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Faire des gorges chaudes

Le 7 mars 2024

Expressions, Bonheurs & surprises

NOTRE DÉFINITION

Faire des gorges chaudes de quelqu’un, de quelque chose, faire sur son compte, à son propos, des plaisanteries plus ou moins malveillantes.

L’HISTOIRE

L’expression vient de la fauconnerie. Une gorge chaude désigne un animal vivant ou un cadavre encore chaud que l’on donne pour aliment aux oiseaux de proie. Elle apparaît au xvie siècle, au singulier : faire gorge chaude de, et elle signifiait alors « dévorer ». Faire des gorges chaudes de quelqu’un, de quelque chose a pris ensuite le sens de « se moquer de quelqu’un, de quelque chose », par rapprochement avec la locution rire à gorge déployée.

D’AUTRES EXPRESSIONS

D’autres expressions françaises viennent du vocabulaire de la fauconnerie. On parle, par exemple, d’un escroc de haut vol, pour dire qu’il est de grande envergure. L’expression De haut vol, au sens propre, s’applique aux oiseaux qui volent haut, comme le faucon. Avoir de l’entregent s’est d’abord dit, en fauconnerie, d’un oiseau qui ne s’effarouche pas, qui a été, grâce à un dressage particulier, habitué à se tenir au milieu des hommes (entre gens). C’est par analogie que l’expression s’est ensuite appliquée à celui qui sait se conduire dans le monde.

POUR ALLER PLUS LOIN

Gorge a plusieurs sens en français : on a mal à la gorge (partie du corps) et on se promène dans les gorges du Tarn (vallées étroites et encaissées). On retrouve ces deux acceptions du mot dans son étymon latin, gurges, mais organisées en miroir ; le sens spatial est premier : gurges désignait un gouffre, un abîme. Et c’est par analogie et de façon imagée qu’il désignait le gosier. Quand on parle d’un enfant qui engouffre des gâteaux, on utilise la même image.

Gorge, gueule, glouton ont des sonorités proches. Ce n’est pas un hasard : ils remontent tous à une racine indo-européenne *gwel- / *gwer- « avaler », qui a aussi donné vorace et dévorer.

De gorge va être tiré, vers 1450, égorger. Notre Dictionnaire indique toute la violence qui est contenue dans ce verbe : « Tuer un animal en lui coupant la gorge. […] Tuer un être humain en lui tranchant la gorge. […] Tuer, massacrer, spécialement avec une arme tranchante. L’ennemi ne gardait pas de prisonniers, il les égorgeait. » Mais, dans un passage de Pantagruel mettant en scène frère Jean des Entommeures, Rabelais réussit le tour de force de nimber cette tuerie d’innocence et de faire du massacre des blessés, au sens propre, un jeu d’enfants. On y lit : « Les petits moinetons coururent au lieu où était frère Jean, lui demandant en quoi il voulait qu’ils lui aidassent, A quoi répondit, qu’ils égorgetassent ceux qui étaient portés par terre. Adoncques […], commencèrent d’égorgeter et achever ceux qu’il avait déjà meurtris. Savez-vous de quels ferrements ? A beaux gouvets, qui sont petits demi-couteaux dont les petits enfants de notre pays cernent les noix. »

Sous sa plume, le verbe égorgeter, dont la violence est encore atténuée par la finale de l’imparfait du subjonctif, devient une forme d’hypocoristique, de terme caressant. Notre auteur poursuit dans cette voie en multipliant les diminutifs : les petits moinetons et les petits demi-couteaux. Ces derniers vont pourtant faire de l’achèvement des prisonniers un supplice atroce et, dans un retournement tout rabelaisien, dans ce nouveau massacre des innocents, les innocents ne sont plus les victimes mais les exécuteurs.

« Top down » pour « Vertical, Hiérarchique »

Le 1 février 2024

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

La locution adjectivale anglaise top down, « de haut en bas », qualifie un système caractérisé par la verticalité des décisions, une hiérarchie très stricte et une absence de collégialité. On la rencontre en français dans des textes traitant de modes de gouvernement ou de management ; pourtant, notre langue dispose déjà d’adjectifs susceptibles de qualifier ce type d’organisation, parmi lesquels vertical, hiérarchique, hiérarchisé, qu’il est possible de modaliser à l’aide d’adverbes d’intensité et qu’il serait dommage de ne pas employer.

