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Aux voleurs !

Le 12 décembre 2024

Nuancier des mots

Voleur est l’hyperonyme des noms qui désignent ceux qui, frauduleusement ou violemment, essaient de s’emparer du bien d’autrui. C’est un dérivé de voler, « dérober », qui est lui-même une extension de voler, « se déplacer dans les airs », le voleur étant étymologiquement caractérisé par la rapidité avec laquelle il commet ses forfaits. Mais ce qui fait essentiellement le départ entre les différents types de voleurs, c’est que les uns agissent par la ruse et les autres par la force. Dans Justesse de la langue françoise, ou les différentes significations des mots qui passent pour synonimes (sic), paru en 1718, l’abbé Girard dresse une intéressante typologie : « Le lârron prend en cachette, il dérobe. Le fripon prend par finesse, il trompe. Le filou prend avec adresse, il escamote. Le voleur prend de toute manière, et même de force, et avec violence. Le lârron craint d’être découvert ; le fripon d’être reconu ; le filou d’être surpris ; et le voleur d’être pris. » Ces écrits furent peu ou prou repris par Littré, qui écrit : « Voleur est le terme général ; on est voleur de quelque façon que l’on vole. Le filou est un voleur qui met la main dans les poches, qui subtilise une bourse, des foulards, etc. Le fripon est un voleur qui emploie quelque ruse : un domestique qui vole son maître en lui faisant payer les objets plus cher qu'il ne les a achetés est un fripon. »

(Notons que l’Académie ne décrit pas exactement ainsi le filou dans la deuxième édition de son Dictionnaire, où l’on peut lire : « Se dit d’Un homme qui s’adonne à voler la nuit dans les ruës. ») En ce qui concerne le nom larron, il ne s’emploie plus guère aujourd’hui que par référence à l’Évangile de saint Luc (23, 39-43), qui présente les deux voleurs crucifiés avec Jésus, le mauvais larron, qui l’insulte, et le bon larron, qui se repent de ses fautes et à qui Jésus dit qu’il entrera avec lui au paradis le soir même.

Brigand et bandit sont aussi des noms génériques que l’on emploie pour parler des voleurs qui recourent à la menace ou à la violence. Ils nous viennent l’un et l’autre de l’italien, le premier de brigante, « qui va en troupe », qui est lui-même dérivé de briga, « troupe ». L’origine de ce nom fait qu’on le rencontre ordinairement au pluriel : une bande, une troupe de brigands, un repaire de brigands, etc. Bandit est, quant à lui, emprunté de bandito, « banni ; hors-la-loi », le participe passé de bandire, « proscrire ». L’Académie définissait ainsi le nom bandit dans les quatre premières éditions de son Dictionnaire : « Celui qui ayant été banni de son pays pour crime, s’est mis dans une troupe de voleurs. Ce mot n’a guère d’usage en ce sens, qu’en parlant de quelques gens de cette sorte qui se trouvent au Royaume de Naples, ou en d’autres endroits d’Italie. » Force est de constater que ce nom s’est répandu bien au-delà de sa région d’origine et qu’il est aussi des bandits de ce côté des Alpes.

Cambrioleur désigne ordinairement un voleur qui pénètre par effraction au domicile d’autrui, ce qui est conforme à son étymologie puisque ce nom est issu du provençal cambro, « chambre ». Littré le présentait d’ailleurs ainsi : « Terme d’argot. Voleur par effraction dans les chambres, dites en argot cambrioles. »

Ces chambres étaient parfois dans les étages, aussi appelait-on parfois ceux qui s’y introduisaient frauduleusement des monte-en-l’air. Ce nom composé décrit bien la manière de procéder de ces voleurs ; il en va de même avec vide-gousset et tire-laine, nom dont Littré nous dit qu’il désignait « un Filou qui volait les manteaux la nuit ».

À cette série, même s’il ne s’agit pas d’un nom composé, on peut ajouter l’atroce chauffeur, qui désignait un brigand qui torturait ses victimes en leur brûlant la plante des pieds pour leur faire dire où était leur argent.

