Clou appartient à une très grande famille lexicale. Il est issu du latin clavus, qui, à l’origine, désignait, comme clavis, une cheville, de bois puis de fer, que l’on passait dans un anneau pour fermer une porte ou qui servait à assujettir différents éléments. Les progrès de la serrurerie ont fait que ces deux mots se sont spécialisés, clavis désignant désormais uniquement une clé, et clavus, un clou. Les clous avaient alors de multiples usages. On les utilisait à Rome pour marquer les années : tous les ans, aux ides de septembre, on enfonçait un grand clou, le clavus annalis, « clou qui marque l’année », dans un mur du temple de Jupiter Capitolin, rite qui, pense-t-on, était antérieur à la généralisation de l’écriture. En cas de calamité, on plantait, dans ce même temple, un clavus sacer, un « clou sacré ». On explique ainsi cette coutume : peu de temps après la prise de Rome par les Gaulois, en 390 avant J.-C., une peste ravagea la ville et l’on craignit la disparition du peuple romain. Un vieillard rappela alors que dans sa tendre enfance, pareil fléau s’étant abattu sur la ville, un dictateur avait fiché un clou dans ce temple et qu’il avait ainsi arrêté l’épidémie. On nomma aussitôt un dictator clavi fingendi causa, un « dictateur chargé de planter le clou », qui s’acquitta de sa tâche et fit cesser le mal. On eut encore, dans le même siècle, recours à ce procédé après qu’un vent de folie se fut abattu sur des matrones romaines qui, en grand nombre, empoisonnaient leur mari. La cérémonie du clou sacré apporta à cette contagion criminelle un remède salutaire. Peut-être peut-on penser que l’obligation faite à cent soixante-dix empoisonneuses de boire le philtre mortel qu’elles destinaient à leur époux, joua elle aussi un rôle dans la fin de cette crise…
C’est à cette même époque que clavus va désigner un furoncle, en raison de la similitude de forme entre une tête de clou et ce bouton, et concurrencer furunculus. Cet emploi familier s’est maintenu en français. Notons au passage que furunculus a d’abord désigné une tige secondaire de la vigne, qui dérobait la sève à la tige principale, puis le nœud se trouvant à l’embranchement, ce qui témoigne de l’amusante propension de l’homme à prêter ses vices aux plantes, puisque, s’il appelle ce nœud furoncle, c’est-à-dire, étymologiquement « petit voleur », il appelle aussi les tiges qui ne portent pas de fruits des gourmands.
Le nom français clou a lui aussi connu de nombreuses extensions de sens qui vont l’amener à avoir des significations diamétralement opposées.
À partir du xixe siècle, comme les clous servent à fixer des objets, on a utilisé l’expression mettre au clou pour « mettre en gage », puisque les biens confiés aux prêteurs étaient accrochés à des clous en attendant qu’un retour de fortune permît à l’emprunteur de les récupérer. Par extension, le clou est devenu un synonyme familier du Mont-de-Piété.
Ce terme va ensuite désigner figurément ce qui attache un spectateur à son siège, ce qui fixe le plus son attention, à savoir la partie la plus intéressante d’un spectacle, puis, par extension, ce qu’il y a de mieux dans quelque domaine. On dira que tel numéro est le clou du spectacle ou que tel tableau est le clou d’une collection. Mais comme le clou empêche de bouger, il a aussi désigné, dans l’argot des voleurs, la prison.
De gros clous servirent naguère à marquer les passages réservés à la traversée des piétons, d’où le nom de passage clouté. Si ce type de signalisation a été remplacé par des bandes de peinture, il nous est resté l’expression populaire être, rester dans les clous, « ne pas sortir du cadre règlementaire, ne pas commettre d’infraction ».
D’autre part, les clous, autrefois forgés artisanalement, ont rapidement fait l’objet d’une production industrielle, ce qui permit d’abaisser considérablement le prix de chacun d’eux. Clou s’emploie donc pour désigner un objet sans valeur comme en témoigne l’expression Ça ne vaut pas un clou, abréviation de Ça ne vaut pas un clou de soufflet, parce que jadis ces objets étaient ornés de clous revêtus d’une dorure de pacotille. On lit d’ailleurs, dans une lettre de Voltaire au comte d’Argental :
« Le grand point est que madame d’Argental se porte bien. Je fais mille vœux pour sa santé. Mais à quoi les vœux d’un blaireau des Alpes [Voltaire se nomme ainsi après avoir écrit que, de tout l’hiver, il ne sortait pas de sa chambre] peuvent-ils servir ? Ceux de l’univers entier ne valent pas un clou à soufflet. »
Par la suite clou désignera fréquemment une automobile usée, un vélo usagé. Du croisement de clou et de bicyclette naîtra d’ailleurs la forme populaire biclou.