Les adjectifs complet et entier sont assez proches, mais ils n’ont pas exactement le même sens. Complet qualifie ordinairement une chose à laquelle il ne manque aucune partie, qui réunit en elle tout ce qui est nécessaire à sa réalisation, son fonctionnement. Cet adjectif suppose donc un assemblage, une fabrication. On dira donc, par exemple, un jeu de cartes, un puzzle complet. Entier qualifie une chose et, par extension, un animal, dont aucune des parties n’a été enlevée, c’est pourquoi on dit lait entier pour parler d’un lait qui n’a pas été écrémé, ou cheval entier pour parler d’un cheval non castré. (Il existe cependant quelques exceptions, puisque l’on dit pain complet pour parler d’un pain fait avec une farine complète, c’est-à-dire une farine dont on n’a pas retiré le son ; sans doute est-ce parce que la locution pain entier s’employait déjà pour désigner un pain qui n’a pas été entamé.) Littré signalait cette différence dans son Dictionnaire : « Une chose est entière lorsqu’elle n’est ni mutilée, ni brisée, ni partagée, et que toutes ses parties sont jointes et assemblées de la façon dont elles doivent l’être : elle est complète lorsqu’il ne manque rien, et qu’elle a tout ce qui lui convient. »
Entier a pour doublet savant intègre. Ces deux adjectifs viennent du latin integer, qui est lui-même dérivé de tangere, « toucher » ; ils sont ainsi parents d’intact, emprunté du latin intactus, proprement « non touché ». Intègre ne s’emploie que pour qualifier une personne d’une grande honnêteté morale (un juge intègre) et, par métonymie, une qualité attachée à cette personne (une vertu intègre). En cela il n’est pas le parallèle exact du nom intégrité, qui, s’il désigne l’absolue probité d’une personne intègre, peut aussi désigner l’état d’une chose qui est dans son entier, qui n’est pas entamée ni altérée, et l’on dira ainsi Il a remis dans son intégrité le dépôt qui lui avait été confié ou encore Il a su conserver l’intégrité du territoire. Ce nom, intégrité, s’est d’abord rencontré au début du xive siècle avec le sens de « chasteté, virginité » et a pris, au xve siècle, celui d’« état d’une chose qui est dans son entier ». Quand il a cette dernière signification, il est aujourd’hui concurrencé par entièreté et intégralité, qui désignent l’état de ce qui est intégral, entier, complet. On dit ainsi Lire une œuvre dans son intégralité ou Il a recouvré l’intégralité de ses moyens. Ce nom est également proche de totalité, auquel on le substitue souvent. Totalité est un dérivé savant de total et désigne la réunion de tous les éléments d’un ensemble, de toutes les parties constitutives d’une chose ; il a pour synonymes les formes substantivées des adjectifs total et tout, comme dans Je vais vous prendre le tout, le total, la totalité. Il y a cependant, de total à totalité, une légère différence. La totalité est une forme d’état, tandis que l’on obtient en général le total au terme d’une opération mathématique ; c’est pour cela que ce nom s’emploie fréquemment comme synonyme de résultat, même quand il est employé adverbialement au sens de « finalement, au bout du compte ». On trouve en effet Il n’a suivi aucun conseil, au total, il a commis beaucoup d’erreurs aussi bien que Il n’a suivi aucun conseil, résultat, il a commis beaucoup d’erreurs.
Complet est tiré d’une racine indo-européenne pel-/ple- qui a servi à former des mots en rapport avec la multitude, comme le grec polus, « nombreux », à l’origine de notre préfixe poly-, ou avec la plénitude, comme le latin plenus, « plein ». De cette racine sont issus, entre autres, nos adjectifs complet, plein et replet, et nos noms complément et complétude. Elle est aussi à l’origine du grec plêthôrê, « plénitude, surabondance, pléthore ».
Les sens de plein sont très étendus, et ils varient légèrement selon que cet adjectif est placé avant ou après le nom qu’il qualifie. Quand il signifie « qui est complètement rempli », on le place avant le terme désignant le contenant si celui-ci est suivi d’un complément de nom, et l’on opposera ainsi un plein boisseau de noix à un boisseau plein de noix, où plein s’emploie par exagération pour signifier « qui est en grande partie rempli ; qui contient une grande quantité de ». Dans la quatrième édition de son Dictionnaire, l’Académie française expliquait ainsi ce point : « Il faut remarquer que lorsque Plein est mis devant le substantif, il sert à donner quelque sorte d’énergie à ce qu’on veut dire. »
Plein s’emploie aussi pour désigner un animal qui porte des petits (une jument pleine). Sur cet emploi de plein, Féraud précisait dans son Dictionnaire critique de la langue française (1787) : « Pleine, se dit des fémelles des animaux et grôsse des femmes. Le peuple dit : je suis plein, pour dire j’ai beaucoup mangé. Les femmes et encore plus les filles, qui le disent, outre qu’elles se servent d’une expression vicieûse, prêtent à une mauvaise équivoque. » Il concluait par ce sage conseil « Elles ne doivent dire ni, je suis chaûde, ni je suis pleine. »
Plein peut aussi être substantivé et il désigne alors ce qui a atteint son développement maximal, son niveau le plus élevé, comme dans la lune est dans son plein ou le plein de la marée, c’est-à-dire la marée haute. Rappelons pour conclure que l’expression battre son plein a d’abord été employée en parlant de la mer, avec pour sens « atteindre son niveau le plus élevé ». Dans cette expression son est un adjectif possessif et plein un nom. S’il est arrivé que l’on pense que son y est un nom et plein un adjectif, c’est parce que, figurément, on a employé cette expression pour parler d’une activité qui atteignait sa plus forte intensité, en particulier dans l’expression la fête bat son plein, dont on a parfois cru faussement qu’elle était utilisée pour désigner le moment où le volume sonore de la fête était le plus élevé. Le fait que son soit en réalité un adjectif possessif implique donc que, avec un sujet au pluriel, il devienne leur et que l’on dise Les célébrations battent leur plein.