Dire, ne pas dire

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Retour au sens de Réponse, réaction, commentaire

Le 4 mai 2017

Extensions de sens abusives

Le nom retour est polysémique. Il désigne, entre autres, le fait de revenir à son point de départ ou à un état antérieur ; il désigne aussi le fait de renvoyer une chose à son expéditeur. C’est ce dernier sens qu’il prend dans l’expression répondre par retour du courrier ou, simplement, par retour. À partir de cette expression, on a parfois étendu le sens de retour pour en faire un synonyme de réponse, voire de réaction ou de commentaire. Il s’agit d’une extension abusive, qui ne répond à aucune nécessité puisque les formes citées conviennent mieux.

 

on dit

on ne dit pas

J’espère avoir une réponse favorable

Il craint des réactions négatives

Ils se sont attiré nombre de commentaires peu flatteurs

J’espère avoir un retour favorable

Il craint des retours négatifs

Ils se sont attiré nombre de retours peu flatteurs

 

Le paysan, la paix et le bernard-l’ermite

Le 4 mai 2017

Expressions, Bonheurs & surprises

Les noms paysan et paix, si étonnant que cela puisse paraître, appartiennent à une même vaste famille. À l’origine de ces formes, une base indo-européenne *pa(n)g-, présente dans le latin pangere, « ficher en terre, enfoncer », et dans pagus, qui désigne une borne fichée dans le sol. Du premier dérivent le verbe propagare et le nom propagatio, qui désigne une technique agricole consistant à coucher une branche ou une tige en terre pour lui faire prendre racine ; on la sépare ensuite de la tige mère et l’on multiplie ainsi les plants. C’est de ces mots que sont issues les formes provin, provigner et provignage, utilisées en viticulture, et leurs doublets plus courants propager et propagation. Le nom pelle est lié, lui aussi, à cette racine. Il est issu du latin pala, dérivé du verbe pangere, qui désigne d’abord ce qu’on enfonce. Ce nom pala a un pendant masculin, palus, à l’origine des deux formes pieu et pal, et donc, de manière plus lointaine et par l’intermédiaire d’une forme trepalium, « à trois pieux », à l’origine du nom travail, qui, rappelons-le, a d’abord désigné un instrument de torture composé de trois pieux, puis un système destiné à immobiliser les chevaux que l’on veut ferrer ou soigner.

De manière plus surprenante cette racine est aussi à l’origine du nom page. Dans son De Significatione verborum, « Le Sens des mots », le grammairien latin Pompeius Festus donne deux étymologies possibles de ce nom : « On dit les pages (paginae) parce que dans les livres, elles occupent chacune leur place comme les villages (pagi) ou ce nom vient de pangere, parce qu’on y empreint les vers, c’est-à-dire qu’on les fixe en elles. »

Revenons donc à nos bornes ; comme elles servaient à délimiter des champs et des habitations, par métonymie pagus en est en effet venu à désigner des villages, voire des cantons : ainsi le pagus abrincatinus désignait l’Avranchin, le pagus bellojocensis le Beaujolais, etc. Pagus s’est conservé sous cette forme en français, au sens de district rural de l’Antiquité et du Moyen Âge, et il est l’un des très rares noms (avec acinus, naevus et oculus) à avoir conservé son pluriel latin en -i. Le nom latin pagus a eu plusieurs dérivés : parmi ceux-ci l’adjectif pagensis, qui qualifie d’abord celui qui habite la campagne et cultive la terre, et c’est de ce dernier que nous vient le substantif paysan. Pagensis est aussi à l’origine de pays, qui a désigné un espace rural délimité avant d’être un État. Le sens de ce nom s’est ensuite étendu jusqu’à celui de « compatriote », sens qui est à l’origine des formes françaises pays, payse, employées pour désigner quelqu’un qui vient du même village, de la même région que soi. Mais de pagus est aussi dérivé paganus, « païen ». Le passage de l’un à l’autre s’explique de deux manières : d’une part parce que les villes furent christianisées avant la campagne. C’est l’explication de Littré qui écrit que païen vient du latin paganus, « paysan », parce que le paganisme persista plus longtemps parmi les gens de la campagne. Dans son Dictionnaire du latin chrétien, Albert Blaise ajoute une autre explication : « On appelait les civils pagani, par opposition aux militaires. Comme les clercs s’appelaient milites Christi (les soldats du Christ), le nom pagani désignait les païens. » Dans une lettre saint Augustin explique qu’il est synonyme de l’ancien sens de gentil : quos vel gentiles, vel iam vulgo usitato vocabulo paganos appellare consuevimus, « ceux que nous avons l’habitude d’appeler gentils ou, avec le nom maintenant en usage, païens ».

