Dire, ne pas dire

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Gap pour Écart, différence

Le 4 mars 2021

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Please, mind the gap between the train and the platform (« Attention à la marche en descendant du train »). À l’arrivée dans chaque nouvelle station, les usagers du métro sont bercés ou réveillés par cette ritournelle, qui enjoint aux touristes anglophones de prendre garde à l’espace qui sépare la rame dans laquelle ils se trouvent du quai sur lequel ils se préparent à poser le pied. Le nom anglais gap signifie en effet « écart, différence, intervalle, fossé ». S’il est raisonnable de veiller à la santé de ceux qui visitent notre pays, il l’est, dans d’autres circonstances, beaucoup moins d’employer ce nom en lieu et place des équivalents français notés plus haut.

on dit

on ne dit pas

Il y a une grosse différence, un fossé entre leurs deux points de vue

Le gouffre qui existe entre ses promesses et la réalité

Il y a un gap entre leurs deux points de vue


Le gap qui existe entre ses promesses et la réalité

Un État de droit mais l’état de droit

Le 4 mars 2021

Extensions de sens abusives

Le groupe nominal État de droit ou état de droit peut avoir deux significations. Le choix de l’une ou l’autre dépend du contexte, mais il est aussi marqué par la présence d’une majuscule ou d’une minuscule, ainsi que par la forme de l’article qui introduit ce groupe nominal. Si l’on parle de la situation d’une société soumise à une règle juridique qui exclut tout arbitraire, on écrit, sans majuscule, état de droit, et ce groupe est dans l’immense majorité des cas précédé d’un article défini élidé l’. Mais si on parle du pays qui connaît cette situation, on dit que c’est un État de droit. On écrira ainsi l’état de droit veut que tous les citoyens soient traités de la même manière, mais des peuples qui aspirent à vivre dans un État de droit.

on écrit

on n’écrit pas

Ces pays dictatoriaux ne sont pas des États de droit

L’état de droit assure à tous l’égalité devant la loi

Ces pays dictatoriaux ne sont pas des états de droit

L’État de droit assure à tous l’égalité devant la loi

Dislocation à gauche

Le 4 mars 2021

Expressions, Bonheurs & surprises

L’expression dislocation à gauche ne relève ni du vocabulaire de l’orthopédie ni, contrairement à ce que l’on pourrait croire, de celui des sciences politiques. Elle ne désigne en effet pas un éclatement des forces de gauche, mais une figure de rhétorique dont les tout jeunes enfants usent aussi inconsciemment et aussi volontiers que monsieur Jourdain usait de la prose. Il est loisible aux adultes d’en faire également usage pour donner de l’emphase à leur propos. Il s’agit en effet d’un procédé d’insistance parfaitement licite et non, comme le croyait Jean Ménudier, d’une caractéristique de l’allemand. Il présentait en effet, dans ses Différences du genie de la langue française & de l’allemande, le tour Le Roy, il est à Paris comme un germanisme à proscrire, auquel on devait obligatoirement substituer le tour Le Roy est à Paris. Or Le Roy, il est à Paris pourrait être le parangon de ce qu’est la dislocation à gauche, avec les plus enfantins Mon papa, il est gendarme ou La maîtresse, elle est gentille. Il s’agit en effet de casser la phrase canonique (Le Roy est à Paris ; mon papa est gendarme ; la maîtresse est gentille) en isolant, généralement avec une virgule, le sujet en tête de phrase et en le reprenant ensuite par un pronom. Cela étant, signalons que, par un effet de glissement, la dislocation peut se situer à droite, toujours pour créer un effet d’insistance et pour mettre en valeur le sujet, rejeté cette fois en fin de proposition avec des formes comme Il est à Paris, le Roy ; il est gendarme, mon papa ou elle est gentille, la maîtresse. Ce procédé ne sert pas qu’à mettre en valeur le sujet d’une proposition. Il peut en effet s’appliquer à un complément d’objet direct ; ainsi Je connais Jean-Luc depuis très longtemps pourra devenir, si l’on disloque à gauche, Jean-Luc, je le connais depuis très longtemps, et à droite Je le connais depuis très longtemps, Jean-Luc. On peut l’appliquer aussi à un complément d’objet indirect : Il parle beaucoup à ses amis deviendra, à gauche, ses amis, il leur parle beaucoup (ou à ses amis, il parle beaucoup) et, à droite, avec cette fois une reprise de la préposition à, Il leur parle beaucoup, à ses amis.

