Dans notre Dictionnaire, confins confine avec confire, et on trouve dans son voisinage les formes qui en sont dérivées, confit et confiture, entre lesquelles s’intercale confiteor. Mais même si, en ces temps de confinement propres à l’introspection, ce confiteor aurait sans doute toute sa place dans cet article, c’est confire, confit et plus encore confiture qui nous intéresseront. Commençons donc par confire, le malheureux verbe dont sont tirés les noms de ces victuailles. Dans son Dictionnaire national, Bescherelle signalait cette terrible injustice : « La plupart des grammairiens condamnent l’emploi de l’imparfait du subjonctif de ce verbe sans en donner les motifs. Ce n’est pas pour cause d’euphonie qu’on voudrait le proscrire, car il n’a rien de plus rebutant que celui des verbes analogues. Tout le monde emploie sans hésiter que je contrefisse, pourquoi craindrait-on de dire que je confisse ? Par quoi d’ailleurs remplacerait-on cet imparfait ? par faire confire, nous dit-on. Celui qui a proposé cette substitution ne comprenait pas sa langue. Confire et faire confire sont bien loin de présenter la même idée. » Heureux temps que celui où « tout le monde emplo[yait] sans hésiter que je contrefisse » ! Quant à ce pauvre confire, l’Académie lui porta, elle aussi, un fameux coup à l’article Poncire de la neuvième édition de son Dictionnaire. Dans les huit premières, éditées de 1694 à 1935, on pouvait lire ceci : « Ces poncires ne sont bons qu’à confire ». Une merveille de concision et d’écho sonore. Las ! ce petit bijou, un tercet de vers trisyllabiques, Ces poncires / ne sont bons / qu’à confire, fut remplacé dans l’édition actuelle par un Les poncires ne sont guère utilisés que confits ou en marmelade, sans doute beaucoup plus pédagogique, mais à coup sûr moins poétique !
Le participe passé de ce verbe mérite également que l’on s’y arrête. Quand il est employé substantivement, il évoque les nourritures roboratives du Sud-Ouest, emblème des terres radicales, et les banquets républicains assaisonnés d’anticléricalisme ; employé adjectivement, il peut renvoyer à cette bonne chère, mais aussi, faisant pendant à tout cela, à la plus forte rigueur et à une grande ascèse tout empreinte de religion, comme le note notre Dictionnaire évoquant « une vieille dame confite en dévotion ». Cet écart de sens entre, d’une part, cuisine et nourritures terrestres et, d’autre part, la plus austère, la plus sévère des disciplines religieuses ne doit pas entièrement nous étonner ; ne le retrouve-t-on pas en effet dans les différents emplois du nom macération ?
Confire, on l’a vu plus haut, eut affaire aux grammairiens, mais ce fut aussi le cas de son dérivé confiture. D’aucuns pensaient que l’on devait mettre le nom complément de confiture au pluriel quand il fallait plusieurs fruits pour la préparer : on écrirait ainsi des confitures de mûres, de framboises, de fraises, mais il devait être au singulier dans le cas inverse, et l’on écrirait des confitures de melon. Littré, lui, préconisait le pluriel quand les fruits sont encore identifiables dans le produit, le singulier quand le produit fini a une consistance homogène, ce qui amène à écrire des confitures de fraises, une compote de poires, une marmelade de pommes, mais du jus d’orange (le cas du jus avec pulpe, sans doute trop byzantin, n’est pas évoqué), de la gelée de coing, du sirop de groseille. Ainsi, quand naguère certain fabricant de yaourts nous indiquait que ceux-ci contenaient de vrais morceaux de fruits, il ne vantait pas la qualité de son produit, mais nous donnait une précieuse indication grammaticale.
Mais cette aventure grammaticale et le fait qu’elle puisse adoucir la rigueur d’un confinement ne sont pas les principaux titres de gloire de la confiture : elle a en effet réussi le tour de force de supplanter dans le langage commun les perles de l’Évangile de Matthieu. On y lit en effet (7,6) : neque mittatis margaritas vestras ante porcos, « ne jetez pas vos perles aux pourceaux » (on lit ensuite « de peur qu’ils ne les piétinent puis se retournent contre vous pour vous déchirer »), verset qui, le temps passant, s’adoucira pour devenir « donner de la confiture aux cochons ». Ces perles eurent bien peu de chance puisque, non seulement elles furent remplacées par des confitures, mais aussi parce que leur nom latin margarita, en passant au français, se transforma en « marguerite » non plus pour désigner ces bijoux, mais des fleurs (rappelons que l’on disait aussi jadis jeter des marguerites aux pourceaux).
Mais les confitures peuvent aussi être un symbole de mollesse et de faiblesse. On le voit dans Journal d’un curé de campagne, de Bernanos : « Pas plus qu’un homme, une chrétienté ne se nourrit de confitures. Le bon Dieu n’a pas écrit que nous étions le miel de la terre, mon garçon, mais le sel. » On le voyait déjà dans La Suite du Menteur, quand Corneille faisait dire à Cliton : « Nous avons le cœur bon, et, dans nos aventures, / Nous ne fûmes jamais hommes à confitures. »
Concluons, pour finir avec cette confiture, qu’elle est un des rares aliments à avoir été le titre d’une chanson, écrite par Roger Carineau, popularisée par Les Frères Jacques et justement intitulée La Confiture, qui posait cette question regardant les fins ultimes et à ce jour restée sans réponse : Pourquoi y a-t-il des trous dans le pain ?