Dire, ne pas dire

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Adjectifs au lieu de groupes prépositionnels

Le 8 novembre 2012

Emplois fautifs

On ne doit pas procéder à des extensions d’emploi d’adjectifs, qui sont fautives, pour remplacer des tours prépositionnels corrects. Porcin signifie « relatif au porc, qui évoque le porc ». On pourra parler d’yeux porcins, mais on dira un éleveur de porcs et non un éleveur porcin. On dira aussi à juste titre variole équine ou pied équin pour désigner, chez l’homme une malformation du pied, mais on dira un éleveur de chevaux.

Carte électorale s’emploie pour désigner le découpage d’un territoire en circonscriptions et les résultats dans celles-ci. C’est d’ailleurs avec ce dernier sens que l’expression est utilisée par Stendhal dans Lucien Leuwen. Elle ne devrait pas se substituer à carte d’électeur.

 

Depuis

Le 8 novembre 2012

Emplois fautifs

La préposition Depuis a d’abord été utilisée pour introduire un complément circonstanciel de temps : Il est absent depuis lundi dernier. Son emploi s’est étendu à des compléments circonstanciels de lieu se rapportant à un verbe de mouvement : Depuis Lyon, nous avons roulé sous la pluie, et à des constructions corrélatives, généralement avec la préposition Jusqu’à : La France s’étend depuis les Alpes jusqu’à l’Océan. En dehors de ces cas, c’est la préposition De qui marque l’origine et non Depuis.

 

On dit

On ne dit pas

De la tour, vous voyez tout le village

Il l’a salué de sa fenêtre

Des images retransmises de Londres

Depuis la tour, vous voyez tout le village

Il l’a salué depuis sa fenêtre

Des images retransmises depuis Londres

 

Briefer, débriefer

Le 8 novembre 2012

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Les formes anglaises sont issues de l’ancien français Bref, « lettre, message », qui subsiste encore aujourd’hui dans le vocabulaire religieux. Ces deux anglicismes, limités jusqu’à il y a peu, aux mondes diplomatique et militaire, ont gagné ensuite le vocabulaire de l’aviation, du sport, de l’entreprise et sont maintenant entrés dans la langue courante. Il existe en français un grand nombre de verbes et d’expressions qui permettent de se passer aisément de ces anglicismes, ainsi que de leurs dérivés Briefing et Débriefing.

 

On dit

On ne dit pas

Informer ses collaborateurs

Une réunion préparatoire

Faire le bilan d’un match

Une réunion bilan

Briefer ses collaborateurs

Un briefing

Débriefer un match

Une séance de débriefing

 

Jadis et naguère

Le 8 novembre 2012

Expressions, Bonheurs & surprises

Le sens de ces adverbes s’explique par la manière dont ils sont composés. On retrouve dans Jadis « ja », la forme ancienne de Déjà, et dis, « jours », que l’on retrouve dans dimanche, lundi, mardi, etc. Jadis, « il y a déjà des jours et des jours », renvoie à un temps très lointain.

Ainsi, François Villon a évoqué dans la Ballade des dames du temps jadis, que Georges Brassens mettra plus tard en musique, des reines de France qui avaient vécu quelques siècles avant lui.

Naguère, « il n’y a guère (de temps) », indique une époque beaucoup plus proche de la nôtre. On évitera donc de l’employer au sens d’« autrefois, anciennement ».

Dans le recueil de Verlaine Jadis et naguère, paru en 1884, se trouvent des poèmes mêlant ces deux époques, et le fameux et atemporel Art poétique.

 

Cédric D.

Le 8 novembre 2012

Courrier des internautes

Je souhaiterais savoir quel est la prononciation du verbe voir au subjonctif présent et si il est possible de prononcer "voye".

Cédric D.

L’Académie répond

La prononciation de voient est la même à l’indicatif et au subjonctif. On n’y fait pas entendre le son y. Littré signale que dans Le Dépit amoureux, Molière fait du subjonctif voient un mot de deux syllabes. Il ajoute « Ceci est une ancienne prononciation qu’on entend encore fort souvent. Aujourd’hui voient est d’une seule syllabe ».