Le verbe piller a la particularité d’avoir donné deux noms, pillard, formé à l’aide du suffixe péjoratif -ard, et pilleur. Le premier, qui est parfois utilisé comme synonyme de plagiaire, peut s’employer de manière autonome pour désigner des voleurs qui agissent par la force, comme dans ils furent attaqués par une bande de pillards, tandis que le second a besoin d’un complément et ne s’emploie que dans des locutions figées, comme dans pilleur de tombes ou pilleur d’épaves. C’est une particularité qu’il partage avec détrousseur, qu’on ne rencontre plus guère aujourd’hui que dans la locution détrousseur de cadavres, alors qu’on disait aussi jadis détrousseur de diligences, détrousseur de grand chemin. Détrousseur est devenu rare, et on lisait déjà dans la deuxième édition de notre Dictionnaire : « Il est vieux. »

Signalons aussi qu’il existe des personnes souffrant d’une tendance pathologique à commettre des vols de manière répétée, et ce, sans autre utilité que celle de répondre à un désir obsédant de voler, les cleptomanes (le plus célèbre de ces voleurs, dans la fiction à tout le moins, est un fonctionnaire retraité, Aristide Filoselle, dont Hergé fit un personnage secondaire du Secret de la Licorne). Ce nom est tiré du grec kleptein, « voler ». Dans cette famille, on trouve aussi clephte, un nom emprunté du grec moderne klephthês, « brigand, combattant irrégulier », et qui fut donné aux montagnards libres de l’Olympe, du Pinde, etc., parce qu’ils faisaient fréquemment des descentes à main armée sur les terres cultivées et dans les villes soumises à la domination des Turcs.

Le latin fur désigne un voleur agissant par ruse pour soustraire les objets qu’il convoite, contrairement au latro, auquel on doit notre larron, qui, lui, n’hésite pas à user de violence pour commettre ses larcins, un nom issu d’un dérivé de latro, latrocinium, « vol à main armée, brigandage ». Dans la famille de fur, on trouve furunculus, à l’origine de notre furoncle et qui a d’abord désigné un petit bourgeon secondaire de la vigne, qui semble voler la sève de la tige principale, puis un follicule pileux enflammé. Fur évoque l’idée du mouvement incessant du rôdeur, idée que l’on retrouve dans ses dérivés furtif, furet et fureter. Enfin, on le retrouve dans le verbe, aujourd’hui hors d’usage, affurer.

Notons pour conclure que nombre de ces termes s’emploient avec un sens affaibli pour désigner des enfants turbulents ou espiègles. Féraud le signalait déjà dans son Dictionnaire critique de la langue française quand il écrivait au sujet de fripon : « Adjectif, il a un sens moins odieux : il ne signifie que gai, éveillé, coquet et quelquefois un peu libertin. » Il en va de même avec les noms filou, brigand ou bandit, qui ont tous des emplois hypocoristiques. C’était aussi le cas avec bandoulier, un nom issu, par l’intermédiaire du catalan bandoler, « brigand », du castillan bando, « bande, troupe », aujourd’hui hors d’usage et au sujet duquel on lisait dans la deuxième édition de notre Dictionnaire : « Brigand qui vole dans les montagnes. [….] Le peuple se sert de ce mot pour dire, Un mauvais garnement. »

Métamorphoser, transformer, transmuer et transmuter, transfigurer, changer

Le 12 décembre 2024

Nuancier des mots

Les verbes métamorphoser et transformer sont synonymes et sont construits de la même façon : un préfixe, grec ou latin, à valeur prépositionnelle signifiant « au-delà, par-delà », méta- pour le premier et trans- pour le second, et un radical tiré l’un du grec morphê et l’autre du latin forma, deux noms qui signifient « forme ».

S’ils sont synonymes, ils n’ont pas exactement le même emploi : transformer, et transformation qui en est dérivé, appartiennent à la langue courante, tandis que métamorphoser et métamorphose appartiennent à une langue plus littéraire et plus savante. On le trouve dans des titres d’ouvrages, depuis Les Métamorphoses d’Ovide jusqu’à La Métamorphose de Kafka. C’est aussi ce nom qu’on emploie dans la langue de l’entomologie pour parler des changements d’état des insectes, quand ils passent de celui de larve à celui d’adulte. Si les mots métamorphoser et métamorphose ont d’abord appartenu aux langues poétique et scientifique, ils s’emploient maintenant dans la langue courante, au sens figuré, dans des cas où transformation et transformer seraient également possibles. On dira ainsi Quelle métamorphose depuis qu’il s’est mis au sport ou Cette année passée à l’étranger les ont métamorphosées. De ces verbes sont aussi tirés deux noms appartenant à des lexiques spécialisés. La géologie emploie le terme métamorphisme pour désigner le changement de composition minéralogique et de texture d’une roche qui, à l’état solide, se trouve soumise à une élévation de température ou de pression, tandis que la biologie donne le nom de transformisme à la doctrine à l’origine de l’évolutionnisme, selon laquelle les espèces vivantes dérivent les unes des autres par transformations successives. Parallèlement, transformisme désigne aussi un numéro de cabaret dans lequel un artiste se travestit ou interprète successivement divers personnages en changeant rapidement d’apparence et de voix.

