Le nom lit nous vient du latin lectus, de même sens, qui appartient à une grande famille indo-européenne d’où sont aussi issus les noms grecs lektron et lekhos, désignant le même meuble, et les verbes anglais to lay et to lie et allemands legen et liegen, « coucher » et « être couché ». Ce nom a un synonyme appartenant à un registre plus élevé, couche, parfois accompagné d’adjectifs comme royal ou nuptial, qui désigne le plus souvent le lieu de l’union des corps, généralement autorisée par des liens officiels et d’où naîtront des enfants légitimes. C’est pour cette raison que, si les serments du mariage sont trahis, on accole à ce nom des termes comme adultère ou souiller. Mais, étonnamment, si couche appartient à un registre soutenu, le verbe qui en est tiré, coucher, relève de la langue ordinaire, et même de la langue familière quand il signifie « avoir des relations sexuelles », tandis que le nom dérivé de ce verbe, coucherie, appartient, lui, à la langue vulgaire.
Lit a de nombreux synonymes, familiers ou populaires, qui présentent l’étrange particularité de commencer tous par la lettre p. Au nombre de ceux-ci on trouve paddock, nom dérivé de l’ancien anglais pearroc, « enclos ». Ce nom a d’abord désigné l’enclos aménagé dans une prairie pour les juments poulinières et leurs poulains, puis l’enceinte où, au moment du pesage, les chevaux, promenés à la main, sont présentés aux parieurs. Par la suite on a donné ce nom à une maison de passe en assimilant les prostituées aux juments enfermées dans le paddock et, enfin, au meuble le plus en usage en ces lieux, le lit.
Les autres synonymes nous renseignent, eux, sur l’histoire de la literie puisqu’ils tirent tous leur nom de la matière dont étaient garnis les lits. Ce pouvait être de la paille, et c’est là l’origine du nom paillasse. Les liens avec la prostitution étant toujours très forts, Bescherelle nous apprend, dans son Dictionnaire national, qu’on appelait paillasse de corps de garde une « femme ou fille de mauvaise vie, qui s’abandonne indifféremment à tous les soldats, au premier venu ». Dans ce même registre, cet auteur nous rappelle que paillard vient de paille « parce que les paillards couchaient tous pêle-mêle et se vautraient dans la paille et, suivant d’autres, parce que, chez les Romains, les prostituées exerçaient leur ignoble métier sur la paille ». L’argot a souvent déformé ce nom pour en faire les formes pageot ou pajot. Peut-être faut-il y voir l’influence du mot paillot qui, depuis la fin du Moyen Âge, désignait une petite paillasse. Pageot s’est aussi rencontré sous la forme abrégée page et sa variante pagne.
Il existait des matériaux plus confortables ; comme la plume, à l’origine des noms plumard et de sa forme abrégée, devenue alors un nom masculin, plume ; ou la fourrure d’animaux, leur peau, à l’origine du nom pieu, par l’intermédiaire d’une forme picarde piau, et dont la langue populaire a tiré les verbes pieuter et pioncer. Nous achèverons cette série avec le nom pucier. Il s’agit d’un intéressant exemple de remotivation étymologique. Cette forme est en effet une altération de poussier, nom de la même famille que poussière, qui désignait la balle de son dont on emplissait des sacs qui servaient de matelas. Mais comme ces lits de misère étaient souvent infestés par des puces, on a changé le poussier, dont l’origine n’était plus guère connue, en pucier.