Dire, ne pas dire

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Il échoua pour Il échoit

Le 11 juin 2020

Emplois fautifs

Les verbes échouer et échoir sont proches par la forme, mais ils diffèrent largement par le sens et l’étymologie. Le premier, d’origine normanno-picarde, signifie « immobiliser un navire en lui faisant toucher le fond » ou, quand le sujet est le navire lui-même, « donner accidentellement sur le rivage ou un écueil » ; enfin, avec un nom de personne comme sujet, « ne pas réussir dans une entreprise ». Le second, issu du latin populaire *excadere, altération de excidere, « tomber, sortir de », signifie « être dévolu par le sort » (la part de bonheur qui échoit à chacun), « arriver, se produire » (le renouvellement des mandats municipaux échoit dans peu de temps) et, en parlant d’une dette ou d’une obligation, « arriver à échéance » (ce substantif étant d’ailleurs dérivé d’échéant, participe présent d’échoir). En général, on ne confond pas ces formes, mais cela peut se produire avec les homonymes que sont le passé simple du premier, échoua, et le présent de l’indicatif du second, échoit.

on écrit

on n’écrit pas

Le navire échoua sur un rocher

Le terme échoit à minuit

Le navire échoit sur un rocher

Le terme échoua à minuit

Les cieux ou Les ciels

Le 11 juin 2020

Emplois fautifs

Le nom ciel a l’étrange particularité d’avoir deux pluriels différents. L’Académie française avait déjà noté ce point dans la première édition de son Dictionnaire : « Ciel, signifie aussi, Le haut d’un lit. Le ciel du lit. […] Au pluriel on dit des ciels de lit, & non pas des cieux. […] On dit en termes de Peinture le ciel, les ciels. Ce Peintre fait bien les ciels. » Bernard Jullien (1798-1881), qui assista Littré pour les questions grammaticales de son Dictionnaire a ainsi expliqué ce point : « Le ciel, à proprement parler, est cette partie de la voûte azurée que nous voyons ou que nous concevons comme renfermée dans un horizon déterminé. C’est dans ce sens qu’on dit : Le ciel de la Provence et celui de l’Italie sont bien différents des ciels de l’Angleterre et de l’Écosse ; ce peintre réussit admirablement dans les ciels. Les ciels de lit tirent leur nom de leur forme et de leur position au-dessus de nos têtes ; et ces exemples nous montrent que, quand on compte les ciels, c’est-à-dire quand on passe au pluriel entendu dans la rigueur de la définition, on le forme régulièrement en ajoutant un s au singulier. Le mot cieux, au contraire, indique non la pluralité, mais l’universalité indivise de la sphère céleste, ou, au figuré, la Providence, le pouvoir céleste. »

Ce double pluriel s’explique aussi par le fait qu’au Moyen Âge, en effet, les noms terminés en -el ou en -iel faisaient leur pluriel en -eux. Rappelons qu’à l’origine le singulier de cheveux était chevel et que le pluriel de tel s’écrivait tex ou tieus. Aujourd’hui ces formes ont été unifiées : par analogie avec le pluriel, la langue a choisi le singulier cheveu, et fiel et miel ont comme pluriel fiels et miels (et non fieus ou fieux et mieus ou mieux).

Trop de + nom, suivi du singulier ou du pluriel

Le 11 juin 2020

Emplois fautifs

La locution trop de joue le rôle d’un déterminant indéfini et introduit un nom au singulier ou au pluriel, et le verbe qui suit ce groupe est tantôt au singulier, tantôt au pluriel. Il est au singulier quand le nom introduit par trop de est un nom singulier, en général non comptable (certains grammairiens disent aussi « massif »). Le poète et chansonnier Charles-François Panard (1689-1765) a mis en scène nombre de ces trop dans une pièce intitulée Vers d’un philosophe aimable, où l’on trouve cette leçon de tempérance, rousseauiste avant l’heure et parfaite illustration de la mediocritas aurea chère à Horace ou, plus encore, du mêden agan, « rien de trop », qui est au cœur de la sagesse grecque : ... « Il résulte de ce langage / Qu’il ne faut jamais rien de trop : / Que de sens renferme ce mot : / Qu’il est judicieux et sage: / Trop de repos nous engourdit, / Trop de fracas nous étourdit, / Trop de froideur est indolence, / Trop d’activité, turbulence ; / Trop d’amour trouble la raison, / Trop d’amour est un poison… »