Transformation et métamorphose ont un synonyme, transfiguration, d’abord employé dans la religion chrétienne pour évoquer la transformation glorieuse de Jésus-Christ sur le mont Thabor devant ses disciples Pierre, Jacques et Jean, qui leur révéla sa divinité à travers son humanité. Par extension, ce nom et le verbe transfigurer s’emploient en parlant du changement profond, radical qui vient modifier en bien le visage, l’apparence ou le caractère d’une personne.

Changer est un synonyme plus courant de tous ces verbes, mais, de cette longue liste, il est le seul à pouvoir s’employer intransitivement et l’on pourra dire le monde change, mais non le monde métamorphose ou le monde transforme.

Le préfixe trans-, que l’on a dans transformer, se retrouve aussi dans les verbes transmuer et transmuter, tirés l’un et l’autre, le premier de façon populaire, l’autre de façon savante, du latin mutare, « déplacer, changer, modifier », à l’origine de nos verbes « muter » et « muer ». Transmuer et transmuter appartiennent essentiellement au vocabulaire des alchimistes, qui s’efforçaient de changer les métaux vils en or ou en argent. Cette quête fut le sujet de nombreux ouvrages au Moyen Âge et dans les siècles qui suivirent, et Balzac en fit encore le sujet de son roman La Recherche de l’absolu.

« Acculturé » pour « Inculte »

Le 12 décembre 2024

Emplois fautifs

Les préfixes grec a- et latin in-, avec, pour ce dernier, les variantes il-, im- et ir-, indiquent la privation ou l’absence. Acéphale signifie « qui n’a pas de tête » et imberbe, « qui n’a pas de barbe ». Mais il existe aussi un préfixe latin ad-, qui indique le passage d’un lieu à un autre, d’un état à un autre, comme dans atterrir ou assouplir, et qu’il convient de ne pas confondre avec le préfixe négatif grec a-.

Dans inculte, le préfixe in- est négatif et ce mot qualifie une personne ou une terre qui ne sont pas cultivées. Ce n’est pas le cas avec acculturation et acculturé, formes dans lesquelles le préfixe a- indique un passage, une transformation. Le nom acculturation n’est donc pas synonyme d’inculture, mais désigne l’« adoption progressive par un groupe humain de la culture et des valeurs d’un autre groupe humain qui se trouve généralement, relativement à lui, en position dominante ».

« Dévisager » pour « Défigurer »

Le 12 décembre 2024

Emplois fautifs

Les verbes dévisager et défigurer sont assez proches : ils sont formés à l’aide du préfixe dé- et des noms visage et figure qui, dans certains emplois, peuvent être synonymes. Ils n’ont cependant pas le même sens. Dévisager signifie « regarder quelqu’un en plein visage avec attention, avec insistance », tandis que défigurer a pour sens « altérer les traits d’une personne, les rendre méconnaissables ». On ne dira donc pas cet accident l’a dévisagé, ou d’autres phrases de ce type, que l’on on peut entendre parfois.

