Devisen, précédemment emprunté à devise.
Devise a un pendant masculin, devis, qui désigne aujourd’hui la description détaillée et facturée de toutes les parties d’une tâche à effectuer, mais désignait aussi autrefois une conversation familière, un sens qui dès le xixe siècle n’était, comme l’écrit Bescherelle l’aîné dans son Dictionnaire national, « usité et gracieux que dans le genre badin ou le style marotique ».
On n’oubliera pas, bien sûr Le Devisement (la description) du monde, de Marco Polo.
On retrouve semblable balancement avec les verbes conter et compter. Le premier est issu du latin computare, « calculer, supputer », mais en ancien français conter prit aussi le sens d’« énumérer, dresser des listes », puis, en parlant d’évènements, « raconter, relater ». Le sens actuel de « faire un récit » s’imposant, on refit, à partir de conter et du latin computare, une forme compter, qui prit les sens de « calculer, faire des comptes ». De ces formes nous viennent entre autres, le comput, les calculs destinés à établir les calendriers et le titre d’une œuvre célèbre de Philippe de Thaon, mais aussi, à la charnière entre ces deux sens et ces deux formes, la comptine, ce petit texte rythmé chanté par les enfants et le compte rendu, ce rapport (encore un mot qui appartient au récit et aux mathématiques) sur ce qui a été dit ou fait.
Quant au compte et au conte, aujourd’hui dissociés, la langue les unissait encore il y a peu, qui distinguait le compte borgne, un compte qui n’est pas juste et le conte borgne, une fable invraisemblable mais dont les aïeules se plaisaient autrefois à amuser les tout-petits.
Semblable aventure est arrivée au nom billet, qui a d’abord désigné un court message écrit sur un papier de petit format, avant d’être un engagement écrit de payer une somme déterminée à une date fixée, et enfin du papier-monnaie émis par une banque d’État. Le contexte, et parfois les adjectifs qui qualifient ce billet, permet de distinguer entre l’un et l’autre et il faudrait beaucoup aimer l’argent pour confondre un gros billet et un billet doux.
Notons pour conclure qu’une forme de synthèse entre ces deux notions fut réalisée par Jean, un des Pères de l’Église aux homélies célèbres, qui fut évêque de Constantinople et que ses talents oratoires firent surnommer Chrysostome, c’est-à-dire « Bouche d’or », qui est d’ailleurs l’autre nom par lequel on le désigne en français. On rappellera à ce sujet, et ce n’est pas la moindre difficulté de notre belle langue, que dans l’expression parler d’or, d’or n’est pas un complément d’objet indirect, comme dans parler d’argent ou parler du temps qu’il fait, mais un complément de manière, comme dans parler du nez.