Écouter la radio alors que l’on conduit sa voiture m’a toujours semblé être un moment de détente avant d’aborder les tâches du jour. Un rendez-vous avec des voix que je retrouve chaque matin mêlées à celles d’invités chargés de débattre d’un sujet plus ou moins connu de moi mais comblant agréablement chaque minute de mon petit voyage. Faisant de moi en cette circonstance le témoin attentif d’orateurs s’exprimant en direct et soumis à cette obligation de préciser une position, une attitude, un état d’âme en une fraction de seconde et de la plus précise façon. Exercice difficile pour celui qui n’y est pas habitué. Et cela d’autant plus qu’il s’exprime sur la chaîne de grande réputation culturelle que je rejoins chaque matin. J’avoue qu’elle comble mon attente la plupart du temps et que le vocabulaire que l’on me sert ne trouble en rien ma passive écoute. Sauf si mon oreille porte à mon cerveau une expression dont j’ignore le sens et dont je m’instruirais ou si une incongruité me choque. « Intellection », par exemple, me porta vers notre
Dictionnaire de l’Académie et j’y appris qu’il fallait comprendre par là une fonction de l’intellect qui consiste à comprendre et à concevoir. Au temps pour moi. Mais j’eus aussi bien des surprises, plutôt cocasses. Ainsi récemment entendis-je une charmante personne nous confier qu’elle « maturait son projet » ; je ne doute pas que celui-ci fût fort intéressant, mais l’eût-elle mené à terme, élaboré, complété, que sais-je, aurait mieux sonné à mon oreille. De telles inventions, j’en ai retrouvé surtout dans la manipulation des verbes, on « externalise », on « fictionnalise », on dit qu’une pensée s’est « originée », qu’on a « bilanté », que l’on « candidate », que l’on « hallucine », faisant de soi-même un hallucinogène. Une approximation jetée dans le trouble de l’instant sans doute et dont on parvient tant bien que mal à imaginer le sens que son auteur a voulu lui prêter. Mais, avec un peu de contrôle de lui-même, n’aurait-il pas mieux fait de puiser dans l’énorme réserve des mots justes que recèlent les synapses de notre cerveau et qui savent exprimer avec une précision incomparable notre pensée française. Ma récolte ne s’arrête pas là. Hors dictionnaire, n’eus-je pas ce consternant privilège d’entendre évoquer un « présentisme », un « courtermisme », un « convivialisme », de me demander si « l’effectivité » permettait d’éviter « l’effet décéptif » d’une action. Mais peut-être ne suis-je pas suffisamment « intuisif », et suis-je trop intuitif devant ces éléments « cultureux ». On pourrait me croire l’inventeur de ces curiosités linguistiques. Soyez rassurés, elles furent relevées tout au long de cette dernière année et leur faible pourcentage ne trouble pas encore notre langue sur cette chaîne culturelle à laquelle je suis par ailleurs très attaché. Je voudrais que ces propos ne troublent pas votre « zénithude » que je suppose, dans l’esprit de son auteur, moins liée au zénith comme il conviendrait qu’au Zen si évocateur de sérénité. À l’année prochaine.
Yves Pouliquen
de l’Académie française