Mais qui emploierait dévisager pour défigurer pourrait se rassurer en songeant que jadis ce n’était pas une faute. On lit en effet à l’article dévisager de la première édition de notre Dictionnaire : « Defigurer, gaster le visage. Ce chat est enragé, il vous devisagera. Quand elle est en furie, elle devisageroit un homme. ». Et on lit encore, dans le Dictionnaire de la langue française de Littré, en 1873 : « déchirer le visage avec les ongles ou les griffes ». Mais avec le temps, le sens de ce verbe s’est adouci. La septième édition de notre Dictionnaire signale que, dans la langue populaire, dévisager quelqu’un signifie aussi « le regarder d’une façon inconvenante ou hostile ». L’hostilité disparaît avec la huitième édition, où l’on peut lire : « Se dévisager signifie quelquefois Chercher à se reconnaître mutuellement. »

« Sur ces entrefaits » pour « Sur ces entrefaites »

Le 12 décembre 2024

Emplois fautifs

On lit, dans notre Dictionnaire, au nom Fait : « Le t, en principe, ne se prononce pas, mais l’usage s’est établi de le prononcer au singulier dans certains cas, comme dans l’expression C’est un fait. » Il n’en a pas toujours été ainsi. Féraud écrivait dans son dictionnaire, en 1787 : « Fèt : le t final s’y prononce toujours au singulier ». Plus récemment, en 1959, Pierre Fouché signalait, dans son Traité de prononciation française, qu’« on prononce au fai-t, en fai-t, de fai-t. » Ce nom fait résulte de la substantivation du participe passé masculin du verbe faire. Ces prononciations amènent parfois certains à penser que c’est aussi de cette façon que l’on a bâti le nom entrefaite, mais ce n’est pas le cas puisque celui-ci, contrairement au nom fait, est tiré d’une forme substantivée au féminin. C’est donc bien entrefaite, et, comme ce nom se rencontre ordinairement au pluriel, entrefaites, qu’il faut écrire, même si, sans doute pour les raisons de prononciation mentionnées plus haut, la forme entrefaits se lit parfois, y compris chez de grands écrivains comme Jules Verne ou Jean-Paul Sartre.

Offload

Le 12 décembre 2024

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

La légende veut qu’en novembre 1823 un jeune Anglais, William Webb Ellis, qui participait à un match de football, ait pris le ballon à la main et traversé ainsi le terrain avant d’aller marquer dans le but adverse. Cela se passait au collège de Rugby, et cette petite ville allait donner son nom à un des sports les plus populaires de notre temps. Une grande partie du vocabulaire y afférent a été traduite en français depuis fort longtemps, comme en témoignent les termes pilier, talonneur, plaquage, en-avant, demi de mêlée, demi d’ouverture, essai, arrêt de volée, en-but. Quelques-uns sont entrés dans l’usage sous leur forme d’origine, ainsi drop ou maul. Mais d’autres mots, apparus bien plus récemment, peuvent sembler obscurs, tel offload, proprement « décharge », qui désigne une passe que réussit à faire un joueur après qu’il a été arrêté par un adversaire. Sans doute pourrait-on remplacer cette forme par la locution passe après contact, plus parlante pour les profanes, et qu’on employait encore il y a peu.

Extirper les radis

Le 12 décembre 2024

Expressions, Bonheurs & surprises

Le Thresor de la langue francoyse tant ancienne que moderne, de Nicot, parut en 1606. Même s’il donne la traduction latine des mots qu’il présente, il est ordinairement considéré comme le premier dictionnaire de langue française. Il fournit aussi d’intéressantes explications de phonétique historique. On lit ainsi, à l’article Arracher : « De cest infinitif, Eradicare, syncopez la syllabe moyenne [-di], restera Eracare. De la vient arracher, pour Eracer. » On remplacerait aujourd’hui syllabe moyenne par syllabe prétonique, mais l’explication reste juste et elle nous permet de voir que de eradicare nous avons tiré deux verbes, l’un datant du xxe siècle, et d’origine savante, « éradiquer », l’autre, de huit siècles antérieur et d’origine populaire, « arracher ». Cela explique qu’arracher ait des emplois concrets : arracher des poireaux, arracher une dent, s’arracher les cheveux, ou, de manière figurée, arracher un sourire, une larme, un mot à quelqu’un, toutes expressions où « éradiquer » ne conviendrait pas. Ce dernier s’emploie essentiellement dans la langue de la science, éradiquer une maladie, une tumeur, ou de la morale, éradiquer le mal. Eradicare est dérivé de radix, « racine », à l’origine de radical mais aussi de notre raifort et, par l’intermédiaire de l’italien radice, de notre « radis ». Cette forme latine radix est parente du grec rhiza, de l’anglais root et de l’allemand Wurzel, toutes formes signifiant « racine », mais aussi de l’ancien anglais wort et de l’allemand Würze, « herbe ». Mais à côté de radix existe en latin une autre forme signifiant « racine » ainsi que « souche », stirps, que l’on retrouve dans notre verbe « extirper ». Ce verbe ancien, qui date du xiiie siècle, s’emploie essentiellement aujourd’hui avec des noms abstraits (extirper des superstitions, des vices) mais il n’est pas impossible de le rencontrer dans des emplois concrets (extirper des ronces). Extirper a par ailleurs un doublet populaire, beaucoup moins connu, étraper, ainsi défini dans notre Dictionnaire : « Couper avec l’étrape (petite faucille servant à couper le chaume). »