Poursuivons notre voyage parmi les dérivés de pangere avec le verbe pacere, qui signifiait « fixer une convention entre deux parties belligérantes » : de ce verbe ont été tirés les noms pactum, à l’origine du français pacte, et pax, qui, avant de désigner l’état de paix, a d’abord eu un sens plus actif, celui d’établissement d’une convention. Ce qui nous permet de constater que si l’expression ficher la paix relève d’une langue très populaire, elle n’en est pas moins parfaitement justifiée étymologiquement parlant. C’est aussi de pax que nous est venu, par l’intermédiaire du verbe pacare, le verbe payer, c’est-à-dire « ramener la paix, apaiser des adversaires en versant une compensation financière ».

Pour conclure cet inventaire à la Prévert, ajoutons-y non pas un raton-laveur, mais un bernard-l’ermite. Le nom scientifique de ce crustacé est en effet pagure, mot emprunté du grec pagouros, qui est composé à l’aide de ouros, « queue », et du verbe pêgnunai, qui, comme pangere, signifie « ficher, enfoncer », notre animal étant ainsi nommé parce qu’il s’enfonce par la queue dans la coquille vide de quelque gastéropode…

 

Éloge de l’oignon

Le 6 avril 2017

Bloc-notes

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À qui appartient la langue française ? À personne, bien entendu. Ou plutôt à chacun d’entre nous, puisqu’elle est notre bien commun, que nous en sommes les dépositaires. Ni des linguistes péremptoires, ni des conseillers pédagogiques grisés de leur pouvoir, ni même une sémillante ministre de l’Éducation ne sauraient la tripatouiller ou se l’approprier de leur seule initiative. Ils ne disposent d’aucune légitimité pour cela. Leur seul devoir, si du moins ils en étaient capables, serait au contraire de la préserver et d’en assurer la meilleure transmission possible, d’une génération à l’autre. Pas davantage. Ont-ils voulu il y a peu de temps, par un étrange coup de force, imposer des changements orthographiques que personne ne leur demandait à propos de quelques dizaines ou centaines de mots, la réponse la plus aimable qu’ils auraient alors méritée aurait tenu en une simple locution : « Occupez-vous de vos oignons ! »

Les oignons précisément !

Comme je les aime, ces braves, ces méritoires oignons qui ne demandaient rien à personne et que l’on a voulu malmener en dépit de leurs bons et loyaux services ! Qu’ils soient blancs, violets ou jaunes, ils donnent de l’esprit à nos plats. Font-ils pleurer quand on les épluche, ils nous mettent tout de même au comble du bonheur. Vous serez aux petits oignons, n’est-ce pas ? On les déguste aussi en tartes ou en soupes. Depuis le xive siècle, ils s’écrivent avec un « i » qui, en principe, ne se prononce pas – ce « i » semblable à une pelure dont cette plante potagère de la famille des Liliacées n’est pas avare.

Il faut se pencher sur eux. Préserver leur goût. Conserver leur fraîcheur originelle. Veiller sur toutes ces couches qui les constituent et dont le « i » fait donc partie ! Au diable les manipulations génétiques ou orthographiques issues de je ne sais quel laboratoire ou quel ministère, dont ils sont les victimes ! Mangeons bio et écrivons bio, par pitié ! Plus qu’un devoir de français, c’est une exigence de santé publique.

Comme les oignons, la langue est un organisme vivant. Qui ne cesse d’évoluer, de rejeter des peaux mortes. Il faut l’entretenir, l’enrichir, accompagner son développement, veiller à son bon usage – et telle est, en particulier, la mission de l’Académie française. Mais il ne faut surtout pas la violenter.

Convenons-en : le « i » d’oignon aurait pu tomber naturellement au fil des siècles, comme « montaigne » est devenu « montagne », « besoigne » « besogne » ou « roignon » « rognon », et nul n’y aurait trouvé à redire. Dans les propositions de rectification de l’orthographe de 1990, la graphie « ognon » avait été reconnue comme non fautive, sous réserve que l’usage, comme pour d’autres mots, l’entérine.

Mais voilà, il n’en a rien été.

Sur nos marchés, les maraîchers continuent à faire de la résistance. Ils vendent leurs bottes d’oignons comme ils l’ont toujours fait. Ils ne veulent pas qu’on dénature leurs produits ou la façon de les écrire, c’est la même chose. Conservateurs, ils ne le sont pas. Pour preuve, ils réprouvent l’usage des conservateurs comme des colorants et autres pesticides dans leurs légumes. Mais fidèles, oui, ils se revendiquent ainsi. Ils continuent de tracer bravement à la craie le mot « oignons » sur leurs ardoises. Leur révolte n’est pas élitiste. Elle est populaire.

