Dire, ne pas dire

Recherche

Nicolas D. (France)

Le 3 mars 2016

Courrier des internautes

Félicitations pour cette belle rubrique qui m’est souvent utile, en tant que « jeune ». J’ai offert les deux livres édités à ma petite sœur devenue récemment professeur de lettres. Mon grand-père était très attaché à notre très belle et si riche langue française et à toutes initiatives pour sa défense. Je ne peux que vous remercier pour vos travaux.

Nicolas D. (France)

L’Académie répond :

Au nom de toute l’équipe de Dire, ne pas dire, merci de vos compliments. Nous essaierons de continuer à en être dignes.

Il ne se départissait jamais de son calme

Le 5 février 2016

Emplois fautifs

Il existait, en ancien français, deux verbes partir. Le plus récent, qui a le sens de « s’en aller », est du troisième groupe et fait au présent je pars, nous partons. Le plus ancien, qui signifiait « faire des parts, diviser », ne se rencontre plus guère qu’à l’infinitif dans l’expression Avoir maille à partir, et dans le participe parti, « partagé », que l’on trouve par exemple en héraldique dans l’expression Écu parti, qui désigne un écu divisé en deux parties égales. En ce sens, partir est un verbe du deuxième groupe et on lit encore chez Pascal : «  Les soldats partissent son manteau et le jettent au sort. » Le verbe se départir est plus proche de l’idée de séparation que de celle de partage. Il se conjugue donc comme partir et non comme répartir.

on dit

on ne dit pas

Elle ne se départ pas d’une certaine réserve

Elle ne se départit pas d’une certaine réserve

Il ne se départait jamais de son calme

Il ne se départissait jamais de son calme

 

Prêt à, près de

Le 5 février 2016

Emplois fautifs

Longtemps l’adjectif prêt put se construire avec la préposition de. On trouve facilement cette construction chez les classiques : « Il tenait un moineau, dit-on / Prêt d’étouffer la pauvre bête / Ou de la lâcher aussitôt/ pour mettre Apollon en défaut… » (La Fontaine, L’Oracle et l’Impie). Après le xviiie siècle, cet usage tend à disparaître, même si prêt de se lit encore chez Proust et semble réconcilier, grammaticalement à tout le moins, Robespierre, qui écrit : « s’il est vrai […] qu’un grand complot est prêt d’éclater.. », et Chateaubriand, chez lequel on lit : « Madame Jérôme Bonaparte, prête d’accoucher… » Aujourd’hui prêt se construit avec à et signifie « préparé pour, disposé à », et l’on écrit près de pour dire que quelqu’un est sur le point de faire quelque chose (sans oublier, bien sûr, que la locution près de indique aussi la proximité spatiale : Il habite près de Paris).

 

on écrit

on n’écrit pas

Elle n’est pas près de l’oublier

Ils sont prêts à venir

Elle n’est pas prête de l’oublier

Ils sont prêts de venir

 

Un des meilleur journal

Le 5 février 2016

Emplois fautifs

Dans le groupe un des, un est un pronom, non un déterminant. Il ne commande donc pas l’accord du nom qui suit. Un des signifie « un parmi les » : le nom ainsi déterminé se met au pluriel. On dira et on écrira donc C’est un des meilleurs journaux et non C’est un des meilleurs journal.

on écrit / on dit

on n’écrit pas / on ne dit pas

Le cobra est un des plus redoutables serpents

Le cobra est un des plus redoutable serpent

C’est un des plus beaux chevaux que j’aie jamais vus

C’est un des plus beau cheval que j’aie jamais vus

 

Olympiade

Le 5 février 2016

Extensions de sens abusives

Le nom olympiade désigne la durée de quatre ans qui, en Grèce antique, séparait la tenue des Jeux olympiques ; la liste des olympiades servait d’ailleurs de référence dans le système de datation des Grecs, qui prenaient comme point de départ la première olympiade, qui commença en 776 avant Jésus-Christ. On ne doit pas confondre ce terme avec les Jeux olympiques comme cela se fait trop souvent depuis la renaissance de ces derniers, en1896.

 

on dit

on ne dit pas

Les jeux olympiques de Paris

Il a participé deux fois aux Jeux olympiques ou à deux Jeux olympiques

L’olympiade de Paris

Il a participé à deux olympiades

 

Judith U. (France)

Le 5 février 2016

Courrier des internautes

Je cherche à savoir la définition d’« attaque personnelle » dans le sens couramment utilisé. Le terme latin correspondant serait plutôt argumentum ad hominem ou bien argumentum ad personam ?

