Dire, ne pas dire

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Black Friday

Le 9 janvier 2020

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

En octobre 1929 eut lieu à New York la plus importante crise économique du xxe siècle. Tout commença le jeudi 24 octobre, qui sera appelé pour cette raison le black Thursday, « le Jeudi noir », l’adjectif noir étant associé ici au malheur, à la désolation. Les évènements des 28 et 29 octobre qui suivirent valurent à ceux-ci les noms de black Monday, « lundi noir », et black Tuesday, « mardi noir ». Cette crise gagna peu après sur l’Europe. Quatre-vingt-dix ans plus tard, c’est un black Friday, voire une black Friday week, qui s’abat sur notre continent, promesse de consommation effrénée, et preuve peut-être aussi de la perspicacité de Marx qui disait qu’un évènement tragique se répète ensuite de manière grotesque, comme c’est le cas avec tous ces jours pleins de noirceur.

Health data hub

Le 9 janvier 2020

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Il y a quelques décennies les écrans de télévision nous présentaient la vie d’aimables bestioles appelées les Shadoks. Leur devise était « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? » Il semble qu’une partie de nos dirigeants ait repris la formule en la modifiant légèrement pour qu’elle devienne « Pourquoi utiliser le français (ce qui serait plus simple) quand on peut utiliser l’anglais (qui en France est un peu moins accessible) ? C’est ainsi qu’a été lancé récemment, avec un important tapage médiatique le Health data hub. Il est permis de supposer qu’un Centre des données sur la santé pourrait désigner ce projet et aurait peut-être mieux contribué à ce que tout un chacun se sente concerné par celui-ci.

Doublet pour Doublé

Le 9 janvier 2020

Extensions de sens abusives

Le nom doublet s’emploie essentiellement en linguistique pour désigner deux mots de formes et de sens différents qui remontent à un même mot étranger, le plus souvent latin, mais dont l’un est d’origine populaire, l’autre, d’origine savante. Ainsi les verbes écouter et ausculter viennent-ils du latin auscultare. On pourrait aussi citer « mâcher » et « mastiquer » venant de masticare, « prêcheur » et « prédicateur », de praedicator, « grêle » et « gracile », de gracilis ou « captif » et « chétif », de captivus. Il faut éviter de confondre doublet avec le participe passif substantivé doublé, qui, dans le domaine du sport désigne une série de deux victoires dans deux épreuves différentes ou dans deux éditions de la même épreuve, ou bien encore le fait que les deux vainqueurs appartiennent à la même équipe, à la même nation. Signalons d’ailleurs que cette série peut se prolonger et que l’on peut parler de triplé, de quadruplé, etc. Rappelons aussi qu’une prononciation soignée distingue doublet, où le groupe -et est prononcé avec un è ouvert de doublé, où le é est fermé.

On écrit

On n’écrit pas

L’Italie réalisa le premier doublé de l’histoire de la Coupe du monde de football

« Fade » et « fétide », « hurler » et « ululer » sont des doublets

L’Italie réalisa le premier doublet de l’histoire de la Coupe du monde de football

« Fade » et « fétide », « hurler » et « ululer » sont des doublés

Volumétrie au sens de Volume, Quantité importante

Le 9 janvier 2020

Extensions de sens abusives

Le nom volumétrie, attesté depuis le début du xxe siècle, désigne la mesure de volumes : Procéder à la volumétrie d’un chargement. On l’emploie fréquemment en chimie, au sujet de dosages à réaliser, et dans des domaines comme la sylviculture ou le transport de marchandises. Dans ces derniers cas, il est synonyme de cubage, mais contrairement à ce dernier, volumétrie ne doit pas s’employer pour désigner le volume ainsi mesuré, ce qui hélas commence à se faire, sans doute par emphase, ici ou là.

