Dire, ne pas dire

Recherche

Merci pour vos diligences

Le 6 septembre 2018

Emplois fautifs

Quand il désigne le soin scrupuleux et l’empressement mis pour exécuter une tâche, le nom diligence s’emploie au singulier. On pouvait certes le trouver jadis, au pluriel, dans la langue de la justice ; il signifiait alors « poursuite, requête ». On lisait dans les cinquième, sixième et septième éditions du Dictionnaire de l’Académie française : « Faire ses diligences contre un tiers ». Mais ce pluriel, tombé en désuétude, ne figurait plus dans la huitième édition, celle de 1935. On le rencontrait aussi parfois avec le sens de « soin vigilant, recherche exacte ». « J’ai fait diligence, toutes mes diligences pour le trouver, pour venir à bout de tel dessein », lisait-on dans la sixième édition du Dictionnaire de l’Académie française et, dans Jeannot et Colin, Voltaire fait dire à un valet : « Je vais faire mes diligences pour être payé de mes gages. » Mais aujourd’hui, ces emplois sont hors d’usage et, à moins de vouloir donner une teinte historique à ses propos, on n’emploiera diligence en ce sens qu’au singulier et on évitera le tour Merci pour vos diligences.

La bête à bon Dieu

Le 6 septembre 2018

Expressions, Bonheurs & surprises

Il a fallu du temps pour que le nom coccinelle vienne dans notre langue. Il s’agit d’une francisation, sous la plume d’Aubert de La Chesnaye, dans son Système naturel du règne animal (1754), de la forme coccinella, créée par Linné dans son Systema naturae. Coccinella est dérivé, par l’intermédiaire de coccinus, « écarlate », de coccum, nom emprunté du grec kokkos, qui désignait la cochenille, à partir de laquelle on tirait une teinture d’une couleur semblable aux élytres de la coccinelle. Auparavant, on l’appelait bête à bon Dieu, bête à Dieu, bête à Martin, probablement en l’honneur de saint Martin, bête à la Vierge ou encore vache à Dieu. Voilà un heureux patronage qui dit bien en quelle estime, surtout chez les enfants, est tenue notre bestiole. Toutes les bêtes n’eurent pas un aussi grand capital de sympathie. Passons sur la bête à deux dos, création d’Eustache Deschamps, qui doit à Rabelais sa fortune, et arrêtons-nous sur quelques autres. La vènerie distinguait les bêtes menues, lièvres, les bêtes mordantes, sangliers, renards et parfois blaireaux, les bêtes noires, sangliers, la bête rousse, qui désignait autrefois le loup ou le renard, et qui désigne aujourd’hui un jeune sanglier de six à douze mois ayant perdu sa livrée de marcassin, les bêtes puantes, renards et loutres, et enfin la bête de compagnie, qu’il convient de ne pas confondre avec un animal de compagnie, puisqu’il s’agit d’un sanglier d’un à deux ans, qui vit en compagnie et n’est donc pas encore un solitaire. Mais en dehors de la vènerie, le terme bête est également très employé : on trouve en effet des bêtes à feu, comme les lampyres, dont la femelle est plus connue sous le nom de ver luisant, la luciole ou le taupin sanguin (ce dernier n’étant pas un élève des classes préparatoires aux grandes écoles scientifiques qui se signalerait par une promptitude à s’emporter, mais un coléoptère dont certaines variétés sont parfois phosphorescentes et qui, dans tous les cas, est un grand ravageur des cultures). Littré nous apprend que le morse, parfois appelé cheval marin ou vache marine, est plus connu sous le nom de bête à la grande dent. Un coléoptère appelé blaps, de couleur noire et vivant dans les lieux obscurs, était, lui, appelé bête de la mort, surnom qu’il partagea ensuite avec de nombreux rapaces nocturnes, en particulier l’effraie.

Pour conclure sur ces bêtes et pour relier cet article au précédent, évoquons les bêtes épaulées : il s’agit d’animaux de trait à l’épaule luxée ou cassée et qui ne peuvent donc plus remplir leur office. Par extension, cette expression désigne une personne sans esprit, sans capacité et qui n’est propre à rien mais aussi une fille qui, comme on disait autrefois, s’est déshonorée.

Claude C. (France)

Le 6 septembre 2018

Courrier des internautes

Depuis quand le ç existe-t-il ?

Merci de m’éclairer. Je fais de la généalogie et dans certains noms de famille je rencontre ce genre de petit problème.

Claude C. (France)

L’Académie répond :

La cédille, en français, sert à garder au c le son « s » devant a, o, u. Au moyen âge, on a parfois utilisé à cette même fin le digramme cz (faczon), mais plus souvent le digramme ce (faceon), qui ne s’est conservé que dans douceâtre.

