Le latin bos, comme le grec bous, désigne un bovin, sans en préciser le sexe. Ces mots sont à l’origine de formes comme bœuf, bovin ou bovidé, qui sont assez transparentes, mais il en est d’autres dans lesquelles cette origine est moins visible. Il s’agit souvent de termes savants, empruntés de mots latins ou grecs. On y trouve ainsi Bucéphale, le fameux cheval d’Alexandre, dont le nom signifie proprement « tête de bœuf ». Ce mot d’origine grecque avait un équivalent latin, bucranium, auquel on doit le bucrane, une sculpture de frise représentant une tête de bœuf décharnée, et la bugrane, une plante aux rameaux épineux encore appelée « arrête-bœufs ». Le grec nous a aussi donné buglosse, proprement « langue de bœuf », une plante médicinale à fleur bleue, ainsi nommée en raison de la forme de ses feuilles. C’est en revanche au latin que l’on doit bucolique. Cet adjectif et nom, formé avec l’aide de colere, « élever », a d’abord été lié à l’élevage des bovins, puis à celui des ovins et à tout ce qui est lié à la vie champêtre ; enfin il a désigné un genre littéraire qui prend son inspiration dans la vie de bergers de convention, créé par Théocrite et illustré par Virgile. Du grec nous vient la boulimie, interprétée tantôt comme le fait d’avoir « une faim de bœuf » (expression supplantée dans l’usage par la « faim de loup »), tantôt comme le désir de manger un bœuf, mais aussi le plus rare boustrophédon, composé à l’aide de strephein, « tourner », que l’on retrouve dans strophe, et qui désigne un type d’écriture très ancien dans lequel la main du scribe, qui écrivait alternativement de gauche à droite et de droite à gauche, imitait le mouvement des bœufs, qui changent le sens de leur marche à chaque fois qu’ils arrivent au bout d’un sillon. L’hécatombe est aussi liée à cette famille puisque ce nom, affaibli aujourd’hui, désignait à l’origine le sacrifice de cent bœufs. Quant au beurre, son nom est issu du grec bouturon, proprement « fromage de vache ». Concluons sur ces formes en b- avec l’infortuné Charles Bovary, dont le nom offre les trois mêmes premières lettres que le mot bovin.
Le nom vache, issu du latin vacca, n’appartient pas à cette famille étymologique, mais mérite que l’on s’y intéresse. Rappelons, en ces temps de pandémie, qu’il est apparenté au nom vaccin, par l’intermédiaire d’une maladie touchant les vaches, la vaccine. Ce nom, issu du latin (variola) vaccina, « (la variole) des vaches », traduisait l’anglais cow pox, de même sens. Comme on s’était rendu compte que vachères et vachers étaient immunisés contre la variole, on comprit que l’on pouvait éviter cette maladie en inoculant la vaccine. Le vaccin était né. Quant au nom veau, d’abord rencontré sous la forme vedel, puis veel, il est issu du latin vitellus, un diminutif de vitullus, de même sens.
Mais revenons à nos bovins. La racine indo-européenne *gwow-, d’où sont tirées les formes latines et grecques déjà citées, est présente dans le nom, d’origine sanscrite, d’une antilope d’Asie, le nilgau, proprement le « bovin (gau) bleu (nil) », mais aussi dans les noms allemand et anglais de la vache, Kuh et cow. Ce dernier nous intéresse particulièrement parce qu’il entre dans la composition du nom cow-boy et que ce mot est doublement redevable de notre racine indo-européenne. Pour le premier élément, cow, cette filiation est claire ; elle l’est moins pour le second, boy.
Si cow est le résultat de l’évolution de *gwow-, boy est issu d’une forme d’ancien français, embuié, participe passé signifiant « prisonnier, enchaîné ». Ce dernier est issu du latin boia, « entraves pour esclaves et criminels », qui était emprunté du grec boeiê, un adjectif féminin substantivé, signifiant proprement « de bœuf », et qui désignait, par métonymie (comme vache désigne parfois familièrement une serviette de cuir) des lanières de cuir de cet animal employées pour entraver les prisonniers. Cet adjectif est bien sûr dérivé de bous, « bovin ». En anglais, avant de désigner un garçon, boy a désigné un jeune esclave, puis un valet. Ce glissement de sens, de l’esclave à l’enfant, ne doit pas nous étonner puisque le français garçon remonte à l’ancien bas-francique *wrakkjo, « vagabond », puis « fugitif, banni », et que les noms grec et latin pais et puer servent à nommer aussi bien un petit enfant qu’un jeune esclave.