Il existe une grande variété de champignons, les uns sont des plus exquis, d’autres sont mortels, ce qui faisait écrire au peintre Paul Gavarni : « Jésus ! Comment que tu oses manger des champignons ! Les champignons, ma biche, c’est comme les hommes : rien ne ressemble aux bons comme les mauvais. » Les noms qui désignent les champignons ont la particularité d’être apparus tardivement dans notre langue, entre 1750 et 1850 pour la plupart d’entre eux (c’est le cas pour l’amadouvier, l’aspergille, le coprin, la cortinaire, l’helvelle, la lépiote, le pied-de-mouton, le pleurote, etc.) tandis que plantes et animaux étaient nommés depuis longtemps.
Champignon fut longtemps en concurrence avec potiron. On lisait dans le Tresor de la langue françoyse de Nicot : « Potiron ou champignon » et, dans la première édition du Dictionnaire de l’Académie française, à l’entrée Potiron : « Sorte de gros Champignon qui vient promptement, & souvent en une nuit. Il y a du peril à manger des potirons, parce qu’il y en a qui sont du poison. On dit, d’Un homme qui s’est eslevé tout à coup en credit, en fortune, qu’Il est venu en une nuit comme un potiron. » L’origine de potiron est encore discutée. Dans son Dictionnaire étymologique des mots français d’origine orientale, Marcel Devic le fait venir de l’arabe foutour, « champignon », mais d’autres évoquent aussi un rapprochement, par analogie de forme, avec l’ancien français boterel, « crapaud », ou avec le latin tardif posterio, « derrière, postérieur » (que l’on trouve aussi dans la locution potron-minet). Champignon n’est apparu en français qu’à la toute fin du xive siècle, en remplacement des formes canpegneus, champignuel et champineul, attestées depuis le début du xiiie siècle et qui sont tirées du latin campania, « les champs, la plaine ». Son origine en fait donc un parent étymologique de notre champion et de l’allemand Kampf, le champion étant d’abord « celui qui va se battre sur le champ », mais aussi, de manière plus légère et en passant par l’italien, de notre campagnol, les campagnoli étant proprement les « rats des champs ».
Un des champignons les plus connus est le bolet, qui tire son nom du latin boletus. Ce dernier apparaît sous la plume de Pline l’Ancien, qui écrit dans son Histoire naturelle (XVI, 31), au sujet du chêne : « boletos… gulae novissima irritamenta circa radies gignuntur » (« les bolets… tout nouveaux excitants pour le palais, poussent autour de ses racines »). Ce boletus ne nous intéresse pas uniquement parce qu’il était capable de stimuler des appétits blasés, mais aussi parce que c’est lui qui est à l’origine de l’allemand Pilz, « champignon ». Et ce n’est pas la seule fois que le nom particulier d’un champignon s’est étendu à l’ensemble de la catégorie, puisque nos amis anglais ont emprunté notre mousseron pour en faire leur mushroom. Mousseron est issu du latin tardif mussario, qui est de même sens, et son nom fit qu’on le rattacha longtemps à mousse. C’est à l’article Mousse qu’on le trouvait dans la première édition du Dictionnaire de l’Académie française, qui présentait les mots par famille et non par ordre alphabétique. On notera que, dans les trois premières éditions, il est dit que ce champignon « vient sur la mousse au printemps » et, dans les cinq suivantes, qu’il vient « sous la mousse ». Le mousseron appartient au genre agaric, nom emprunté du grec agarikon que Dioscoride explique en disant qu’il signifie « d’Agaria », une ville de Sarmatie où ce champignon abondait. L’amanite est liée elle aussi à la géographie ; son nom est issu du mont Amanos, en Asie mineure. La morille, en raison de sa couleur foncée, tire son nom du latin maurucula, proprement « petite Maure », qui est aussi à l’origine, par l’intermédiaire du provençal, de barigoule, autre nom du lactaire délicieux. Le nom cèpe, que Littré écrit aussi ceps, n’apparaît qu’en 1798. Littré pensait que c’était une extension de sens du nom cep, mais il semble plus probable qu’il vienne du latin cippus, « borne ». Concluons avec deux champignons moins ragoûtants. Le phallus impudicus (ou impudique) n’apparaît en français qu’en 1791 ; au siècle suivant, on rencontre aussi son autre nom satyre puant. Cette idée de puanteur nous amène à la vesse-de-loup (proprement « pet de loup ») présent dans notre langue dès le xvie siècle et que l’on rebaptisa, en utilisant une forme grecque plus savante, du nom de lycoperdon en 1803.