Le monde de la justice est peu connu des profanes et les mots qui en relèvent sont parfois trompeurs ; cela s’explique peut-être parce que nous avons de ce monde des représentations forgées par des lectures concernant les temps anciens. Dans les textes qui évoquent l’Antiquité ou le Moyen Âge, il est fréquemment question de prisonniers jetés aux fers. Ce pluriel métonymique désigne les chaînes, les menottes qui entravaient les mouvements des captifs. Condamner aux fers signifiait « condamner à la prison », et l’on disait d’un prisonnier qu’il était chargé de fers. Aujourd’hui, nombre de films ou de séries nous montrent encore des suspects que l’on débarrasse de leurs menottes pour les présenter à un juge. Mais, dans ce cas, nonobstant tous les fers vus plus haut, on écrit, non que le suspect a été déferré, mais bien qu’il a été déféré. Le premier est un dérivé de fer, tandis que le second, emprunté du latin deferre, « porter de haut en bas ; porter à la connaissance de », d’où « porter plainte en justice », signifie « traduire en justice ; renvoyer devant la juridiction compétente ». On défère un prévenu au parquet, un criminel à la cour d’assises…, on ne le déferre pas.
On se gardera également de confondre ce qui relève de la métallurgie et ce qui est lié à la justice avec les mots écrou et écrouer. Il existe deux noms écrou, homophones et homographes, mais différents par le sens et l’étymologie. L’un ressortit à la justice ; il est tiré de l’ancien francique skrôda, « bout, lambeau », et a d’abord désigné une « bande de parchemin », puis, dès la fin du xve siècle, un « registre de prisonniers » et, aujourd’hui, il s’emploie pour parler d’un procès-verbal constatant qu’une personne a été remise au directeur d’une prison. Skrôda, avec le sens de « liste », a aussi donné le nom pluriel écroues, qui désignait, comme on le lisait dans les éditions anciennes de notre Dictionnaire, « les états ou rôles de la dépense de bouche de la maison du roi ». C’est de cet écrou qu’est tiré le verbe écrouer, c’est-à-dire « inscrire un détenu sur le registre d’écrou au moment de son incarcération » et, par extension, « incarcérer ». On constate donc que l’écrou de la langue de la justice n’a pas de lien avec les écrous de la quincaillerie, même s’il est tentant de supposer que ces derniers retiennent fermées les chaînes du prisonnier écroué ; quant à la « levée d’écrou », ce n’est pas le fait de desserrer les écrous de ces mêmes chaînes, c’est la mention sur ce registre de la mise en liberté d’un détenu et, par métonymie, cette libération elle-même.
Rien à voir donc avec la pièce d’assemblage percée d’un trou cylindrique taraudé dans lequel s’adapte exactement le filetage d’une vis. Ce nom, qui s’est d’abord rencontré au féminin sous la forme escroe avant d’être masculin au xvie siècle, est issu du latin scrofa, « truie », d’où « vis femelle », par l’intermédiaire du sens de « vulve », attesté en bas latin (rappelons que l’on parle aujourd’hui encore de « prise mâle » et de « prise femelle »).
Écrouer a par ailleurs un paronyme lié à la métallurgie et beaucoup moins en usage, écrouir, qui signifie « faire subir à un métal ou à un alliage, à température ambiante ou peu élevée, un traitement mécanique destiné à améliorer certaines de ses caractéristiques : dureté, résistance à la traction, etc. » Écrouir est tiré, par l’intermédiaire de l’adjectif wallon crou, qui qualifiait un métal brut, du latin crudus, « cru » et, proprement, « saignant, sanguinolent ». Cela nous ramène une fois encore à scrofa : c’est de ce mot que sont tirées les formes, savante et populaire, scrofule et écrouelle. En effet, ce mal, qui couvrait ceux qui en sont atteints de bubons sanguinolents, touchait largement porcs et truies. On conclura en rappelant que si le roi, juge souverain, pouvait délivrer des fers qui il souhaitait, il avait aussi le pouvoir, en raison du caractère sacré et thaumaturge de sa personne, de délivrer les malades de leurs écrouelles par une simple imposition des mains.