On dit

On ne dit pas

Une pièce d’un très beau volume

Il faudra deux camions pour transporter un tel volume

Une pièce d’une très belle volumétrie

Il faudra deux camions pour transporter une telle volumétrie

Bonheurs et surprises de la langue chez Balzac

Le 9 janvier 2020

Expressions, Bonheurs & surprises

Le mois dernier, Flaubert évoquait dans Bouvard et Pécuchet les difficultés de la langue française ; aujourd’hui, c’est Balzac qui nous offre son concours. Dans les premières pages des Chouans, il se fait précurseur de la rubrique Bonheurs et surprises de la langue et nous propose un court exposé sur l’origine du nom gars :

« Le mot gars, que l’on prononce gâ, est un débris de la langue celtique. Il a passé du bas breton dans le français, et ce mot est, de notre langage actuel, celui qui contient le plus de souvenirs antiques. Le gais était l’arme principale des Gaëls ou Gaulois ; gaisde signifiait “armé” ; gais, “bravoure” ; gas, “force”. Ces rapprochements prouvent la parenté du mot gars avec ces expressions de la langue de nos ancêtres. Ce mot a de l’analogie avec le mot latin vir, “homme”, racine de virtus, “force, courage”. Cette dissertation servira peut-être à réhabiliter, dans l’esprit de quelques personnes, les mots gars, garçon, garçonnette, garce, garcette, généralement proscrits du discours comme malséants, mais dont l’origine est si guerrière et qui se montreront çà et là dans le cours de cette histoire. “C’est une fameuse garce !” est un éloge peu compris que recueillit Mme de Staël dans un petit canton de Vendômois où elle passa quelques jours d’exil. […]. Les parties de cette province (la Bretagne) où, de nos jours encore, la vie sauvage et l’esprit superstitieux de nos rudes aïeux sont restés, pour ainsi dire, flagrants, se nomment le pays des gars. »

L’étymologie que propose Balzac n’est plus retenue aujourd’hui. Mais il a quelques excuses : d’une part, il ne disposait pas des outils qui sont maintenant à notre disposition et, d’autre part, comme l’écrit Littré à l’article garçon de son Dictionnaire de la langue française, il s’agit d’un « mot très difficile ». Ce dernier en propose cependant une étymologie, empruntée au philologue allemand Diez, qui avait remarqué que dans le patois milanais garzon, « garçon », désignait aussi une espèce de chardon ; il en avait donc conclu que c’était le même mot, un dérivé du latin carduus, « chardon », qu’il rapprochait de l'italien guarzuolo, « cœur de chou », et du milanais garzoeu, « bouton ». Diez supposait en effet qu'un jeune garçon était appelé, par métaphore, un bouton, un cœur de chou, c’est-à-dire un être non encore développé ». On retiendra avec plaisir de cette partie de l’exposé que, sinon les garçons eux-mêmes, le mot garçon semble bien être sorti d’un chou. Mais Littré ajoute que, dans l'état de la question, on ne peut abandonner l’hypothèse d’une origine celtique et rapproche garçon du bas breton gwerc'h, « vierge, jeune fille ». Après avoir précisé que cela aussi était incertain et que l'étymologie restait en suspens, il ajoute ces quelques mots sur l’évolution du sens de ce nom : « Garçon n'a pas plus que garce, par soi, un mauvais sens ; pourtant il y eut un temps dans le Moyen Âge où il prit une acception très défavorable, et devint une grosse injure, signifiant coquin, lâche. Aujourd'hui il ne s'y attache plus rien de pareil, et c'est garce qui seul est tombé très bas. »

De nos jours, l’état de la science et de nos connaissances invitent plutôt à rapprocher garçon du francique *wrakjo, « vagabond ».

Mais si ce mot nous intéresse encore, outre le fait que Balzac se soit penché sur son origine, c’est aussi parce qu’il est un fossile vivant. Il fait partie des rares noms qui ont conservé la double forme qu’ils avaient en ancien français, selon qu’ils étaient sujets (on parlait alors de cas sujets) ou compléments – d’objet ou circonstanciels – (on parlait alors de cas régime) ; en ancien français gars est le cas sujet et garçon, le cas régime. Cette caractéristique, conservée par les pronoms : je / me / moi ; tu / te / toi, etc., l’immense majorité des noms l’ont perdue, mais il en est quelques-uns qui l’ont encore ; à côté de gars / garçon, on a aussi sire / seigneur ; copain / compagnon ou encore les deux formes étrangement parallèles nonne / nonnain et pute / putain.

Henry-Arnaud T. (Suisse)

Le 9 janvier 2020

Courrier des internautes

Ce soir avec ma classe d’adulte, nous sommes tombés sur les adjectifs saisonniers.

On dit donc (je simplifie un peu) :

« estival » pour « en été »,

« automnal » pour « en automne »

« hivernal » pour « en hiver »

« printanier » pour « au printemps ».