Étonnante chandeleur

Le 1 février 2024

Expressions, Bonheurs & surprises

Le nom chandeleur mérite particulièrement notre attention. D’abord parce que, après avoir figuré dans les sept premières éditions de notre Dictionnaire, il fut étonnamment banni de la huitième avant de reprendre sa place dans la neuvième édition. De plus, alors que les étymologies sont une nouveauté de la présente édition, l’origine de ce nom était déjà donnée dans celle de 1694. On y lisait en effet : « La feste de la Purification de la Vierge, ainsi nommée à cause que ce jour-là il se fait une procession où tout le monde porte des cierges. » La neuvième édition ajoute quelques précisions à cette étymologie : « du latin populaire candelorum, par ellipse de festa dans l’expression festa candelorum, fête des chandelles ». Point n’est besoin d’être grand clerc ni d’être particulièrement versé dans les études latines pour reconnaître dans ce candelorum un génitif pluriel. Et c’est ce génitif qui fait de ce mot une curiosité linguistique.

En effet, les noms français sont issus le plus souvent de l’accusatif latin ou, plus précisément, du cas régime de l’ancien français. Voici pourquoi : en passant du latin classique à l’ancien français, le nombre des cas grammaticaux s’est réduit de six à deux, d’une part le cas sujet, qui regroupait le nominatif et le vocatif, d’autre part le cas régime, qui cumulait les fonctions imparties en latin à l’accusatif, au génitif, au datif et à l’ablatif. Ce cas régime était donc naturellement le plus fréquent et c’est de lui que viennent l’immense majorité des noms. Il en est cependant quelques-uns qui sont issus du cas sujet, le plus souvent en concurrence avec un autre tiré du cas régime. Ce sont en général des noms qui étaient mis en apostrophe : on disait ainsi Sire, voulez-vous… ? mais Il parle au seigneur. Sur ce modèle étaient bâtis les couples maire/majeur, pâtre/pasteur, geindre/junior, nonne/nonnain, pute/putain ou encore copain/compagnon.

Une poignée de termes de notre langue viennent, eux, d’ablatifs latins mais, même s’ils ont été parfaitement intégrés à notre langue, on peut considérer qu’il s’agit encore de mots latins. Ce sont par exemple folio, illico, recto, verso, sans oublier la liste primo, secundo, tertio, quarto, quinto, sexto, septimo, octavo, ni les pluriels quibus et rébus (malgré son accent). Omnibus est, lui aussi, rare puisque c’est un datif.

Notons, pour conclure, que si chandeleur semble bien être le seul nom français issu d’un génitif latin, il n’est pas le seul mot dans ce cas : le pronom personnel leur est issu du pluriel latin illorum, génitif du pronom adjectif de 3e personne ille. Cela ne doit point nous étonner, les pronoms sont en effet les cœlacanthes de la morphosyntaxe, des fossiles vivants, puisqu’ils sont les seuls mots de notre langue qui changent de forme quand ils changent de fonction, c’est-à-dire les seuls qui, aujourd’hui encore, se déclinent.

Renard, grenouille et autres bestioles

Le 1 février 2024

Expressions, Bonheurs & surprises

Certains noms d’animaux sont à l’origine de quelques-uns de nos verbes, en particulier quand ils ont le sens de « mettre bas ». Ils sont tirés tantôt du nom de la mère, comme chienner, lapiner ou chatter, tantôt du nom du petit, comme pouliner, vêler, chevreauter, agneler, sans oublier chatonner, variante de chatter.

Il en existe d’autres qui notent qu’un individu adopte les manières d’un animal, comme renarder, « user de ruses », puisque la ruse est l’apanage du goupil. Le verbe louper vient lui aussi du nom d’un animal, le loup, mais de façon moins transparente : la voracité et la faim insatiable qu’on lui prête ont fait qu’on a jadis donné le nom de loup à une dette, car notre animal semblait en permanence être en manque de nourriture et toujours prêt à en emprunter. Loup a ensuite désigné une dette non remboursée et enfin une malfaçon, un travail raté. C’est à ce dernier sens de loup que nous devons notre verbe louper. Le cas de bouquiner est à part car il existe deux formes homonymes. La première désigne l’activité de qui fréquente les bouquinistes ou lit de vieux livres, et est dérivé de bouquin, nom apparenté à l’anglais book et à l’allemand Buch. Mais il existe un autre verbe bouquiner, dérivé d’un autre nom bouquin ; ce dernier, qui peut désigner un bouc, un lapin ou un lièvre est tiré de bouc. Dans ce cas, bouquiner a un tout autre sens puisqu’il signifie, s’agissant de ces trois espèces, « couvrir une femelle ».

