Dire, ne pas dire

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Gustave K. (République du Congo)

Le 7 juillet 2022

Courrier des internautes

N’est-ce pas une faute de dire ou d’écrire « Je vais marier cette fille », puisque la phrase correcte devrait être « Je vais me marier avec cette fille ». C’est le pasteur, le prêtre ou le maire qui sont habilités pour marier deux personnes grâce aux pouvoirs qui leur sont conférés. Mais mon frère prétend que dire « Je vais marier cette fille » n’est pas une faute car on le dit dans le nord de la France, en Belgique et au Canada.

Gustave K. (République du Congo)

L’Académie répond :

Vous avez raison, ce sont les personnes habilitées qui marient les individus, comme l’indique notre Dictionnaire : « En parlant d’un officier d’état civil ou d’un ministre du culte. Recueillir et rendre légitime l’engagement librement consenti de deux personnes qui s’unissent par le mariage. Le maire les a mariés. C’est le curé de la paroisse qui les a mariés ». Par extension, ce verbe peut avoir comme sujet la personne qui décide du mariage, le suscite ou l’arrange « Son père l’avait marié à la fille d’un de ses amis. »

Cela étant, il est vrai que dans une langue populaire, particulièrement en Belgique et dans le Nord de la France, le verbe marier s’emploie dans une construction où le sujet est le mari et le complément d’objet direct l’épouse (et réciproquement). On en a un témoignage avec la chanson de Jacques Brel Ces gens-là :

« Et puis, y’a l’autre […] / Qui a marié la Denise / Une fille de la ville, enfin, d’une autre ville. »

Attendez que l’eau bout ou boue

Le 2 juin 2022

Emplois fautifs

Les verbes en -ouillir du français sont bouillir et ses dérivés, mais ces derniers ne sont guère en usage. Cette rareté explique sans doute que la conjugaison de ce verbe est mal connue et que, à certains temps ou modes, les formes à employer nous semblent étranges, voire incorrectes, et qu’on leur en préfère parfois d’autres, fautives mais plus habituelles à l’oreille. Il convient alors de rappeler que ce verbe fait bouillent à la 3e personne du pluriel au présent de l’indicatif et du subjonctif, bouille aux 1re et 3e personnes, bouilles à la 2e personne du singulier du subjonctif présent. On dit donc Attendez que l’eau bouille et non Attendez que l’eau bout ou boue (mais on dit bien sûr, au présent de l’indicatif, L’eau ne bout pas encore). C’est en employant les formes correctes qu’on les sauvera de l’oubli et qu’on les fera vivre.

on dit, on écrit

on ne dit pas, on n’écrit pas

Ils bouillent d’impatience en attendant les résultats

Servez le café avant qu’il ne bouille

Ils bouent d’impatience en attendant les résultats

Servez le café avant qu’il ne bout, qu’il ne boue

Si l’on puit dire

Le 2 juin 2022

Emplois fautifs

L’expression si l’on peut dire commence à être remplacée, à tort, par une forme voisine si l’on puit dire, tirée sans doute de si je puis dire. Rappelons donc que, depuis plus de cinq siècles, puit est une forme incorrecte, même si, dans Le Bon Usage, Grevisse en signale un emploi chez Claudel, qui écrivait dans un article du Figaro littéraire, en 1953 : « Face à l’ouragan il me manquait encore l’horreur et la joie sous mes pieds de ce bateau pourri qui n’en puit plus et qui craque et qui s’effondre. » Ce qui n’en puit plus semblant être le résultat du croisement de je n’en puis mais et d’il n’en peut plus. Rappelons aussi qu’en ancien français la forme canonique de la 3e personne du singulier du verbe pouvoir est « il puet ». Certes, à cette époque, l’orthographe était mal fixée et l’on trouvait parfois il puit. On lit ainsi dans un texte médiéval, Les Sept Péchés capitaux : « Celuy qui ne se puit aydier, Doit ons aidier, ce m’est auis » (« Celui qui ne peut s’aider, il me semble qu’on doit l’aider »). Mais cette forme présentait l’inconvénient d’être semblable à la 3e personne du verbe puir, « puer ». On lit dans un texte de la même époque : « Car il puit plus vilaynement que un fumers pourriz tout plain de fiens » (« Car il pue plus salement qu’un fumier pourri plein de fiente »). Cette proximité a fortement contribué à la disparition de puit comme forme de la conjugaison du verbe pouvoir.