Même si ce tour, comme on vient de le voir, est correct dans notre langue et si la majesté de son nom peut impressionner, il conviendrait que les hommes politiques, à gauche comme à droite, n’en fassent pas un usage systématique qui le réduirait à un tic de langage…

Faire assaut d’insultes et de saillies

Le 4 mars 2021

Expressions, Bonheurs & surprises

On lit dans Les Paysans, de Balzac : « Les deux rivales font assaut d’insultes et de perfidies » et dans Apollon le couteau à la main, de Marcel Détienne : « […] l’aveugle chante le récit de la querelle d’Ulysse et d’Achille, quand […] ils avaient fait assaut d’insultes effroyables ». Et l’on entend souvent, à propos de personnes qui rivalisent de bons mots qu’elles font assaut de saillies. La proximité de ces mots assaut, insulte et saillie dans ces expressions est redoublée par une proximité étymologique. Assaut, qui s’est d’abord rencontré dans la Chanson de Roland sous la forme asalt, se lisait aussi, au début de la Renaissance, dans l’expression figurée amoureulx assaulx, « ébats amoureux », et au xviie siècle dans faire assaut de, « rivaliser, lutter à qui sera le meilleur dans tel ou tel domaine ». Ce nom est issu du latin populaire *assaltus, réfection de assultus, « assaut attaque », lui-même dérivé de saltus, « saut ».

Quant au nom insulte, apparu au masculin, insult, c’est un déverbal d’insulter, qui a d’abord signifié « prendre d’assaut ; monter à l’assaut ». On lit d’ailleurs encore dans L’Esprit des lois, de Montesquieu : « L’empire de la mer a toujours donné aux peuples qui l’ont possédé une fierté naturelle parce que se sentant capables d’insulter partout, ils croient que leur pouvoir n’a pas plus de bornes que l’Océan. » Et on lit également dans l’Abrégé chronologique de l’histoire de France, de Mézeray : « Le comte de Nassau entra en Picardie avec une armée de trente mille hommes et emporta d’insulte la ville de Guise. »

Les mots de la même famille saillie et saillir appartenaient autrefois à ce même champ sémantique, mais pour indiquer une sortie. Jean Lemaire de Belges écrit dans ses Illustrations de Gaule et singularités de Troie : « Les Troyens firent une saillie hors de Troie. » Ce verbe s’enrichit d’un nouveau sens au xixe siècle puisque Bescherelle nous apprend que saillir « se dit de l’action de quelques animaux lorsqu’ils couvrent les femelles ». Dès lors ce verbe saillir a l’étrange particularité de changer de conjugaison en fonction de sa signification ; en effet si un angle ou un balcon saille, un étalon saillit. Mais ce n’est que chez Littré qu’apparaît le déverbal saillie pour désigner l’accouplement des animaux (auparavant on employait saut, et on lit chez Bescherelle : « Ne permettez pas que les étalons donnent trop de sauts aux juments »). Mais dès le xvie siècle, ce nom désignait aussi un trait d’esprit plein de vivacité.

Aujourd’hui saillir est devenu un terme technique appartenant à la langue de l’élevage, tandis que c’est « sauter » qui, dans une langue triviale, signifie « posséder sexuellement ».

Toutes ces formes remontent au latin salire, « sauter, bondir » et, dans la langue des éleveurs, « saillir une femelle ». De salire a été tiré le fréquentatif saltare, d’abord « sauter fréquemment » et enfin « danser ». Le nom qui en est tiré, saltator, ne signifie donc pas « sauteur » mais « danseur ». On rappellera que ceux qui pratiquaient cette activité étaient stigmatisés à Rome, puisqu’elle était considérée comme indigne d’un homme libre et que cette accusation faillit, en 63 avant Jésus-Christ, coûter son élection au consulat à Muréna : « Saltatorem appellat L. Murenam Cato » (« Danseur ! Voilà comment Caton traite Muréna »), écrit Cicéron dans son Pro Murena. Le sens sexuel que peut avoir le verbe salire passa vite des animaux aux hommes, et on en a dérivé l’adjectif salax, « lascif, lubrique, salace », puis « aphrodisiaque ». Dans L’Art d’aimer, Ovide désigne par la locution herba salax la roquette, nom issu, par les intermédiaires italiens rochetta et ruchetta, diminutifs de ruca, du latin eruca, « roquette », que sa réputation de plante aphrodisiaque faisait aussi appeler uruca, par croisement avec urare, « brûler de désir, de passion amoureuse ».