Quand le nom qui suit trop de est un pluriel, le verbe se met généralement au pluriel : Trop d’élèves sont arrivés en retard, trop de soucis l’ont usé prématurément. On peut cependant trouver le singulier si l’on ne considère plus chacun des éléments séparément, mais si l’on envisage l’ensemble qu’il forme comme le complément d’un verbe sous-entendu. On distinguera ainsi Trop de séries télévisées sont de médiocre qualité, c’est-à-dire « un nombre important de séries télévisées sont de médiocre qualité », de Trop de séries télévisées nuit au travail scolaire des adolescents, que l’on pourrait gloser par « Regarder trop de séries télévisées nuit… » ou « Un excès de séries télévisées nuit… ».

Au sud de la France pour Dans le Sud de la France

Le 7 mai 2020

Emplois fautifs

La préposition à (éventuellement combinée avec les articles définis le, la, les) et la préposition dans ont parfois des sens proches, par exemple dans des propositions comme Il est dans le champ et Il est au champ. Mais si l’on emploie ces deux prépositions avec un nom de point cardinal et deux entités géographiques pour les situer l’une par rapport à l’autre, alors leurs sens diffèrent. On distinguera ainsi au sud de, qui indique que la première entité n’est pas incluse dans la seconde, et dans le Sud de, qui indique que la première entité est située dans celle qui suit.

On dira ainsi Marseille est dans le Sud de la France et L’Espagne est au sud de la France, et non Marseille est au sud de la France ni L’Espagne est dans le Sud de la France.

On dit

On ne dit pas

Le Danemark est au sud de la Suède

Strasbourg est dans l’Est de la France

Le Portugal est à l’ouest de l’Espagne

Le Danemark est dans le Sud de la Suède

Strasbourg est à l’est de la France

Le Portugal est dans l’Ouest de l’Espagne

Car, pour, par et avec prononcés careu, poureu, pareu et avecqueu

Le 7 mai 2020

Emplois fautifs

L’élision d’un e dit « muet » est la marque d’une langue familière ou populaire ; on la trouve par exemple quand le groupe je te devient j’te (prononcé ch’te). Mais on trouve aussi l’erreur inverse, qui consiste à ajouter des e quand il ne devrait pas y en avoir, particulièrement en fin de mot, ce qui fait que les prépositions car, pour, par et avec en viennent à être prononcées careu, poureu, pareu et avecqueu. Bien souvent ces eu superfétatoires sont employés par le locuteur pour se donner du temps quand il cherche ses mots ou à mettre de l’ordre dans ses idées. Il n’en reste pas moins qu’ils doivent être, autant que faire se peut, proscrits de la langue courante.

On dit

On ne dit pas

Il n’est pas venu car il pleuvait

Elle est venue avec sa sœur

Il n’est pas venu careu il pleuvait

Elle est venue avecqueu sa sœur

Le covid 19 ou La covid 19

Le 7 mai 2020

Emplois fautifs

Covid est l’acronyme de corona virus disease, et les sigles et acronymes ont le genre du nom qui constitue le noyau du syntagme dont ils sont une abréviation. On dit ainsi la S.N.C.F. (Société nationale des chemins de fer français) parce que le noyau de ce groupe, société, est un nom féminin, mais le C.I.O. (Comité international olympique), parce que le noyau, comité, est un nom masculin. Quand ce syntagme est composé de mots étrangers, le même principe s’applique. On distingue ainsi le FBI, Federal Bureau of Investigation, « Bureau fédéral d’enquête », de la CIA, Central Intelligence Agency, « Agence centrale de renseignement », puisque dans un cas on traduit le mot noyau par un nom masculin, bureau, et dans l’autre, par un nom féminin, agence. Corona virus disease – notons que l’on aurait pu préférer au nom anglais disease le nom latin morbus, de même sens et plus universel – signifie « maladie provoquée par le corona virus (“virus en forme de couronne”) ». On devrait donc dire la covid 19, puisque le noyau est un équivalent du nom français féminin maladie. Pourquoi alors l’emploi si fréquent du masculin le covid 19 ? Parce que, avant que cet acronyme ne se répande, on a surtout parlé du corona virus, groupe qui doit son genre, en raison des principes exposés plus haut, au nom masculin virus. Ensuite, par métonymie, on a donné à la maladie le genre de l’agent pathogène qui la provoque. Il n’en reste pas moins que l’emploi du féminin serait préférable et qu’il n’est peut-être pas trop tard pour redonner à cet acronyme le genre qui devrait être le sien.