Le mode de déplacement des animaux est également à l’origine de plusieurs verbes. Au nombre de ceux-ci, dérivé de cavale, on trouve cavaler, qui signifie « poursuivre ou fuir à la vitesse d’une jument » et, par extension, « courir filles et garçons ». Cavaler a supplanté l’ancien verbe chevaler, qui avait les mêmes sens, mais qui signifiait aussi, figurément, « faire des allées et venues, comme un cheval de manège ». Ce sens était illustré ainsi dans la première édition de notre Dictionnaire : « J’ay chevalé plus de six mois pour cette affaire ». À cette liste, il convient d’ajouter cabrioler, « faire des bonds », d’abord attesté sous la forme caprioler, verbe dérivé du nom cabriole, autrefois écrit capriole, et donc plus proche de l’italien capriola, dont il est tiré et qui désigne la femelle du chevreuil.

Parmi ces animaux, il faut faire une place particulière au crapaud. En effet, on a longtemps employé le verbe crapauder, « se déplacer comme un crapaud » ; ce dernier est aujourd’hui supplanté par crapahuter, qui fut d’abord employé dans l’argot militaire et est maintenant passé dans la langue commune avec le sens de « marcher, progresser en terrain varié et difficile ». Ce verbe est dérivé de crapahut, nom créé par les saint-cyriens, qui s’amusèrent à prononcer crapaud avec une diérèse, et qui désignait des exercices de gymnastique et de reptation. La lexicographie est fort redevable à notre animal puisqu’on lui doit aussi, outre crapauder et crapahuter, le terme crapoter, proprement « fumer comme un crapaud », que l’on emploie pour parler de qui fume maladroitement et sans avaler la fumée. Ce rapprochement entre le fait de fumer et notre batracien a sans doute été favorisé par une légende qui disait encore naguère que si l’on plaçait une cigarette dans la bouche d’un crapaud, celui-ci, incapable de s’en débarrasser, avalait tant de fumée qu’il ne pouvait recracher, qu’il finissait par exploser, faisant de notre crapaud fumeur un lointain parent de la malheureuse grenouille de La Fontaine. C’est avec cette cousine de notre crapaud que nous allons conclure. De grenouille sont tirés deux verbes, le premier, par antiphrase, puisque les grenouilles étaient supposées boire beaucoup d’eau, signifiait, comme on le lisait dans la première édition de notre Dictionnaire, « Yvrogner ». Ce verbe y était illustré par ces exemples : « Cela est vilain de s’amuser à grenoüiller comme vous faites. Il est tousjours dans les cabarets à grenoüiller. » Mais il existe un autre grenouiller, qui signifie, par référence aux eaux souvent troubles et boueuses dans lesquelles on trouve nos batraciens, « intriguer, manœuvrer, créer de la confusion pour favoriser un dessein ou obtenir quelque avantage ».

Dominique M. (France)

Le 1 février 2024

Courrier des internautes

On m’a dit que le nom capucin venait de capuce, mais que signifie ce dernier mot ?

Dominique M. (France)

L’Académie répond :

Madame, Monsieur,

Le nom capuce désigne particulièrement le capuchon taillé en pointe que portent certains moines. Le capuce est une sorte de cuculle ; ce nom rare désigne, lui aussi, un capuchon de moine, mais la cuculle n’est pas obligatoirement taillée en pointe et peut aussi désigner, outre le scapulaire des Chartreux, l’ancien vêtement monastique qui couvrait à la fois la tête et le corps, également appelé coule.

Il est inexact de dire que capucin vient de capuce. Les deux mots ont été indépendamment empruntés de deux noms italiens : capucin, de capuccino, « porteur de capuce ; capucin », et capuce, de capuccio, « capuche, capuchon, capuce ». Mais capucin, d’abord écrit capussin, (chez Rabelais), apparaît en français environ soixante-dix ans avant capuce.

«La distance est-elle proche ?