Des joies sans égales, des chagrins sans égal

Le 4 février 2021

Emplois fautifs

Dans la locution sans égal, qui signifie « tel qu’on n’en connaît pas d’aussi grand, d’aussi fort », égal, employé comme nom, a la particularité de pouvoir être au féminin singulier ou pluriel, mais ne peut être qu’au masculin singulier. On peut donc écrire des joies sans égales ou sans égale, mais uniquement des chagrins sans égal, l’usage n’acceptant pas, essentiellement pour des raisons d’euphonie, des chagrins sans égaux.

on dit, on écrit

on ne dit pas, on n’écrit pas

Des talents sans égal

Ils sont sans égal

Des talents sans égaux

Ils sont sans égaux

 

D’accord que, suivi de l’indicatif ou du subjonctif

Le 4 février 2021

Emplois fautifs

La locution d’accord que est généralement suivie de l’indicatif. On lit ainsi dans La Jument verte, de Marcel Aymé : « Le jeune vétérinaire avait d’autres séductions plus solides ; il était laborieux, économe, rangé, bon catholique, il faisait merveille aux enterrements, et dans la ville, tout le monde était d’accord qu’il avait l’air vraiment convenable. » Dans ce cas, être d’accord que est employé au sens de « convenir que, être d’avis que » et le verbe qu’introduit cette locution est généralement au présent ou au passé : Je suis d’accord que c’est une belle réussite ; Nous sommes d’accord qu’il fallait agir autrement. Mais il peut aussi arriver, dans une langue très familière, qu’être d’accord que signifie, par ellipse d’être d’accord pour que, « admettre, accepter ». Dans ce cas, la proposition qui suit indique un évènement à venir et elle se met au subjonctif : Nous sommes d’accord qu’il vienne la semaine prochaine.

on dit

on ne dit pas

Je suis d’accord qu’il dorme à la maison

Sont-ils d’accord que nous fassions route ensemble ?

Je suis d’accord qu’il dort à la maison

Sont-ils d’accord que nous faisons route ensemble ?

Péren au lieu de Pérenne

Le 4 février 2021

Emplois fautifs

Il existe de nombreux adjectifs français terminés par -en au masculin et par -enne au féminin. Dans ces cas, le digramme -en se prononce comme -in dans fin, tandis que le groupe -enne se prononce comme -eine dans peine. On a ainsi des formes comme alsacien, alsacienne, égéen, égéenne ou moyen, moyenne. Mais on ne doit pas conclure de ce fait la proposition inverse, qui serait que les adjectifs féminins en -enne ont nécessairement un masculin en -en. Rappelons donc que, en français, il existe des adjectifs, appelés épicènes, qui ont la même forme en -e au masculin et au féminin : un garçon timide, une fille timide, une table ovale, un bureau ovale. C’est à cette catégorie qu’appartient pérenne. On dira donc une œuvre pérenne, une source pérenne mais aussi un feuillage pérenne, un engagement pérenne et non un feuillage péren, un engagement péren.

on dit, on écrit

on ne dit pas, on n’écrit pas

Un puits pérenne

La vigne est un végétal pérenne

Un puits périn, péren

La vigne est un végétal périn, péren

Confort food

Le 4 février 2021

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

La France est connue pour la précision de sa langue, pour la beauté de ses paysages, mais aussi pour la richesse de sa cuisine. Ainsi, le 14 décembre 2020, lors de la séance de clôture de l’Académie des sciences morales et politiques, a été prononcé, à l’occasion du dixième anniversaire de l’inscription par l’UNESCO du Repas gastronomique des Français sur la liste du patrimoine immatériel de l’humanité, un discours intitulé « Un trait distinctif de la géographie culturelle de la France : la passion gastronomique ». Comment dès lors ne pas s’étonner et s’attrister en voyant que commence à se répandre dans notre langue l’expression comfort food pour désigner une cuisine généralement roborative et qui provoque un sentiment de réconfort. Le français a pourtant assez d’adjectifs à sa disposition pour évoquer cette nourriture : ravigotant et revigorant, fondus par la langue populaire dans la forme ravigorant ; ou roboratif, qui signifie proprement « qui rend fort comme un chêne, un rouvre », voire réconfortant

Capacitaire au sens de Capacité, contenance

Le 4 février 2021

Extensions de sens abusives

Le mot capacitaire peut être un adjectif. Il s’emploie en histoire dans l’expression suffrage capacitaire, qui désigne le droit de vote octroyé sous la monarchie de Juillet à des citoyens ayant un certain degré d’instruction. C’est aussi un nom qui désigne le titulaire d’une capacité en droit ou, par extension, la personne qui prépare ce diplôme. Une langue technocratique cherche maintenant à ajouter à ces sens celui de « contenance ». On commence à entendre ou lire des formules comme le capacitaire n’a pas été impacté pour signaler qu’un volume disponible, une contenance n’a pas varié, n’a pas été réduite. On évitera bien sûr ce type d’emploi dans la mesure où des mots ou des locutions bien ancrés dans l’usage sont déjà à notre disposition.