Aucun doute, il faut les soutenir, il faut se placer derrière eux. En rang d’oignons, cela va sans dire. Et bon appétit !

Frédéric VITOUX
de l’Académie française

Demander à ce que

Le 6 avril 2017

Emplois fautifs

Le tour demander à ce que est assez récent. Au début du vingtième siècle, il ne figurait dans aucun dictionnaire. Quand il apparaît, à son sujet grammatici certant, « les grammairiens débattent ». Certains le considèrent comme fautif. Quelques-uns, moins sévères, constatent bien que la locution conjonctive à ce que résulte d’un étrange mélange entre la construction où l’objet est une subordonnée complétive (demander que l’on se taise) et celle où l’objet est un infinitif prépositionnel (demander à sortir), mais n’en blâment pas pour autant l’usage. D’autres enfin proscrivent ce tour en signalant qu’il est inutilement lourd. Nous partageons ce point de vue et nous rappellerons donc que demander à ce que n’ajoute rien au sens de demander que et que, en matière de langue, le plus souvent, entre deux mots ou locutions, il faut choisir les moindres.

 

on dit

on ne dit pas

Je demande qu’on m’apporte le journal

 

Le professeur demande que les élèves soient à l’heure

Je demande à ce qu’on m’apporte le journal

Le professeur demande à ce que les élèves soient à l’heure

 

Compréhensible au sens de Compréhensif

Le 6 avril 2017

Extensions de sens abusives

Les adjectifs compréhensif et compréhensible sont attestés depuis plusieurs siècles dans notre langue ; l’un et l’autre viennent du latin, le premier de comprehensivus, « qui comprend, qui contient », le second de comprehensibilis, « qui peut être saisi, concevable, compréhensible », deux formes qui dérivent de comprehendere, « saisir ensemble », puis « saisir par la pensée, comprendre ». En français compréhensible signifie « qui peut être compris », et compréhensif « qui a la faculté de saisir par l’esprit » (une intelligence compréhensive), puis « qui juge avec indulgence ». Ces deux termes ne sont donc pas synonymes et un texte où l’on emploierait l’un pour l’autre serait bien peu compréhensible.

 

on dit

on ne dit pas

Un message difficilement compréhensible

Il a la chance d’avoir des parents très compréhensifs

Un message difficilement compréhensif

Il a la chance d’avoir des parents très compréhensibles

 

Autour du pied

Le 6 avril 2017

Expressions, Bonheurs & surprises

Les noms français en rapport avec le pied proviennent dans leur grande majorité du latin pes, pedis, à commencer, justement, par pied, ou du grec pous, podos. On retrouve, dans le premier cas, l’élément de composition péd- ou -pède selon que cet élément est en début de mot, comme dans pédicure ou pédiluve, ou en fin de mot, comme dans lagopède, oiseau encore appelé « perdrix des neiges » et dont les pattes duveteuses ressemblent à des pattes de lièvre, ou dans palmipède. Il en va de même avec la racine grecque pod(e), que l’on retrouve dans podologue ou podomètre, mais aussi dans myriapodes, animaux que l’on connaît mieux sous le nom de millepattes. Mais il existe de nombreux autres mots issus du latin ou du grec, dont le rapport avec le pied est moins évident. Ainsi le nom piège est issu du latin pedica, qui désignait un système de liens et d’entraves dans lequel se prenait celui qui y mettait le pied. Ce nom avait un parent : le verbe pedicare, « prendre au piège », qui se trouve être le lointain ancêtre de notre verbe piger, « saisir, comprendre». De ce verbe dérive impedicare, « entraver, faire tomber dans le piège », d’où est issu le français « empêcher ». Impedicare avait un antonyme expedire, dont le sens premier est « dégager le pied des liens qui l’entravent » ; c’est de lui que viennent, entre autres, les noms expédients et expédition. Autre dérivé du latin pes, pedis, la forme médiévale pedagium ; elle désignait d’abord ce dont il fallait s’acquitter pour être autorisé à mettre le pied en quelque endroit, c’est-à-dire un droit de passage et elle est ainsi à l’origine de notre péage qui, contrairement à ce qu’on croit souvent, n’est pas étymologiquement rattaché à l’idée de paiement. Quant à l’adjectif pédestre, il est lui emprunté de pedester, « qui est à pied », puis « qui appartient à l’infanterie ». Mais comme, dans l’Antiquité, ceux qui avaient les moyens de posséder et d’entretenir un cheval, les cavaliers à Athènes et les chevaliers à Rome, appartenaient à la classe dominante, ceux que leur manque de fortune obligeait à combattre à pied étaient peu considérés : pédestre a donc eu dans la langue populaire un doublet, l’adjectif piètre. Le terme piétaille, issu du latin médiéval peditalia, « infanterie », comporte lui aussi une connotation péjorative. Le mépris de la cavalerie pour l’infanterie apparaît sous une autre forme dans les noms infanterie et fantassin, qui l’un et l’autre viennent de l’italien infante, « petit garçon », puis « jeune soldat ». On notera d’ailleurs avec amusement que l’infanterie, qui est une des composantes principales de « la grande muette », comme on surnomme parfois l’armée, tire son nom, par l’intermédiaire de l’italien infante, du latin infans, dont le sens premier est « qui ne parle pas ».