Les gestes barrière ou Les gestes barrières

Le 7 mai 2020

Emplois fautifs

Comment faire l’accord au pluriel d’un groupe composé de deux noms apposés ? Quand il y a identité entre les deux éléments, les deux prennent la marque du pluriel : on écrit ainsi des danseuses étoiles parce que ces danseuses sont des étoiles. Le contexte permet d’ailleurs bien souvent de dire simplement des étoiles. S’il n’y a pas identité, seul le premier élément prend la marque du pluriel, on écrit donc des films culte parce que ces films font l’objet d’un culte, mais n’en sont pas ; on ne dit jamais, parlant d’eux, des cultes. S’agissant de geste barrière, on peut considérer que ces gestes forment une barrière et préférer le singulier, mais dans la mesure où l’on peut aussi dire que ces gestes sont des barrières, l’accord au pluriel semble le meilleur choix, et le plus simple. On écrira donc des gestes barrières.

Bétonnisation pour Bétonnage

Le 2 avril 2020

Emplois fautifs

Il en va de nos manières de nous exprimer comme des couleurs ou des formes de nos vêtements, des coupes de cheveux ou de nos habitudes alimentaires : elles n’échappent pas aux phénomènes de mode. Depuis quelque temps déjà, les noms en -isation connaissent une vogue certaine, ce suffixe semblant lester le nom qu’il vient compléter d’un poids de sérieux bienvenu. C’est sans doute la raison qui explique la bonne santé d’un mot récemment apparu, bétonnisation, qui désigne l’action de bétonner et le résultat de cette action. Deux sens qu’avait pourtant déjà le mot bétonnage. Quand, à partir des années 1970, on a critiqué le bétonnage des côtes, ce qui était dénoncé n’était pas différent de ce qui l’est aujourd’hui quand on évoque la bétonnisation des terres agricoles. Ce nom, même s’il est plus long, n’ajoute rien à ce que dit bétonnage, il est donc préférable de s’en passer.

Il la répugne pour Il lui répugne

Le 2 avril 2020

Emplois fautifs

Les pronoms personnels compléments d’objet direct et compléments d’objet indirect ont la même forme aux premières et deuxièmes personnes : il m’embête, il t’aime, elle nous attend et elle vous préviendra pour les pronoms personnels C.O.D., et il me parle, je te dis, elles nous mentent et elle vous obéit pour les pronoms personnels C.O.I. Mais les formes de troisièmes personnes sont différentes : il l’embête, il l’aime, elle les attend et elle les préviendra pour les premiers, tandis que l’on a il lui parle, il lui dit, elles leur mentent et elle leur obéit pour les seconds. Ce fait amène trop souvent, par analogie, des erreurs pour certains verbes transitifs indirects qui sont construits comme des verbes transitifs directs. C’est, entre autres, le cas avec le verbe répugner, qui est un verbe intransitif. On dit Cela me, te, nous, vous répugne, mais on doit dire cela lui, leur répugne et non cela le, la, les répugne.

On dit

On ne dit pas

Son attitude lui répugne

De tels personnages leur répugnent

Ce plat lui répugne

Son attitude le, la répugne

De tels personnages les répugnent

Ce plat le, la répugne

Les #oints ou Les z’oints

Le 2 avril 2020

Emplois fautifs

On n’hésite guère sur la prononciation des mots d’usage courant, mais il en va tout autrement de ceux qui sont peu usités. Ainsi, nombreux sont ceux qui se demandent si oint se lie au mot qui le précède et si ce dernier, le cas échéant, s’élide devant lui. Rappelons donc que, de même que l’on dit l’onction et non la onction, et que des textes religieux évoquent l’oint du Seigneur et non le oint, on doit dire les z’oints (comme on dit les z’onctions) et non les#oints. Signalons aussi que dans le poème de Verlaine, La Mort de Philippe II, il faut lire « L’infant, certes, était coupable […] de conspirer […] / Et contre un Père, et contre un Maître, et contre un [n’]Oint ! » [et non contre un#Oint]. Il en va de même du verbe oindre : on dit pour l’oindre et ils s’oignent et non pour le oindre et ils se oignent.

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