La cédille a été empruntée à l’espagnol par l’imprimeur Geoffroy Tory, en 1529, dans un traité de calligraphie et de typographie. Son usage ne s’est répandu que lentement.

Il convient de conserver ce signe diacritique au C majuscule tout comme les accents doivent être conservés sur les majuscules.

Écoutes ! et regardes !

Le 5 juillet 2018

Emplois fautifs

Les verbes des deuxième et troisième groupes ont des formes identiques à la 2e personne du singulier (comme du pluriel) de l’indicatif et de l’impératif : tu finis/finis, tu dors/dors, tu prends/prends, et tous les verbes du premier groupe ont des formes identiques à la 2e personne du pluriel de l’indicatif et de l’impératif : vous aimez/aimez, vous mangez/mangez. Aussi arrive-t-il que, mêlant ces différentes formes, on crée, pour les verbes du premier groupe, des impératifs incorrects comme écoutes ou regardes. Des fautes facilitées par le fait que, quand ces impératifs ont comme complément les pronoms en et y, on leur adjoint un s euphonique, comme dans manges-en, restes-y. Mais quand bien même des effets d’analogie pourraient expliquer cette faute, elle n’en reste pas moins une faute, facilement évitable.

On écrit

On n’écrit pas

Regarde attentivement cette scène

Travaille avec soin

Porte cette galette à ta grand-mère, mais ne t’arrête pas en chemin

Regardes attentivement cette scène

Travailles avec soin

Portes cette galette à ta grand-mère, mais ne t’arrêtes pas en chemin

Émouler pour Émoudre

Le 5 juillet 2018

Emplois fautifs

Le verbe émoudre n’est assurément pas le plus employé de la langue française. Il est vrai que l’on n’aiguise plus guère les couteaux ou d’autres outils sur une meule et que l’on trouve peu de rémouleurs (aussi appelés autrefois émouleurs). Émoudre se rencontre aujourd’hui essentiellement au participe passé, émoulu, qui signifie, au sens propre, « affûté, fraîchement aiguisé à la meule » ; il arrivait ainsi que dans certains tournois, plutôt que d’employer, selon l’usage ordinaire, des armes émoussées et rebattues, on combatte à fer émoulu, c’est-à-dire avec des armes particulièrement affilées et tranchantes. Au sens figuré, ce même participe qualifie une personne qui est tout récemment sortie d’un établissement d’éducation. Mais on se rappellera que si le français dispose d’un couple moudre/mouler, il n’existe pas un pendant *émouler à émoudre. Employer la forme *émouler est un barbarisme dont il faut bien se garder.

S.N.C.F. pour La S.N.C.F., Crédit agricole pour Le Crédit agricole

Le 5 juillet 2018

Emplois fautifs

Les noms de marques ou d’entreprises sont essentiellement de deux catégories : des noms dépourvus de sens, soit parce que c’est celui du fondateur de l’entreprise : Renault, Peugeot, soit parce qu’il s’agit d’une création simple : Vivendi, Canon, etc. Mais il arrive aussi que le nom de l’entreprise indique son activité, ou que celui-ci en soit un élément. C’est par exemple le cas pour la Régie autonome des transports parisiens (R.A.T.P.) ou la plupart des banques, dans le nom desquelles figurent souvent des termes comme crédit, société, etc. Quand le nom de l’entreprise a pour élément principal un nom commun, donc porteur de sens, ce nom doit être précédé de l’article défini. On évitera donc des tours comme S.N.C.F. vous accueille, quand c’est La S.N.C.F. qu’il faudrait employer. Cette mauvaise habitude, fréquente en particulier dans le monde de la Bourse, doit être combattue.

De nouveau pour À nouveau

Le 5 juillet 2018

Extensions de sens abusives

La locution à nouveau signifie « pour la seconde fois et de façon différente », alors que de nouveau signifie simplement « derechef, une fois encore, une fois de plus ».

On dit

On ne dit pas

Ce travail est manqué, il faut le faire à nouveau

Il est de nouveau en retard, c’est la troisième fois cette semaine

J’espère qu’il n’est pas de nouveau malade

Ce travail est manqué, il faut le faire de nouveau

Il est à nouveau en retard, c’est la troisième fois cette semaine

J’espère qu’il n’est pas à nouveau malade

C’est saugrenu, de la conservation à la conversation

Le 5 juillet 2018

Expressions, Bonheurs & surprises

Quel étrange mot que l’adjectif saugrenu, « qui surprend par son caractère inattendu et bizarre, voire absurde ». C’est la réfection, sous l’influence de grenu, d’une forme plus ancienne, saugreneux, employée pour qualifier un conte jugé piquant ou salé, et cet adjectif est tiré de saugrenée, un nom que l’on rencontre chez Rabelais et qui désignait, nous dit Littré, un « assaisonnement des pois et des fèves, avec du beurre, des herbes fines, de l’eau et du sel ».