Faire flèche de tout bois, De quel bois je me chauffe

Le 4 février 2021

Expressions, Bonheurs & surprises

L’œuvre de Rabelais est toujours d’actualité. Il n’est pour s’en convaincre que de lire ces quelques lignes de la Pantagrueline Progostication : « Lors reignera une maladie bien horible et redoutable, maligne, perverse et espouvantable, et malplaisante, laquelle rendra le monde bien estonné et dont plusieurs ne sauront de quel bois faire flèche, […] Je tremble de peur quand j’y pense, car je dy qu’elle sera epidimiale. »

Mais, plutôt qu’à l’épidémie, sujet aujourd’hui assez rebattu, c’est à l’expression faire flèche de tout bois que nous allons nous intéresser. Au Moyen Âge, les flèches, comme les arcs, étaient souvent en if mais pouvaient aussi être en noisetier ou en cormier. Ce dernier était d’ailleurs cultivé pour la dureté de son bois, dont on faisait des manches de pioche ou de cognée. On ne s’étonnera donc pas que, chez Rabelais encore, frère Jean des Entommeures ait mis à mal les soldats qui saccageaient la vigne du couvent en s’aidant du « baston de la Croix, qui estoyt de cueur de cormier ». Cependant, nécessité faisant loi, il arrivait parfois qu’il faille recourir à d’autres essences pour fabriquer des traits, d’où l’expression faire flèche de tout bois (on rencontrait également, dans le même sens, faire feu de tout bois), employée pour signifier que tout moyen était bon pour parvenir à ses fins. Mais, un proverbe en contredisant souvent un autre, on nous apprenait également que Tout bois n’est pas bon à faire flèche, pour montrer qu’il faut savoir choisir à bon escient les moyens qu’on veut employer.

Mais le bois était surtout autrefois employé comme combustible ainsi que certaines expressions en attestent. On lisait ainsi, à l’article Bois de la première édition du Dictionnaire de l’Académie française : « On dit d’Un homme, qu’On verra de quel bois il se chauffe, pour dire, qu’On verra ce qu’il vaut ou ce qu’il sçait faire. » Que, dans cette expression, le sujet du verbe chauffer passe de la troisième à la première personne et celle-ci prendra un sens beaucoup plus menaçant. Il ne s’agit plus de souligner les qualités d’une personne, mais de lancer un avertissement à celui dont on avait lieu de se plaindre et qui s’exposait à essuyer une vengeance terrible.

Ce bois de chauffage, avant d’être vendu par stère, l’était à la corde, la quantité de bois étant mesurée à l’aide d’une corde. Cette unité variait suivant les régions. À Paris, elle valait 3,8 stères ; elle en vaut un peu moins de trois aujourd’hui. L’article 5 de la loi du 18 germinal an III (7 avril 1795) visait à mettre fin à ces disparités avec la création du stère, mais les unités de mesure, on le sait, ont la peau dure et la corde est toujours en usage, comme le stère d’ailleurs qu’un décret de décembre 1975 souhaitait supprimer au profit du mètre cube. Le Moyen Âge, peu avare de jeux de mots cruels, employait l’expression mesurer du bois de corde pour dire « être pendu ». Concluons sur une note un peu plus douce avec le bois présenté comme la matière dans laquelle sont façonnés les grands hommes. L’Académie nous informait que « Quand on veut dire qu’un homme est de qualité à estre, par exemple, Evesque, Mareschal de France, &c. Duc & Pair, qu’Il est du bois dont on les fait.. », ce que Littré glosait par « Avoir le mérite, les qualités qu’exigent ces différentes fonctions ». Dans ce même registre, on constate que si la musique adoucit les mœurs, c’est peut-être parce que les instruments amènent à conciliation. Un proverbe du Moyen Âge disait qu’un homme « est du bois dont on fait les vielles », parce que, par analogie avec les accords de cet instrument, on pouvait s’accorder facilement avec lui et qu’il répondait favorablement à toutes les demandes. La vielle est passée, mais la flûte est restée et l’on dit, nous apprend Littré, Il est du bois dont on fait des flûtes, par allusion probablement à la légèreté des bois employés pour faire des flûtes…

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