Le nom alerte fut d’abord une locution : (Estre) a l’herte, « (être) sur ses gardes ». On la trouve sous cette forme chez Rabelais : « Le pilot, prevoyant ung grain, commenda tous estre à l’herte, tant nauchiers [nautoniers] et mousses que nous aultres voyagiers », ou chez Montaigne, avec une autre graphie : « Eschylus a beau se tenir à l’airte, le voylà assommé d’un toict. »
Il s’agit d’un emprunt à la locution italienne all’ erta, composée de all’, « à la, sur la », et erta, « côte, pente » et, proprement « lieu élevé », employée pour indiquer que l’on est sur un lieu éminent d’où le regard embrasse tout l’alentour. Quant à Erta, il s’agit de la forme féminine du participe erto, qui veut dire « dressé, élevé », une abréviation de eretto, lui-même issu du latin erectus, le participe passé du verbe erigere, que l’on retrouve dans l’expression Homo erectus, employée pour signaler que l’un de nos lointains ancêtres, situé entre l’Homo habilis et l’Homo sapiens, avait cessé de se déplacer sur ses quatre membres pour devenir bipède. Cicéron l’avait déjà signalé dans Les Lois (1, 26) : « Natura hominem erexit » (« La nature a donné à l’homme la station verticale »). Le dérivé erectio désigne l’action d’élever, de dresser. On ne s’étonnera donc pas de le trouver dans le De architectura, « l’Architecture », de Vitruve. Mais en latin chrétien, il signifie aussi « orgueil ». On lit ainsi dans le livre de Job (22, 19-20) : « Videbunt iusti et laetabuntur / et innocens subsannabit eos / nonne succisa est erectio eorum ? » (« Les justes verront [les méchants punis] et se réjouiront et l’innocent se moquera d’eux ; leur orgueil n’a-t-il pas été abattu ? »). Et dans La Mort de Philippe II (vers 10-12), Verlaine semble réunir Vitruve et la Bible, architecture et orgueil, quand il évoque le château du roi : « Despotique, et dressant au-devant du zénith / L’entassement brutal de ses tours octogones, / L’Escurial étend son orgueil de granit. »
Il est bien sûr un autre sens au mot érection, qu’évoque Serge Reggiani lorsqu’il chante L’Homme fossile : « Enfin les scientifiqu’s suivant coutumes et us / Voulant me baptiser de par un nom latin / M’ont appelé Pithécanthropus Erectus / Erectus ça m’va bien, moi qu’étais chaud lapin. »
Mais revenons à alerte.
Ce mot a la particularité rare d’avoir au moins trois natures différentes. De son origine il a gardé sa nature de nom, mais, comme il était employé avec le verbe être, on en a rapidement fait un adjectif, d’abord attribut, puis également épithète. Et ce n’est pas tout, puisque Féraud écrit, dans son Dictionnaire, au sujet du mot alerte que c’est aussi un « adverbe ou une espèce d’interjection ». Position moyenne fort sage, que n’aurait pas désavouée la langue normande évoquée plus haut, et que l’on se gardera bien de critiquer. On lit en effet dans la sixième édition du Dictionnaire de l’Académie française, à cet article : « Adverbe. Debout, soyez sur vos gardes, prenez garde à vous. Alerte, alerte, soldats. » Près de deux siècles après et trois éditions plus tard, presque rien n’a changé, puisqu’on lit, dans la neuvième édition, à ce même article : « Interjection. Debout, soyez sur vos gardes. Alerte, alerte, soldats ! »
D’alerte, le nom alarme est assez voisin par le sens et par l’origine. Il nous vient en effet lui aussi de l’italien, et c’est encore à une locution, all’arme, « aux armes », que nous devons ce mot. Mais la forme italienne a été à la source d’une légère confusion puisque all’arme a été rapproché d’à l’arme (« que chacun prenne son arme »), donc d’un nom singulier, alors que l’italien arme est un pluriel. Notons qu’aujourd’hui le seul tour en usage en français pour appeler au combat est la forme plurielle « aux armes ». En ce qui concerne la forme à l’arme, c’est essentiellement dans la locution « à l’arme blanche » qu’on la rencontre. Mais s’agit-il d’appeler à se lever en masse et à prendre les armes (et non l’arme), c’est bien « aux armes ! » que l’on crie ou que l’on chante ; depuis plus de deux siècles un hymne national en fait foi.