Ce nom, sel, est issu du latin sal, d’où sont tirés nombreux termes en sau- ou sal-, parmi lesquels la salade et la salière, la saucisse et le saucisson, le salpicon, qui nous vient d’Espagne, et son équivalent étymologique français, le saupiquet, les salines et la saumure, le saupoudrage et le salpêtre (proprement le « sel de pierre »), mais encore la salsa, cette danse d’Amérique latine à la sensualité épicée. Et l’on n’oubliera pas que le salarium, ancêtre de notre « salaire », désigna d’abord la ration de sel remise régulièrement aux soldats romains, puis une somme d’argent servant à acheter ce sel, et enfin la solde.

Parce qu’il conservait les aliments et leur donnait du goût, le sel était un objet de prix dans l’Antiquité. On l’employait en petite quantité pour amender les sols, en grande quantité pour les stériliser. Aussi, lorsqu’ils prirent Carthage, les Romains en salèrent les ruines pour s’assurer que cette ville n’aurait pas de descendance. On raconte aussi qu’Ulysse, qui ne voulait pas participer à la guerre de Troie, simula ainsi la folie pour n’être pas enrôlé : il sema du sel dans un champ qu’il venait de labourer, montrant ainsi sa démence, puisqu’il gâchait un produit précieux et rendait infertile la terre qu’il ensemençait. (Sa ruse fut éventée quand l’un de ceux qui étaient venus le quérir plaça le tout jeune Télémaque devant le soc de la charrue. Ulysse retint son attelage, sauva son fils mais montra ainsi que sa folie n’était que simulacre).

Pline nous rappelle au livre XXXI de son Histoire naturelle l’importance économique et symbolique du sel mais aussi le rôle qu’il jouait dans la relation des hommes avec les dieux :

« Rien mieux que le sel ne fait manger les moutons, les bêtes à cornes et les bêtes de somme ; il augmente la quantité du lait, et donne meilleur goût au fromage. On ne peut donc vivre agréablement sans sel ; et c’est une substance tellement nécessaire, que le nom en est appliqué même aux plaisirs de l’esprit ; on les nomme en effet sales (sels). […] Mais c'est surtout dans les sacrifices que l’on voit l'importance du sel : il ne s’en fait aucun où l’on n’offre des gâteaux salés. »

Il s’agit là d’une tradition séculaire dont on trouve déjà des traces dans l’Ancien Testament, par exemple dans le Lévitique : 2, 13 « […] Tu ne manqueras pas de mettre sur ton oblation le sel de l’alliance de ton dieu. » Comme le sel était utilisé pour la conservation des aliments, on pensait qu’il assurait aussi aux serments une valeur d’éternité et les Latins appelaient pactum salis, proprement « pacte de sel », une alliance destinée à durer toujours.

Tout cela se retrouve aussi chez les Grecs, mais le sel y est surtout un symbole d’amitié, comme en témoignent plusieurs expressions : Tôn halôn sugkatedêdomenai medimon (proprement « avoir mangé ensemble un boisseau de sel (halôn) ») signifiait « être de vieux amis », et on appelait ses intimes hoi peri hala kai kuminon (« ceux qui ont partagé le sel (hala) et le cumin »).

Cette fonction de conservation est encore perceptible dans la déclaration du Christ à ses apôtres : « Vous êtes le sel de la Terre » (vos estis sal terrae) – Évangile de saint Mathieu, V, 13. Il leur signifie ainsi que leur action et leur prédication empêchent la corruption du monde. D’autre part, et c’est un point déjà signalé par Pline, comme le sel épice toutes choses, ce texte signifie également que ce sont les apôtres qui donnent au monde sa saveur.

Mais la langue semble surtout s’être attachée à montrer le sel comme l’ingrédient indispensable pour relever le goût des mots, pour épicer les conversations. On ne s’étonnera donc pas de trouver ce sel, dans l’Antiquité, chez les spécialistes de rhétorique, en particulier chez Cicéron. On lit ainsi dans L’Orateur (87) : « on sèmera également des traits d’esprit (etiam sales aspergentur) », ou dans Les Devoirs (133) : « par le piquant et l’esprit (sale vero et facetiis) ». Dans une de ses Lettres (1, 13, 1), il remercie Atticus pour ses propos « semés de sel (sparsae sale) ». Pourtant, à en croire un autre spécialiste, Cicéron lui-même n’était pas le plus habile dans ce domaine et ses contemporains lui reprochaient « de la froideur parfois dans ses plaisanteries » (in salibus aliquando frigidum – Quintilien, Institution oratoire, 12, 10, 12).