C’est l’analogie avec les formes voyions et voyiez qui a contribué au maintien de cette prononciation fautive. Mais aujourd’hui, tous les grammairiens sont d’accord avec Littré et veulent la prononciation voi. Il en va de même pour voie.

Défendons nos valeurs !

Le 4 octobre 2012

Bloc-notes

 

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« Défendons nos valeurs ! », « Revenons à nos valeurs ! », « les valeurs de la démocratie et de l’école », « les valeurs chrétiennes de l’Europe » – dans le discours, le recours aux valeurs devient d’autant plus commun que les difficultés de la société conduisent à des crises que l’on ne peut plus dénier. Dans ces emplois, la valeur prend le rang de la règle fondamentale, de la loi morale, du bien et du mal, bref d’une instance normative, indépendante des errances du moment, à laquelle, dans le désarroi général, on pourrait toujours avoir recours.

Il s’agit d’un contresens sur le sens du mot. Car une valeur dépend toujours d’une évaluation, et donc d’un évaluateur. Même la valeur d’un guerrier ou d’un héros, au sens ancien, suppose, pour se manifester, la comparaison avec un autre, moins valeureux. Dans la plupart de ses emplois modernes, la valeur tire son sens d’une valorisation, d’une appréciation : la valeur d’une action en Bourse dépend du nombre d’acheteurs réels ou potentiels rapporté au nombre de vendeurs potentiels ou réels – ce qui reproduit le mécanisme de la valeur des produits sur tout marché. Ce modèle économique, en fait financier, de la valeur ne se développe dans de nouveaux domaines (l’art, les œuvres de l’esprit, mais aussi le travail salarié, les systèmes de protection, la santé, l’éducation, l’image de marque dans l’opinion publique, etc.) qu’à la mesure de l’interprétation de ces domaines selon le système du marché, selon les lois de l’offre et de la demande, selon le qu’en dira-t-on électronique. Notre époque tend à généraliser cette interprétation et l’extension du marché, même aux domaines jusqu’alors non inclus dans l’économie et dans l’échange (le travail non salarié, les relations familiales, etc.), en recule les limites.

Dès lors, les croyances, les opinions et même les idéologies peuvent, par analogie, devenir des valeurs : de fait, il y a un marché des croyances et des opinions que soutient la demande de certains groupes, qui les imposent comme le signe et le résultat de leur propagande ou de leurs pressions. Chaque groupe social vante ses valeurs, combat, pétitionne, manifeste, influence et manœuvre pour elles.

Mais cette logique, bien connue et quotidiennement constatée, définit – et l’on peut se référer ici à Nietzsche – le nihilisme, l’époque où « les plus hautes valeurs se dévalorisent ». Elles ne se dévalorisent pourtant pas parce qu’elles manquent de soutien, puisque le marché des valeurs n’a jamais été plus concurrentiel qu’aujourd’hui. Elles se dévalorisent au contraire parce que nous savons tous que ce qui s’imposera, au terme d’une lutte confuse et arbitraire n’offre que la valeur qu’un groupe social, simplement plus nombreux ou mieux organisé que les autres, aura réussi à imposer. La victoire d’une valeur, quand elle apparaît comme ce qu’elle est, à savoir l’effet d’une force politique et idéologique, signifie donc qu’elle n’a aucune validité en elle-même, mais qu’elle résulte du succès, un temps heureux, de ses évaluateurs. Elle triomphe, mais jamais par elle-même. Elle triomphe, mais, pour cela même, ne vaut rien d’autre que ce que veulent ses soutiens.