Dans cette série en lien avec le pied, il faut aussi mentionner l’histoire du mot pedigree ; ce nom d’origine anglaise a le sens de « généalogie » et de « document attestant d’une filiation », mais il a été emprunté, sous les formes pedegrewe, pedigrew ou pedegru, au moyen français pié de grue, désignant la marque faite de trois traits de plume que l’on trouve dans les ouvrages généalogiques pour indiquer une filiation, et qui sont semblables aux traces de pattes de cet oiseau.

Venons-en maintenant à quelques formes d’origine grecque, qui se sont fortement transformées durant leur voyage jusqu’au français. Ainsi podion, « petit pied », est passé en latin sous la forme podium, avec le sens de « soubassement » : le français l’a emprunté ainsi, mais podium a aussi un doublet populaire peu reconnaissable, puy, qui se rencontre essentiellement dans des toponymes. De son côté, le nom franco-normand pieuvre, entré dans la littérature grâce aux Travailleurs de la mer de Victor Hugo, est une altération du latin polypus, « poulpe », forme empruntée du grec polupous, également à l’origine de polype, et qui signifie proprement « qui a plusieurs pieds ». Trapèze nous vient, lui, par l’intermédiaire du latin trapezium, du grec trapezion, diminutif de trapeza, « table » et, proprement, « qui a quatre pieds ».

Concluons en signalant que la racine indo-européenne à l’origine du grec pous et du latin pes a aussi donné le germanique fotu, d’où est tiré l’anglais foot, auquel nous devons le football, et que c’est encore cette racine que l’on retrouve dans les patronymes Agrippa et Œdipe. Le premier signifie en effet proprement « (qui est né) les pieds (pa) en avant (agri) » ; le second, Oidipous en grec, signifie, lui, « aux pieds enflés ». En effet ses parents, de crainte que l’oracle prédisant qu’il tuerait son père et épouserait sa mère ne s’accomplisse, l’avaient abandonné, à peine né, sur le mont Cithéron après lui avoir fait percer les chevilles.

C’est cette mutilation qui aurait provoqué l’enflure de ses pieds.

 

Didier P. (France)

Le 6 avril 2017

Courrier des internautes

Lorsque je cherche à remplacer « à la toute fin » par « tout à la fin » (indication que j’ai trouvée dans la Banque de dépannage linguistique), un interlocuteur sur la Toile me rétorque que cette source est québécoise et ne représente pas la norme. Qu’en est-il ?

Didier P. (France)

L’Académie répond :

On peut parfaitement employer tout à la fin (comme tout au début et au tout début). La locution adverbiale à la fin est en effet susceptible d’être modifiée par un adverbe : juste à la fin, presque à la fin, tout à la fin.

On lit chez Sainte-Beuve : « D’Aubigné, tout à la fin de sa vie, publia des psaumes en vers métriques... »

Et, pour autant que je sache, Sainte-Beuve (1804 - 1869) n’a jamais été soupçonné d’abuser des québécismes.

Les murs d’Alger

Le 2 mars 2017

Bloc-notes

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Lors d’une tournée de conférences dans les principales villes d’Algérie, j’ai constaté le regain d’intérêt pour la langue française (après les années où elle avait été quasiment proscrite) et le succès auprès du public des trois volumes de Dire, ne pas dire. Mais, aussi, la perplexité de ce public. Les auditeurs, dont la plupart (ceux qui intervenaient en tout cas) parlaient un excellent français, s’inquiétaient de l’ignorance où l’on était à Paris de leurs problèmes spécifiques. « La langue française, est-ce uniquement celle qu’on parle chez vous ? Nous l’avons étudiée, nous l’aimons, mais songez-vous à tenir compte de sa situation en Algérie ? » Le français, langue du colonisateur... Lors de son discours de réception à l’Académie française, Andreï Makine a exposé quelles difficultés intérieures avait rencontrées la romancière Assia Djebar pour écrire ses livres dans cette langue. De nos jours encore, les Algériens ne peuvent accepter pleinement celle-ci que revisitée par eux, amendée, relevée, enrichie de leurs propres innovations. L’époque est révolue où les seuls mots maghrébins passés en français désignaient des choses ou des notions jugées peu flatteuses : un « chouïa », le « bled », un « clebs », « maboul », « smala », « gourbi ».

