Naguère, les noms des catégories d’âge dans le sport dessinaient un charmant univers empreint de poésie. Les jeunes pratiquants étaient d’abord appelés poussins, sans doute parce qu’un entraîneur les prenait sous son aile, les couvait de mille attentions et voyait en eux des talents à éclore.
Deux ans se passaient dans ce nid confortable et voici que ces poussins devenaient des benjamins. Ils ne savaient peut-être pas encore qu’ils portaient un nom illustre, celui du fils préféré de Jacob. Ce sens de fils préféré était encore très présent au xixe siècle. Balzac en témoigne dans Le Père Goriot, quand Vautrin propose son aide à Rastignac : « Vous seriez notre enfant gâté, notre Benjamin, nous nous exterminerions tous pour vous avec plaisir. »
Notre jeune sportif continuait à grandir et les exigences à s’accroître : s’il doit courir, les distances à parcourir sont plus longues et les haies à franchir plus hautes, et pour les lancers, les poids sont maintenant plus lourds.
Et le voilà ensuite minime. C’est un terme beaucoup moins poétique. On change de registre avec cette forme empruntée d’un superlatif latin et qui disait que le minime était le plus petit, ce qui était vrai quand cette catégorie fut instituée, bien avant les deux précédentes.
Deux nouvelles années se passaient et le minime devenait cadet, un nom qui mérite que l’on s’y arrête, ne serait-ce que parce qu’il est apparenté à cadeau. Cadet et cadeau remontent en effet au latin caput, « tête », par l’intermédiaire de son dérivé capitellus, à l’origine du provençal capdel, qui désignait à la fois un personnage placé à la tête d’un groupe d’hommes, un capitaine, et une lettre capitale. Cette dernière, richement ornée, était souvent l’initiale de la personne en l’honneur de laquelle on donnait une fête ou à laquelle on offrait quelque chose, et c’est ainsi que cadeau prit le sens de « présent ». Le provençal a donné le gascon capdet, puis cadet, qui désignait le puîné. Comme les biens revenaient à l’aîné, le cadet n’avait guère d’autre choix que celui des armes pour se faire une situation. On a surtout retenu les cadets de Gascogne, chantés par Rostand dans Cyrano, mais les cadets de Normandie subissaient le même sort. Cette inégalité venait de l’ancien droit scandinave, qui voulait que tout aille à l’aîné. Quand un fils naissait après celui-ci, le père se dirigeait vers lui avec une épée qu’il jetait à terre en lui disant : « Je ne te léguerai rien : tu n’auras que ce que tu peux te procurer avec cette arme. »
Nos amis québécois appellent les jeunes du même âge des juvéniles. Ce mot est issu du latin juvenis, « jeune », et c’est son comparatif, junior, qui a donné son nom à la catégorie suivante. À l’origine cependant, appartenir à cette catégorie n’était pas lié à l’âge mais à un niveau. Louis Baudry de Saunier nous l’apprend dans Le Cyclisme théorique et pratique (1892), quand il écrit : « Les juniors sont tous les coureurs qui ne sont pas encore jugés dignes de devenir seniors. » Ces derniers, comme les juniors, tirent leur nom d’un comparatif latin, senior, celui de senex, « vieux, âgé ». Pourtant les seniors ne sont pas les plus âgés des sportifs car après trente-cinq ans, on est vétéran. On est, ou plutôt on était, puisque ce nom, qui rappelait celui des soldats les plus expérimentés des légions romaines, s’efface peu à peu au profit de l’anglais master. On peut le regretter mais ce n’est pas le plus grave. Tous les noms mentionnés plus haut tendent en effet aujourd’hui à être remplacés dans de nombreux sports par les appellations U 10, U 12, U 14, etc., formes abrégées de under 10, under 12, under 14, pour désigner les sportifs ayant « moins de 10 ans, moins de 12 ans, moins de 14 ans », etc. Les chiffres, décidément, ne valent pas toujours les lettres.