« À deux kilomètres » ou « Dans deux kilomètres »

Le 2 juin 2022

Emplois fautifs

Les prépositions à et dans peuvent s’employer pour introduire un complément de lieu, mais selon qu’on utilise l’une ou l’autre, la manière dont on envisage ce complément n’est pas exactement la même. Avec à, le complément est perçu comme un point dans l’espace, tandis que, avec dans, il est perçu dans son extension. Si ce complément est une distance, on emploiera à pour indiquer la distance séparant le point pris comme référence du point à atteindre, tandis que si l’on emploie dans, on insistera sur la distance à parcourir avant d’atteindre le point souhaité. On dira ainsi Sa maison est à deux kilomètres du village, mais Dans deux kilomètres vous arriverez au village. On se gardera également de dire À six cents mètres, tournez à droite quand il est nécessaire d’user de la préposition dans (Dans six cents mètres, tournez à droite). Cette remarque vaut aussi pour les cas où la distance est exprimée par une unité de temps : Il habite à vingt minutes du village, mais Dans vingt minutes, vous serez au village.

« Paquet » au sens « d’Ensemble, série »

Le 2 juin 2022

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Les sens des mots anglais pack et package sont plus variés que ceux du français « paquet ». Ainsi, si pour parler d’un ensemble de mesures gouvernementales ou administratives, l’anglais peut employer le nom package, le français utilisera les mots « ensemble », « série », « lot » ou encore « train », plutôt que « paquet » ; on ne dira donc pas Les États ont prévu un nouveau paquet de sanctions, mais Les États ont prévu un nouveau train, une nouvelle série de sanctions.

« Délai rapide » au sens de « Bref délai, court délai »

Le 2 juin 2022

Extensions de sens abusives

Le mot délai désigne le temps nécessaire à l’accomplissement d’un acte. On dit qu’on accorde, qu’on demande, qu’on fixe un délai. On peut avoir un délai de trois jours, d’un mois. Le délai devient ainsi un intervalle de temps, et même s’il peut nous arriver de trouver que le temps passe plus ou moins vite, on évitera d’employer le syntagme « délai rapide » puisque le délai, comme toutes les durées, peut être long ou bref, mais non rapide ou lent.

« Échappatoire » au sens d’ « Issue de secours »

Le 2 juin 2022

Extensions de sens abusives

Le nom échappatoire désigne un subterfuge, un moyen adroit et subtil de se tirer d’embarras : trouver une échappatoire ; répondre à une question difficile par une échappatoire. Par extension, il désigne aussi un moyen d’échapper à une réalité pénible : il trouvait dans le travail une échappatoire à ses soucis. Échappatoire est un nom abstrait et il importe de ne pas lui donner le sens concret d’« issue de secours », sens qu’il n’a que dans la langue des courses automobiles pour désigner la piste de dégagement située à l’entrée ou à la sortie d’un virage, que les pilotes peuvent emprunter si leur voiture quitte la trajectoire prévue.

on dit

on ne dit pas

Toutes les portes sont fermées, il n’est pas possible de sortir, il n’y pas d’issue

Toutes les portes sont fermées, il n’y a pas d’échappatoire

Déférer, écrouer, écrouelles

Le 2 juin 2022

Expressions, Bonheurs & surprises

Le monde de la justice est peu connu des profanes et les mots qui en relèvent sont parfois trompeurs ; cela s’explique peut-être parce que nous avons de ce monde des représentations forgées par des lectures concernant les temps anciens. Dans les textes qui évoquent l’Antiquité ou le Moyen Âge, il est fréquemment question de prisonniers jetés aux fers. Ce pluriel métonymique désigne les chaînes, les menottes qui entravaient les mouvements des captifs. Condamner aux fers signifiait « condamner à la prison », et l’on disait d’un prisonnier qu’il était chargé de fers. Aujourd’hui, nombre de films ou de séries nous montrent encore des suspects que l’on débarrasse de leurs menottes pour les présenter à un juge. Mais, dans ce cas, nonobstant tous les fers vus plus haut, on écrit, non que le suspect a été déferré, mais bien qu’il a été déféré. Le premier est un dérivé de fer, tandis que le second, emprunté du latin deferre, « porter de haut en bas ; porter à la connaissance de », d’où « porter plainte en justice », signifie « traduire en justice ; renvoyer devant la juridiction compétente ». On défère un prévenu au parquet, un criminel à la cour d’assises…, on ne le déferre pas.

