Sept cent quarante personnes ont été membres de l’Académie française ; de celles-ci, les plus nombreuses furent les hommes d’Église, mais il est d’autres gens de robe qui grossirent ses rangs : les avocats et les magistrats. Ainsi, longtemps, à l’éloquence de la chaire fit pendant l’éloquence du prétoire.
Parmi les académiciens liés au monde de la justice figurent des gardes des Sceaux, comme Séguier et d’Argenson, un éminent constitutionaliste, Georges Vedel, mais surtout de grands magistrats, parmi lesquels Montesquieu et Simone Veil, et de grands avocats, dont Mézeray, Maurice Garçon, Georges Izard, Edgar Faure ou Jean-Denis Bredin, sans oublier, parmi les tout premiers, Olivier Patru, au sujet duquel Voltaire écrivit : « On lui doit […] l’ordre, la clarté, la bienséance, l’élégance du discours : mérites absolument inconnus avant lui au barreau. »
Mais les personnes défendues par ces avocats et jugées par ces magistrats étaient parfois des utilisateurs de la langue verte, qui affublèrent de nombreux surnoms ceux qui les assistaient et ceux qui les condamnaient. De trop longues plaidoiries firent qu’on surnomma ces avocats bavards, mais aussi par une déformation péjorative de ce terme, qui l’était déjà, baveux et baveurs.
Avec le même suffixe dévalorisant -ard a été créé bagoulard, un dérivé de l’ancien verbe normand bagouler, à l’origine du déverbal bagou (aujourd’hui écrit bagoût par rapprochement avec goût), joliment glosé par Littré comme un « bavardage où il entre de la hardiesse, de l'effronterie, et même quelque envie de faire illusion ou de duper ». Bagouler était formé à partir de babiller et de goule, avec une influence du tour populaire battre de la gueule, c’est-à-dire « parler beaucoup et bruyamment ». D’avocat ont également été tirés, pour désigner qui exerce sans talent cette profession, l’adjectif avocassier et le verbe, neutre à l’origine et aujourd’hui méprisant, avocasser. Enfin, sur le modèle de rat de bibliothèque on a forgé rat de prison. L’origine de cette expression est discutée. Dans son Dictionnaire historique, étymologique et anecdotique de l’argot, (1872), Lorédan Larchey explique que l’on a donné ce nom aux avocats en raison des nombreuses visites qu’ils font aux prisonniers ; mais, dans son Dictionnaire d’argot fin de siècle (1894), Charles Virmaître est plus sévère puisqu’il explique ainsi ce nom : « Allusion à ce que ces messieurs grignottent (sic) à belles dents l’argent des prisonniers qui ont besoin de leurs services », avant d’ajouter ce commentaire : « Sangsue serait plus juste que rat. »
Pour ce qui est des surnoms, les juges ne furent pas en reste. La componction et la fausse débonnaireté dont ils sont ordinairement empreints dans les tableaux qu’on en fait et le collet d’hermine qu’ils portaient autrefois expliquent qu’on les a souvent comparés à des chats, d’où leur surnom de chat fourré, Raminagrobis ou Grippeminaud. Notons qu’à l’inverse, et pour cette même raison, les chats étaient aussi appelés greffiers, même si c’est aussi au mot griffe qu’ils devaient ce surnom.
Comme ils étaient revêtus d’une robe en séance, on les a appelés robins, mais ce surnom dévalorisant semble également leur avoir été attribué parce qu’on appelait ainsi ceux qu’on estimait être des hommes de peu et parce que la perruque bouclée que portaient parfois les juges pouvait rappeler la toison des moutons, un animal, appelé, lui aussi, « robin ». À cette série on peut aussi ajouter dandin, qui fut d’abord nom commun pour désigner une personne niaise mais dont Rabelais fit un personnage du Tiers-Livre, parangon du juge avare et stupide, que Racine reprit dans Les Plaideurs et La Fontaine dans L’Huître et les Plaideurs.
Enfin, rappelons que les uns et les autres ont souvent été réunis sous l’appellation de chicaneurs ou de gens de chicane. Quant à la chicane, ce mot était élégamment décrit dans la première édition de notre Dictionnaire comme une « Subtilité captieuse en matière de procès ».