Le 8 janvier 2024

Emplois fautifs

Le nom distance désigne un intervalle que l’on peut déterminer et qui sépare deux points de l’espace, deux éléments donnés. Cette distance est une longueur mesurable, qui pourrait s’exprimer en mètres, en kilomètres, etc. En fonction de cette longueur, on dira donc que la distance est considérable, importante, grande, moyenne, petite, réduite, minuscule, mais on n’emploiera pas pour la qualifier des adjectifs comme proche, lointaine ou éloignée, puisque ce sont les deux points, les deux éléments séparés par cette distance qui le sont, et non la distance elle-même.

Wedding planner

Le 8 janvier 2024

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Le mariage est souvent présenté comme le plus beau jour de la vie de ceux qui convolent. Il importe donc que tout soit parfait, et pour ce faire, les futurs époux ont parfois recours à un « organisateur de mariage ». Cette mode venue des États-Unis a entraîné avec elle l’arrivée d’un nouvel anglicisme : wedding planner. Le mariage serait-il moins réussi si on employait la forme française équivalente, que l’on rencontre d’ailleurs déjà dans l’usage ?

Jean-Luc C. (Domfront)

Le 8 janvier 2024

Courrier des internautes

Comment doit-on prononcer le u dans le verbe aiguiser ?

Jean-Luc C. (Domfront)

L’Académie répond :

Monsieur,

La prononciation du verbe aiguiser a été source de nombreux débats. Dans son Dictionnaire critique de la langue française (1787), Féraud écrit que l’on doit prononcer [éghizé]. Un peu moins d’un siècle plus tard, Littré propose une autre prononciation dans son Dictionnaire de la langue française : « [è-güi-zé] et non, comme quelques-uns prononcent, [èghizer ». Encore un siècle, et Albert Dauzat écrira : « La prononciation classique de ce mot est [è-gu-i-zé] dans laquelle le radical aigu doit se faire entendre comme dans aiguille. La prononciation [é-ghi-zé], particulièrement répandue en région parisienne, est due à une erreur de lecture. » Sur ce point, l’Académie ne suit pas Littré, puisqu’elle considère que la prononciation de ce terme est régulière (contrairement à celle d’aiguille, par exemple, dont la prononciation est notée depuis la 5e édition). Nous emprunterons donc notre conclusion à l’Encyclopédie du bon français de Dupré : « L’on ne doit proscrire absolument ni l’une ni l’autre. » Notons enfin que le digramme ai- que l’on trouve au début du mot est aujourd’hui prononcé avec un son intermédiaire entre le é fermé et le è ouvert.

Un tutoriel : « des tutoriels » ou « des tutoriaux »

Le 7 décembre 2023

Emplois fautifs

Au Moyen Âge les mots en -el eurent un pluriel en -eux ou en -eus. On écrivait ainsi tieus quand nous écrivons tels. Nous avons conservé quelques traces de ce phénomène avec cieux et cheveux. La forme ancienne de ce dernier au singulier était en effet chevel et son pluriel cheveux. Mais comme ce nom s’employait beaucoup plus souvent au pluriel, on a refait, à partir de ce dernier, un singulier cheveu. Aujourd’hui les pluriels des mots en -el sont, de façon régulière, en -els. On dit donc un tutoriel, des tutoriels et non des tutoriaux, comme on l’entend parfois.

« Donne-moi-s-en » ou « Donne-m’en »

Le 7 décembre 2023

Emplois fautifs

Pour éviter le hiatus entre une forme verbale et un pronom, ou entre deux pronoms, le français ajoute entre eux, dans certains cas, des consonnes euphoniques ; ce peut être un t, comme dans mange-t-elle bien ? ou un s, comme dans manges-en deux. Dans d’autres cas, on élide le pronom. Ainsi, à la 2e personne du singulier de l’impératif, à la forme positive, on écrit va-t’en ou retourne-t’en. Sur ce même principe, on écrit donne-m’en. C’est cette forme qu’il faut employer, même si la tentation peut être forte d’utiliser, par analogie avec donne-nous-en, les formes donne-moi-s-en ou donnes-en-moi. Rappelons enfin que si le pronom en commande l’élision du pronom qui le précède, il n’en va pas de même avec la préposition homonyme en. On dit donc, par exemple, donne-moi en priorité …, retourne-toi en partant.

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