Le français d’Algérie, nécessairement contaminé par l’arabe et par le berbère, est riche de potentialités que nous aurions tort d’ignorer. Un chauffeur de taxi est pour eux un « taxieur ». Parmi leurs néologismes, j’ai retenu surtout deux mots, pour leur pertinence autant que pour leur saveur. Ceux de leurs compatriotes qui s’expriment mal –, c’est-à-dire ne parlent correctement ni le français, ni l’arabe, ni le berbère – ils les appellent des « zérolingues ». Ce sont les mathématiciens arabes qui ont introduit le zéro dans la numération, et les Arabes d’aujourd’hui ont bien le droit de l’utiliser pour composer de nouveaux mots. N’aurions-nous pas envie de dire, nous, en France : « Taisez-vous, zérolingue ! » à tel présentateur de télévision ou de la radio ignorant qui nous inonde de son sabir, quand ce n’est pas un ministre lui-même ? Et puis, pour le voyageur surpris, quand il débarque à Alger, par le nombre de jeunes hommes qui restent toute la journée, désœuvrés mais debout, appuyés contre un mur, dans l’attente interminable d’une chance qui ne viendra jamais, quel étonnement de découvrir un mot approprié à leur résignation. Ce sont des « haïtistes ». De « haïté », qui signifie « mur » en arabe. Le « haïtiste » est celui que le chômage cloue au mur. « Haïtiste », un mot qui résume dans sa brièveté poétique les problèmes sociaux, la douleur, les aspirations impossibles d’un peuple attaché à son pays mais qui n’a d’autre espoir que d’émigrer.

 

Dominique Fernandez
de l'Académie française

Made for sharing. Pierre de Coubertin, reviens, ils sont devenus fous

Le 2 mars 2017

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Made for sharing. Pierre de Coubertin, reviens, ils sont devenus fous

Nous avons publié récemment la lettre d’un Québécois ayant séjourné à Paris et se plaignant du nombre d’anglicismes qui se lisaient sur les devantures des boutiques. Nous recevons beaucoup de lettres de ce type dans lesquelles nos correspondants, français ou étrangers, déplorent cette mauvaise pratique. Que dire alors du made for sharing destiné à promouvoir la candidature de Paris pour l’organisation des Jeux olympiques de 2024 ? A-t-on à ce point honte de notre langue que l’on n’ose l’employer ? Pense-t-on entraîner l’adhésion de tout un peuple à ce projet en refusant de s’exprimer dans sa langue ? N’y a-t-il nul autre moyen, pour se distinguer de son principal concurrent, que de lui emprunter sa langue ? Est-il logique de se dire fait pour partager si l’on ne veut pas communiquer dans sa propre langue ? N’est-ce pas traiter par le mépris tous les francophones étrangers qui aiment cette langue ? N’est-ce pas oublier que l’article 24 de la Charte olympique précise que les langues officielles du Comité international olympique sont le français et l’anglais ? N’est-ce pas oublier que les jeux modernes furent restaurés par un Français ? Pierre de Coubertin, reviens…

Voyez aussi sur notre site (www.academie-francaise.fr) le communiqué de l’Académie française du 16 février 2017 à ce sujet.

A minima au sens d’Au moins

Le 2 mars 2017

Extensions de sens abusives

La locution a minima s’emploie dans le domaine du droit, et se rencontre dans l’expression appel a minima, qui signifie que le ministère public fait appel pour augmenter une peine qu’il juge en inadéquation avec la faute commise. Cette locution, tirée du latin juridique a minima poena, « à partir de la plus petite peine », appartient donc à une langue spécialisée et ne doit être employée que dans ce cadre. On ne doit pas en faire un synonyme de tours comme au moins ou au minimum.

 

on dit

on ne dit pas

Sa copie mérite au minimum 17/20

Il devrait obtenir au moins la médaille de bronze

À tout le moins, il pourrait se sentir gêné

Sa copie mérite a minima 17/20

Il devrait obtenir a minima la médaille de bronze

A minima, il pourrait se sentir gêné

 

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