Étrape, comme cela arrive souvent aux formes populaires, a eu un certain nombre de variantes régionales, désignant des outils tranchants. Littré cite l’esterpe, utilisée dans le Dauphiné, l’exterpe, dans la Drôme, et l’étrèpe, en Ille-et-Vilaine. Nicot nous en présente une autre, l’estrapoire, « un petit faucillon emmanché d’un baston d’environ deux pieds de long, servant à estraper le chaulme qui demeure en la terre du seiage des bleds (la coupe des blés) ». Qui ne connaîtrait pas ce terme pourrait se consoler en lisant que Nicot précisait à son sujet que c’est un mot « usité en peu de contrées de ce Royaume ».

Le doigt

Le 12 décembre 2024

Expressions, Bonheurs & surprises

Le doigt, comme d’autres parties du corps, a été utilisé comme unité de mesure dans l’Antiquité, mais le Moyen Âge et le monde anglo-saxon lui préférèrent le pouce. Aujourd’hui, doigt est une mesure approximative correspondant à l’épaisseur d’un doigt, et désignant une petite quantité, comme dans Boire un doigt de porto ou La balle est passée à deux doigts de sa tête. Mais si le doigt a servi d’unité de mesure, on l’a aussi employé pour compter. C’est ce système de numération que Rosny aîné prête à ses personnages dans La Guerre du feu : « Faouhm, dans la lumière neuve, dénombra sa tribu, à l’aide de ses doigts et de rameaux. Chaque rameau représentait les doigts des deux mains. » C’est aussi pour cette raison que les mots anglais digit et digital, tirés du latin digitus, signifient respectivement « chiffre » et « numérique ».

Les noms désignant le doigt en grec, daktulos, et en latin, digitus, ont donné de nombreux mots en français. Si l’on regarde la longueur des phalanges, en partant de la paume, on constate que la première est longue et les deux autres plus petites. Par analogie, on a donc appelé dactyle, en prosodie grecque et latine, un vers composé d’une syllabe longue suivie de deux brèves. Dactyle désigne aussi une graminée ayant la forme d’un doigt, qu’on ne confondra pas avec la digitale que nous verrons plus loin. On retrouve cette racine dans des termes savants comme ptérodactyle, qui désigne un dinosaure qui pouvait voler grâce à une membrane s’étendant de l’un de ses doigts aux membres inférieurs ; comme aussi syndactylie ou polydactylie, deux malformations congénitales caractérisées par la soudure, totale ou partielle, de doigts ou d’orteils pour la première, et par la présence de doigts ou d’orteils surnuméraires pour la seconde. Si daktulos est surtout à l’origine de formes savantes, c’est aussi à lui que l’on doit, par l’intermédiaire de latin dactylus, le nom « datte », ce fruit ayant peu ou prou la forme d’un doigt.

Passons maintenant au nom latin, digitus, dont est issu le français doigt, et dont ont été tirés l’adjectif digital, que l’on trouve par exemple dans la locution empreintes digitales, et le nom féminin digitale, une fleur en forme de doigt de gant dont on tire un médicament, la digitaline. Le latin digitus se retrouve aussi dans le nom prestidigitateur, qui désigne un artiste accomplissant des tours d’escamotage, de passe-passe grâce à l’agilité de ses mains. Si dans ces formes le latin digitus est aisément reconnaissable, il l’est moins dans (à coudre), pourtant issu lui aussi de ce même nom. Signalons au passage, puisque nous parlons du doigt, que c’est au breton biz, que nous devons, par l’intermédiaire de bizou, « anneau pour le doigt », notre français « bijou ».