Judith U. (France)

L’Académie répond :

Un argument ad hominem est un argument qui vise personnellement un adversaire, qui tire sa valeur des actes ou des déclarations de la personne visée.

Une attaque personnelle est une attaque qui vise plus une personne pour ce qu’elle est (au point de vue physique, moral, intellectuel) que la valeur de ce qu’elle défend.

À propos d’un mot venu du Sud

Le 7 janvier 2016

Bloc-notes

Dominique Bona

À propos d’un mot venu du Sud

Dans mon enfance, nous habitions un mas au milieu des vignes, un vieux mas catalan. Nous l’appelions « le mas » parce qu’il était unique, incomparable dans nos cœurs – et il l’est toujours. Nous disions « le mas-ss », en faisant siffler le -s final, comme tout un chacun dans le Sud de la France. Un visiteur parisien venait-il à parler du « mâ », ainsi qu’il est d’usage au nord de la Loire, ce Nord qui était pour nous un autre monde, nous trouvions sa prononciation exotique et même, je l’avoue, ridicule. « Le mâ » nous mettait mal à l’aise.

Car « le mas-ss » tant aimé, privé de sa consonne sonore et familière, semblait appauvri. Pire même, par la faute de cette seule lettre manquant à l’oreille, dénaturé. « Le mâ » lui volait son identité solaire, sa part de Méditerranée. Où étaient la terre rouge, la violence de la tramontane, dans ce « mâ » citadin, le parfum des raisins et des figues, la bonne odeur des sarments qui brûlaient l’hiver dans la cheminée de la grande salle, où la vie se déroulait tout entière ? Nous ne le reconnaissions plus. Un « mâ » ne pouvait être pour nous qu’un « mât » de bateau.

La prononciation a toujours été un casse-tête dans la langue française, où se mêlent tant d’influences diverses. Les consonnes finales, pour la plupart, sont muettes, y compris dans ce Midi auquel je reste attachée. On y respecte l’usage : estomac (prononcez -a), escargot (-o), rat (-a). Mais on dit vasistas (-ss), même en pays d’oïl... Mieux vaut ne pas se demander pourquoi. La prononciation des consonnes finales en français se traite au cas par cas. Ainsi dit-on, parmi cent exemples contradictoires, « dessus » (-u), mais « sus » (-ss) dans le sens de « en avant, à l’abordage », encore qu’« en sus », bien vieilli dans le sens de « en plus » (-ss), se prononce plutôt -u... Exubérance de la prononciation ! Les consonnes finales ne s’entendent pas dans « tôt » ni dans « tas », s’entendent dans « neuf » et dans « net ». On peine à s’y retrouver. La plupart du temps, comme le bourgeois gentilhomme, on prononce bien ou mal, mais presque toujours à l’intuition, sans savoir pour quelle raison ni s’il y en a une. Le plus étonnant, c’est que ces variations, loin d’être hasardeuses ou fantaisistes, trouvent chacune leur explication : selon l’étymologie, la règle, l’usage ou même l’époque, la prononciation ayant souvent changé au cours des siècles.

Le mot « mas », d’origine provençale, vient du latin mansum, participe passé de manere, qui signifie demeurer. Il a la même étymologie que « maison ».

Il cousine aussi, par l’étymologie, avec le « manoir », dont la sonorité m’évoque toujours le paysage lugubre des Hauts de Hurlevent.

Ni manoir ni bastide, le mas est une demeure basse, rustique, entourée de terres agricoles arrachées à la garrigue – principalement des vignes, des oliveraies, mais aussi des vergers, quelques prés à moutons. On le trouve exclusivement dans le Sud de la France. Ailleurs, non pas seulement au nord de la Loire, mais dès que l’on quitte le paysage méditerranéen, dans un Sud au climat océanique, comme le Pays basque, on dit une ferme. Une exploitation agricole, si l’on est plus ambitieux, plus moderne. Ou, noblement, un domaine. Il y a souvent un seigneur dans un domaine, il n’y en a jamais dans un mas, ou alors à titre symbolique. Si le mas évoque un monde de paysans, ce sont des seigneurs de la vigne.

Manere : j’aime ce verbe latin. De même que son équivalent français, « demeurer » – trois syllabes aussi –, c’est un mot lent et calme, doux à prononcer. Un mot avec une aura de durée, de stabilité, ou pour mieux dire de permanence (per manere), un mot de fidélité.