Mais c’est avant tout aux Grecs, brillants causeurs devant l’Éternel, et particulièrement à ceux de l’Attique, que notre langue a rendu hommage, avec ce sel attique, qui qualifie un esprit fin et malicieux mais qui ne s’écarte jamais du bon goût. De nombreux textes le montrent. Ainsi Molière fait-il dire à Trissotin pour vanter son fameux sonnet : « Il est de sel attique assaisonné partout / Et vous le trouverez, je crois, d’assez bon goût » (Les Femmes savantes, acte III, scène 1).

Chateaubriand évoque lui aussi ce sel dans son Essai sur les Révolutions :

« […] Assis à des banquets, vous les [les Grecs ou les Français] entendrez se lancer de fines railleries, rire avec grâce de leurs maîtres ; parler à la fois de politique et d’amour, de l’existence de Dieu ou du succès d’une comédie nouvelle, et répandre profusément les bons mots et le sel attique […]. »

On trouve encore un écho de tout cela dans ces conseils donnés par un auteur fameux à son neveu, et à travers lui, à tous les apprentis écrivains :

« Prenez une grande chaudière d’eau bouillante / où vous jetez quelques légumes / et un morceau de viande saignante. / On ajoutera plus tard le sel et les épices / avant de baisser le feu. / Tous les goûts finissent par se fondre en un seul. / Le lecteur peut passer à table. »

Des remèdes de bonne femme ou de bonne fame ?

Le 5 juillet 2018

Expressions, Bonheurs & surprises

L’expression « remèdes de bonne femme » a parfois subi ce que les linguistes appellent la remotivation étymologique. Pierre Larousse les avait fort bien définis dans son Grand Dictionnnaire universel en écrivant qu’il s’agissait de « remèdes populaires ordonnés et administrés par des personnes étrangères à l’art de guérir ». Mais quelque habile latiniste s’est un jour avisé qu’en latin fama signifiait « renommée », et que l’on emploie aujourd’hui encore les adjectifs fameux et famé pour évoquer la réputation de telle ou telle personne, de telle ou telle chose. Sans doute avait-il aussi entendu l’histoire, que l’on racontait naguère au sujet de ce nonce installé à Paris qui, s’entretenant avec un grand de l’Église de France mêla joyeusement, mais un peu mal à propos, français, latin et italien en lui posant cette question, qui pouvait prêter à sourire et à mauvaise interprétation : « Et comment va votre fame ? » Le prélat, qui voulait savoir quelle était la réputation de son interlocuteur, était bien excusable puisque, après tout, en ancien et en moyen français, « réputation » se disait fame et que les expressions bone fame et de bone fame, se lisent fréquemment dans les textes médiévaux, avec de nombreuses variantes orthographiques comme de bon famle, de bones faumes, de si grant fame, etc. Mais pour éviter ce type de fâcheux malentendu, l’usage adjoignait à ce fame d’autres noms, le plus souvent renommee, mais également merite, loenge (« louange »), ou encore renom.

Et s’il en était encore besoin, un petit détour par des langues voisines confirmerait ce qu’écrivait Pierre Larousse : nos amis anglais parlent de old wives' remedy, littéralement « remède de vieilles épouses », nos amis allemands disent Hausmittel, « l’expédient, le remède » ou, plus familièrement, « le truc de la maison ». Cette notion de remède familial, « fait à la maison », se retrouve dans l’espagnol remedio casero. Et pour conclure, rappelons que nos amis italiens, pour signaler qu’il s’agit là de remèdes qui sont plus le résultat d’observations pratiques que d’études théoriques, parlent de rimedio empirico.

Foulques de M. (France)

Le 5 juillet 2018

Courrier des internautes

Travaillant dans le milieu du commerce sur internet, une partie de nos sites sont composés d’éléments censés rassurer les visiteurs (logos de carte de crédit, certificats de sécurité, etc.). Nous appelons ça les éléments de « Réassurance » ou « Rassurance ». Or au fil de mes recherches j'ai trouvé d’une part que le mot rassurance n’existe tout bonnement pas, et d’autre que le mot ré-assurance est un terme technique utilisé dans le milieu de l’assurance.

Étant donné le contexte particulier de l’utilisation de ce mot (ni dans le milieu de l’assurance et bien de la même famille que le verbe Rassurer), quel serait, selon vous, l’orthographe adéquate à cette utilisation ?

Foulques de M. (France)

L’Académie répond :

Le Trésor de la langue française définit ainsi le nom rassurement : « Action de rassurer ; état qui en résulte ».

Pourquoi ne pas employer ce terme attesté depuis le xixe siècle et qui convient parfaitement ?

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