Les voix qui demandèrent à Jeanne d’Arc de faire couronner Charles VII et de « bouter l’Anglois hors de France » étaient celles de l’archange saint Michel, mais aussi de sainte Marguerite d’Antioche, qui mourut martyre en 305, et de sa contemporaine, sainte Catherine d’Alexandrie. Les prénoms de ces deux saintes ont une riche histoire, qui mérite qu’on s’y arrête un peu. Même si l’on n’est pas certain de l’origine du mot Catherine, on l’a vite rattaché, avec Littré, au grec katharos, « pur ». Par la suite, par un étrange renversement, l’abrègement de ce prénom le fit passer de symbole de pureté à la dénomination générale des prostituées. Catherine fut en effet réduit à Catin, d’abord employé, au xvie siècle, comme terme d’affection adressé à une fille de la campagne, mais qui devint bien vite le nom donné aux filles de ferme ou d’auberge, puis aux femmes de mauvaise vie. Pourtant, deux siècles plus tard, le lien avec le prénom innocent n’était pas encore entièrement rompu puisqu’on lisait dans l’édition de 1718 du Dictionnaire de l’Académie française, à l’article Catin : « On ne met pas ce nom ici comme nom propre, mais comme un mot dont on se sert pour dire, Une personne de mauvaise vie. C’est une franche catin. »
Semblable déclassement est arrivé au prénom Marguerite, qui avait pourtant, lui aussi, belle allure, issu qu’il était, par l’intermédiaire du latin margarita, du grec margaritês, « perle ». Ce nom, emblème de ce qu’il y a de plus précieux, est fameux, entre autres raisons, grâce au précepte de l’Évangile de saint Matthieu : Neque mittatis margaritas vestras ante porcos (« Ne jetez pas vos perles aux pourceaux »). Hélas, ces mêmes perles contribuèrent plus que tout, nous dit Pline, dans son Histoire naturelle, « à la dévastation des mœurs », et il nous rappelle que, pour vaincre en magnificence Antoine, qui voulait l’écraser par le luxe de ses festins, Cléopâtre fit dissoudre dans du vinaigre deux perles valant ensemble des centaines de millions de sesterces. Quand le nom marguerite a commencé à désigner une fleur, à laquelle on trouvait quelque ressemblance avec une perle, il a cessé de désigner cette perle (rappelons que perle est issu du latin perna, « cuisse », puis « jambon » et, par analogie de forme, « pinne marine » et « perle »). Marguerite fut le prénom de reines et Dumas fit de l’une d’elles le personnage éponyme d’un de ses romans, en retenant la forme abrégée de son nom, Margot. Cette amputation, bien antérieure à notre auteur, avait privé ce prénom de ce qu’il avait de prestigieux et marqué le début de sa dégradation. Comme catin, margot fut en effet employé pour désigner des filles de ferme puis des filles faciles. On l’allongea ensuite pour en faire l’hypocoristique Margoton, qui devint un nom générique désignant les femmes aux mœurs légères. Dans Les Misérables, Courfeyrac donne ce conseil à Marius : « Ne lis pas tant dans les livres et regarde un peu plus les margotons. Les coquines ont du bon ! » Encore un dernier retranchement et c’est goton qui désignera une fille peu farouche et de bas étage, bien éloignée, tant pour la forme de son nom que pour ce qu’elle est, de notre Marguerite originelle. Dans Les Sœurs Vatard, Huysmans en dessine un archétype : « une fille populacière, râblée, solide, une goton lubrique, propre à vous tisonner les sens à chaque enjambée ». Mais ce nom se rencontre surtout au pluriel, ces femmes étant présentées de manière indifférenciée. Le père de Charles Bovary les fréquente et Flaubert nous dit que son épouse « le voyait courir après toutes les gotons de village ». Enfin, on retrouve ce nom, rehaussé par un « h », dans Sous le soleil de Satan, quand Bernanos fait le portrait de l’académicien qui rend visite au curé de Lumbres : « Aux gouvernantes qu’il entretenait jadis avec un certain décor succèdent aujourd’hui des gothons et des servantes, qui sont ses tyrans domestiques. »
Notons enfin que, malgré la présence de telles formes abrégées, Catherine et Marguerite sont restés des noms propres. Ce n’est pas le cas d’un autre nom propre, lié à l’histoire de sainte Marguerite, qui n’existe plus guère aujourd’hui que dans le nom commun qu’il a donné. C’est en effet du nom Olibrius (d’Antioche), le persécuteur de la sainte, qu’a été tiré le nom commun olibrius, qui désigne celui qui fait le brave, le fanfaron et se rend ridicule par son comportement excentrique.