Pourquoi donc le printemps bénéficie-t-il de ce traitement de faveur ?

D’avance merci.

Henry-Arnaud T. (Suisse)

L’Académie répond :

Estival et automnal sont tirés de formes latines de même sens, aestivalis et autumnalis. Hivernal est dérivé du français hiver et printanier, de printemps. Mais il existe aussi en français deux autres adjectifs, empruntés du latin, pour qualifier ces saisons. Il s’agit de hiémal, emprunté de hiemalis, « d’hiver » et de vernal, emprunté de vernalis, « de printemps ».

En risque de pour En danger de

Le 5 décembre 2019

Emplois fautifs

Le verbe risquer se construit directement, avec comme complément un nom, risquer quelques euros, risquer sa réputation, risquer la prison, etc., ou indirectement, avec la préposition de et un infinitif comme complément, il risque de tomber, il risque d’échouer. La locution en danger de se rencontre dans l’expression en danger de mort ou avec un infinitif, comme dans La Laitière et le Pot au lait : « La Dame de ces biens, quittant d’un œil marri / Sa fortune ainsi répandue / Va s’excuser à son mari / En grand danger d’être battue. » Il convient de ne pas mêler ces deux formes pour en faire le tour incorrect en risque de, que l’on se gardera bien d’employer.

On dit

On ne dit pas

Il risque de tout perdre

Il est en danger de se noyer

Il est en risque de tout perdre

Il est en risque de se noyer

Une tête décapitée

Le 5 décembre 2019

Emplois fautifs

Le verbe décapiter signifie « trancher la tête de quelqu’un » ; il est emprunté du latin tardif decapitare, un verbe composé à l’aide du préfixe séparatif de- et de caput, « tête ». Par extension, il signifie aussi « priver de chef un parti, un clan, un groupe » (on rappellera d’ailleurs que le nom « chef » est issu, lui aussi, du latin caput). Le sens de décapiter suppose donc bien que c’est une personne ou un corps qui est privé de tête, et que ce serait bien sûr absurde d’employer ce verbe en parlant de la tête elle-même. On ne dira donc pas plus une tête décapitée que l’on dirait, par exemple, un cadavre sans vie.

On dit

On ne dit pas

On a retrouvé le corps décapité de la victime

On a retrouvé la tête décapitée de la victime

Discount

Le 5 décembre 2019

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Le nom anglais discount désigne un rabais consenti par un commerçant sur le prix d’une marchandise ; il entre aussi dans l’expression discount store, qui désigne un magasin de grande surface diffusant une gamme limitée de produits en pratiquant une réduction sur le prix de vente habituel. Ce type de pratique est ancien et le français dispose, outre rabais, de termes comme escompte, remise, réduction, etc. pour la nommer. Aussi n’est-il pas nécessaire de leur substituer l’anglicisme discount, quand bien même celui-ci serait un emprunt au français ancien desconte, ou descompte, qui désignait alors, lit-on dans la première édition du Dictionnaire de l’Académie française, « Ce qu’on a à prendre & à rabbattre sur une somme que l’on paye. Quand le Thresorier a avancé de l’argent aux troupes, il en fait le descompte à la fin du mois. Il y a tant de descompte ».

On dit

On ne dit pas

Une réduction, un rabais de 10 %

Le commerçant lui a consenti une jolie ristourne

Un discount de 10 %

Le commerçant lui a consenti un joli discount

À raison de pour En raison de

Le 5 décembre 2019

Extensions de sens abusives

Les locutions prépositionnelles à raison de et en raison de sont des paronymes, mais elles ne sont pas synonymes. En raison de signifie « en considération de, eu égard à, vu » : En raison de son cri strident, l’agami est aussi appelé oiseau-trompette ; Poil de carotte, le personnage de Jules Renard était ainsi nommé en raison de sa chevelure rousse. À raison de signifie « en proportion de, en fonction de, suivant » : Il est rémunéré à raison du travail accompli. Dans des phrases de ce type, à raison de est parfois, mais rarement, remplacé par en raison de, alors qu’au sens d’« en considération de », à raison de ne peut remplacer en raison de, aussi est-il préférable de donner son sens propre à chacune de ces locutions et de ne pas employer l’une pour l’autre.

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