On comprend donc que l’affirmation frénétique de nos valeurs confirme le nihilisme autant et même mieux que leur défaite. Dans les deux cas, il ne s’agit que des sous-produits de la volonté de puissance. On comprend que certains aient pu stigmatiser la qualification de valeur comme « le plus grand blasphème » que l’on puisse jamais porter contre une chose. Ni, par exemple, Dieu, ni la liberté, ni la famille, ni même la démocratie ne méritent qu’on les ravale au rang sans honneur de valeurs, ce résidu de la volonté de puissance et de son arbitraire. Mais alors, que sont-elles ? Des réalités, que nul ne peut ni ne doit défendre, mais qui, au contraire, défendent, par leur inébranlable force, interne et irréfutable, ceux qui les honorent. Rien de réel ni de significatif ne s’abaisse au rang d’une valeur. Tout cela nous offre une réalité, qui nous soutient et nous fait nous en réclamer.

Les discours politiques et idéologiques devraient le savoir. Et, puisqu’ils ne le savent pas, le dictionnaire doit le rappeler.

 

Jean-Luc Marion
de l’Académie française

Derrière

Le 4 octobre 2012

Emplois fautifs

Derrière, qu’on l’emploie comme préposition ou comme adverbe, introduit une précision quant au lieu, jamais une indication d’ordre chronologique.

 

On dit

On ne dit pas

Nous écouterons ce candidat puis, ensuite, et après cela, la réponse de son adversaire

 

Et après le plat, à la suite du plat, prendrez-vous un dessert ?

 

Je suis pressé de terminer, j’ai autre chose à faire ensuite, après, par la suite

 

Qu’arrivera-t-il ensuite, après cela ?

Nous écouterons ce candidat et, derrière, la réponse de son adversaire

 

Et derrière le plat, prendrez-vous un dessert ?

 

Je suis pressé de terminer, j’ai autre chose à faire derrière

 

Qu’arrivera-t-il derrière ?

 

Solution de continuité

Le 4 octobre 2012

Emplois fautifs

Pour ne pas être employée fautivement, cette locution doit être rapportée au sens étymologique du mot solution : séparation des parties, destruction, désagrégation, sens qu’a pris aujourd’hui le mot dissolution.

Une solution de continuité est donc une rupture, une interruption de ce qui doit être continu. Une cassure, une fissure, une lacune est une solution de continuité dans quelque corps.

Dire, figurément, Il y a dans son raisonnement, dans cette politique, une solution de continuité signifie qu’on y cherche en vain la continuité, la cohérence, la permanence souhaitées.

Décliner

Le 4 octobre 2012

Extensions de sens abusives

Tout un chacun a décliné un nom, un article, un adjectif, etc. au cours de l’apprentissage d’une langue, morte ou vivante.

Ce verbe Décliner connaît une curieuse fortune dans la langue contemporaine. Le candidat décline son programme politique, Le gouvernement décline les réformes. La publicité nous avertit que l’on décline un produit en plusieurs couleurs, dans une gamme de couleurs, ce qui conduit à décliner une gamme. Ce modèle se décline dans diverses versions.

Le bon sens voudrait que l’on réserve Décliner à la grammaire et que l’on revienne aux verbes Proposer, Présenter, Offrir un choix de, etc.

Être né avec une cuillère d’argent ou avec une cuillère d’or dans la bouche

Le 4 octobre 2012

Expressions, Bonheurs & surprises

Cette expression évocatrice, traduite de l’anglais, est devenue courante. Faisant probablement allusion à la cuillère de métal précieux qu’offrait le parrain en cadeau de baptême, elle évoque l’aisance qui entoure l’enfant dès son plus jeune âge lorsqu’il appartient à une famille opulente, ainsi que les facilités et les avantages que lui procure sa naissance et qui le mettent à l’abri pour toute son existence.

D’autres expressions très anciennes associent à la naissance divers présages heureux ou malheureux : Être né sous une bonne étoile, sous une mauvaise étoile ou Être né coiffé. Deux autres : Être né dans la pourpre et Être né dans la crasse opposent ceux qui semblent destinés au pouvoir et à la richesse à ceux que tout en éloigne.

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