On se gardera également de confondre ce qui relève de la métallurgie et ce qui est lié à la justice avec les mots écrou et écrouer. Il existe deux noms écrou, homophones et homographes, mais différents par le sens et l’étymologie. L’un ressortit à la justice ; il est tiré de l’ancien francique skrôda, « bout, lambeau », et a d’abord désigné une « bande de parchemin », puis, dès la fin du xve siècle, un « registre de prisonniers » et, aujourd’hui, il s’emploie pour parler d’un procès-verbal constatant qu’une personne a été remise au directeur d’une prison. Skrôda, avec le sens de « liste », a aussi donné le nom pluriel écroues, qui désignait, comme on le lisait dans les éditions anciennes de notre Dictionnaire, « les états ou rôles de la dépense de bouche de la maison du roi ». C’est de cet écrou qu’est tiré le verbe écrouer, c’est-à-dire « inscrire un détenu sur le registre d’écrou au moment de son incarcération » et, par extension, « incarcérer ». On constate donc que l’écrou de la langue de la justice n’a pas de lien avec les écrous de la quincaillerie, même s’il est tentant de supposer que ces derniers retiennent fermées les chaînes du prisonnier écroué ; quant à la « levée d’écrou », ce n’est pas le fait de desserrer les écrous de ces mêmes chaînes, c’est la mention sur ce registre de la mise en liberté d’un détenu et, par métonymie, cette libération elle-même.

Rien à voir donc avec la pièce d’assemblage percée d’un trou cylindrique taraudé dans lequel s’adapte exactement le filetage d’une vis. Ce nom, qui s’est d’abord rencontré au féminin sous la forme escroe avant d’être masculin au xvie siècle, est issu du latin scrofa, « truie », d’où « vis femelle », par l’intermédiaire du sens de « vulve », attesté en bas latin (rappelons que l’on parle aujourd’hui encore de « prise mâle » et de « prise femelle »).

Écrouer a par ailleurs un paronyme lié à la métallurgie et beaucoup moins en usage, écrouir, qui signifie « faire subir à un métal ou à un alliage, à température ambiante ou peu élevée, un traitement mécanique destiné à améliorer certaines de ses caractéristiques : dureté, résistance à la traction, etc. » Écrouir est tiré, par l’intermédiaire de l’adjectif wallon crou, qui qualifiait un métal brut, du latin crudus, « cru » et, proprement, « saignant, sanguinolent ». Cela nous ramène une fois encore à scrofa : c’est de ce mot que sont tirées les formes, savante et populaire, scrofule et écrouelle. En effet, ce mal, qui couvrait ceux qui en sont atteints de bubons sanguinolents, touchait largement porcs et truies. On conclura en rappelant que si le roi, juge souverain, pouvait délivrer des fers qui il souhaitait, il avait aussi le pouvoir, en raison du caractère sacré et thaumaturge de sa personne, de délivrer les malades de leurs écrouelles par une simple imposition des mains.

Déo A. (Togo)

Le 2 juin 2022

Courrier des internautes

Je voudrais savoir pourquoi le mot aussi, employé avec le sens de « c’est pourquoi », entraîne l’inversion du sujet quand il est placé en début de proposition.

Déo A. (Togo)

L’Académie répond :

Cette construction est un héritage de la syntaxe de l’ancien français, qui voulait que toute proposition s’ouvre sur un élément tonique autre que le verbe, qui, lui, occupait la deuxième place. Si cet élément était un complément direct ou indirect, un complément prépositionnel, un attribut du sujet, un adverbe, le sujet se trouvait rejeté derrière le verbe.

Cet usage s’est en partie maintenu en français contemporain, dans la langue soutenue, en particulier avec certains adverbes (ainsi va la vie, ainsi finit l’histoire ; aussi aimerait-il que... ; soudain arrivent deux cavaliers ; peut-être désirez-vous que…) et avec certains compléments circonstanciels (et au milieu coule une rivière ; le lendemain arrivèrent les secours).

« Car » en début de phrase

Le 5 mai 2022

Bloc-notes

Les conjonctions de coordination ne doivent pas s’employer en début de phrase ; si cette règle peut souffrir quelques exceptions, essentiellement pour des raisons stylistiques, s’agissant de mais, donc ou et, il n’en va pas de même pour car. C’est d’ailleurs cette impossibilité qui le distingue de la conjonction de subordination parce que. S’il l’on peut dire « Il n’est pas venu parce qu’il était malade » aussi bien que, en antéposant la subordonnée, « Parce qu’il était malade il n’est pas venu », on ne pourra pas dire « Car il était malade il n’est pas venu ». Seule la construction « Il n’est pas venu car il était malade » est correcte.

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