A Paris, où je suis arrivée à l’âge des premières dictées, mon accent méridional m’a valu bien des moqueries à l’école – les petites filles sont cruelles. Je l’ai corrigé de moi-même, au plus vite, et ne l’ai plus jamais repris. Mais je le regrette. « L’accent, c’est la fidélité », disait mon père. Fidélité au terroir, à la province. De grands écrivains français ont eu un terrible accent : Colette et Claudel ont roulé les -rrrr jusqu’à leur dernier souffle, d’une manière qui paraissait caricaturale déjà à leurs contemporains. Et Valéry chantait en parlant, sous l’influence de ses racines sétoises, ou peut-être de celles, plus lointaines, d’Erbalunga ou de Gênes. La langue française est avant tout une harmonie.

Rien de plus amusant que de lire un dictionnaire, par la seule entrée de la prononciation. Elle est toujours signalée en premier, avant la nature ou le genre d’un mot, et avant même sa définition : non seulement en italiques et entre parenthèses, mais dans l’écriture phonétique qui a de toute évidence une parenté avec la cabalistique. Ce mystérieux énoncé de phonèmes, il est recommandé d’essayer de le dire à haute voix. Pour entendre la musique du mot – le son exact et primordial, qui va s’accorder avec tous les autres et, après entrée en scène de l’orthographe et de la grammaire, former la phrase idéale, la parfaite euphonie.

Le Midi, pour la prononciation, a une force particulière. Il colle plus souvent qu’à Paris à l’étymologie et aux racines, surtout latines. Le « mas », solide sous les assauts du vent, me semble relever le défi que lui a lancé à l’origine le verbe manere. Plus que maison, plus que manoir, infiniment plus que domaine, c’est lui, ce petit mot provençal d’une seule syllabe, qui reste le plus proche de mansum, le plus exact à lui ressembler. De là vient sans doute que tout « mas » garde pour moi un caractère irréductible. Et un pouvoir rassurant. Avec sa consonne finale sonore, qui dans le Sud résiste et refuse de mourir, ce mot simple, ce très vieux mot m’apporte l’écho de voix chaleureuses, qui ne s’effacent pas.

 

Dominique BONA
de l’Académie française

Éduquer à

Le 7 janvier 2016

Emplois fautifs

Le verbe éduquer eut longtemps mauvaise presse. On lisait à son sujet dans le Dictionnaire de Trévoux : « Terme nouveau qu’on a voulu mettre à la mode : c’est un vrai barbarisme de mots, qui figurerait très bien dans le Dictionnaire Néologique des petits Maîtres et des Précieuses ridicules. » Littré le réhabilita. On regrettera donc de voir ce verbe transitif être malmené aujourd’hui. On éduque des personnes et, par métonymie, on éduque une qualité, une disposition : Éduquer un enfant, éduquer les réflexes, la maîtrise de soi, éduquer le goût artistique. Mais on se gardera bien de construire ce verbe avec un complément indirect, une faute hélas trop largement répandue aujourd’hui.

 

on dit

on ne dit pas

Éduquer le sens de l’équilibre

Éduquer au sens de l’équilibre

 

S’adresser auprès

Le 7 janvier 2016

Emplois fautifs

Adresser se construit avec un complément direct et un complément indirect : Le médecin m’a adressé à un spécialiste. Si ce verbe est à la forme pronominale, la construction reste la même : En cas d’absence, s’adresser au concierge. C’est donc la préposition à qui doit être employée pour introduire le complément d’objet indirect et l’on ne doit en aucun cas lui substituer la préposition auprès.

on dit

on ne dit pas

Adressez-vous au responsable

Adressez-vous auprès du responsable

 

Agoniser d’injures

Le 7 janvier 2016

Extensions de sens abusives

Les langues sont redevables à l’analogie. C’est à ce phénomène que nous devons de nombreuses simplifications ; ainsi disons-nous, à la 1re personne de l’indicatif présent des verbes aider et peser, « aide » et « pèse », et non plus, comme en ancien français, « aiu » et « pois ». Mais ce phénomène est aussi à la source de bien des fautes, parmi lesquelles faisez ou disez. Il peut aussi amener des confusions : on emploie ainsi agoniser, « lutter contre sa fin toute proche », pour agonir, « accabler », alors que ces verbes, du premier et du deuxième groupe, ont des formes différentes : j’agonise et nous agonisons pour le premier ; j’agonis et nous agonissons pour le second. Mais l’on entend trop souvent agoniser d’injures quand c’est agonir d’injures qu’il faudrait employer. Il s’agit d’une faute grossière dont il faut absolument se garder.

on dit

on ne dit pas

Ils m’ont agoni d’injures

Ils m’ont agonisé d’injures

 

Pages