Le mois dernier, Flaubert évoquait dans Bouvard et Pécuchet les difficultés de la langue française ; aujourd’hui, c’est Balzac qui nous offre son concours. Dans les premières pages des Chouans, il se fait précurseur de la rubrique Bonheurs et surprises de la langue et nous propose un court exposé sur l’origine du nom gars :
« Le mot gars, que l’on prononce gâ, est un débris de la langue celtique. Il a passé du bas breton dans le français, et ce mot est, de notre langage actuel, celui qui contient le plus de souvenirs antiques. Le gais était l’arme principale des Gaëls ou Gaulois ; gaisde signifiait “armé” ; gais, “bravoure” ; gas, “force”. Ces rapprochements prouvent la parenté du mot gars avec ces expressions de la langue de nos ancêtres. Ce mot a de l’analogie avec le mot latin vir, “homme”, racine de virtus, “force, courage”. Cette dissertation servira peut-être à réhabiliter, dans l’esprit de quelques personnes, les mots gars, garçon, garçonnette, garce, garcette, généralement proscrits du discours comme malséants, mais dont l’origine est si guerrière et qui se montreront çà et là dans le cours de cette histoire. “C’est une fameuse garce !” est un éloge peu compris que recueillit Mme de Staël dans un petit canton de Vendômois où elle passa quelques jours d’exil. […]. Les parties de cette province (la Bretagne) où, de nos jours encore, la vie sauvage et l’esprit superstitieux de nos rudes aïeux sont restés, pour ainsi dire, flagrants, se nomment le pays des gars. »
L’étymologie que propose Balzac n’est plus retenue aujourd’hui. Mais il a quelques excuses : d’une part, il ne disposait pas des outils qui sont maintenant à notre disposition et, d’autre part, comme l’écrit Littré à l’article garçon de son Dictionnaire de la langue française, il s’agit d’un « mot très difficile ». Ce dernier en propose cependant une étymologie, empruntée au philologue allemand Diez, qui avait remarqué que dans le patois milanais garzon, « garçon », désignait aussi une espèce de chardon ; il en avait donc conclu que c’était le même mot, un dérivé du latin carduus, « chardon », qu’il rapprochait de l'italien guarzuolo, « cœur de chou », et du milanais garzoeu, « bouton ». Diez supposait en effet qu'un jeune garçon était appelé, par métaphore, un bouton, un cœur de chou, c’est-à-dire un être non encore développé ». On retiendra avec plaisir de cette partie de l’exposé que, sinon les garçons eux-mêmes, le mot garçon semble bien être sorti d’un chou. Mais Littré ajoute que, dans l'état de la question, on ne peut abandonner l’hypothèse d’une origine celtique et rapproche garçon du bas breton gwerc'h, « vierge, jeune fille ». Après avoir précisé que cela aussi était incertain et que l'étymologie restait en suspens, il ajoute ces quelques mots sur l’évolution du sens de ce nom : « Garçon n'a pas plus que garce, par soi, un mauvais sens ; pourtant il y eut un temps dans le Moyen Âge où il prit une acception très défavorable, et devint une grosse injure, signifiant coquin, lâche. Aujourd'hui il ne s'y attache plus rien de pareil, et c'est garce qui seul est tombé très bas. »
De nos jours, l’état de la science et de nos connaissances invitent plutôt à rapprocher garçon du francique *wrakjo, « vagabond ».
Mais si ce mot nous intéresse encore, outre le fait que Balzac se soit penché sur son origine, c’est aussi parce qu’il est un fossile vivant. Il fait partie des rares noms qui ont conservé la double forme qu’ils avaient en ancien français, selon qu’ils étaient sujets (on parlait alors de cas sujets) ou compléments – d’objet ou circonstanciels – (on parlait alors de cas régime) ; en ancien français gars est le cas sujet et garçon, le cas régime. Cette caractéristique, conservée par les pronoms : je / me / moi ; tu / te / toi, etc., l’immense majorité des noms l’ont perdue, mais il en est quelques-uns qui l’ont encore ; à côté de gars / garçon, on a aussi sire / seigneur ; copain / compagnon ou encore les deux formes étrangement parallèles nonne / nonnain et pute / putain.