Réception de M. Erik Orsenna
Monsieur,
De toutes les traditions littéraires qu’a honorées l’Académie depuis plus de trois siècles, il en est une où la France a souvent excellé, sa langue l’y inclinait naturellement, mais dont nous nous défendons, dont nous rougissons, même, comme si nous la jugions inférieure au sérieux de nos voisins, comme si les dernières périodes à l’avoir cultivée, la Belle Époque et Les Années Folles, nous semblaient coupables des tragédies qui leur succédèrent je veux parler du trait de caractère et de la tournure d’esprit qu’ont illustrés les Académiciens La Fontaine, La Bruyère, Perrault, Marivaux, Dumas, de Flers, Rostand, Pagnol, Romains ou René Clair, sans parler des vivants, des bons vivants qui vous entourent, et ceux qui ont oublié de venir à nous ou que nous n’avons pas eu le temps ou l’idée d’appeler, de Molière à Sacha Guitry, de Jean Giraudoux à Marcel Aymé et Raymond Queneau, de Boris Vian à Roger Nimier et Antoine Blondin je veux parler de ce génie — ennemi du pesant mais non de la profondeur, dont il est la politesse — et qu’on pourrait appeler : la bienheureuse lé-gè-re-té française !
Parce que vous descendez en droite ligne de cette famille de charme, vous nous dispensez des prouesses de gravité, des escalades de concepts, auxquelles nous exposent parfois nos Discours de réception. Soyez, à votre tour, remercié de cet avant-goût des vacances proches. Papillon, ludion, Arlequin : toutes les figures du bondissement et du chatoiement dont on use à votre propos vous conviennent. Encore que votre allégresse recouvre du sérieux et, nous le verrons, plus d’une utopie, tordons le cou, cet après-midi, à la grandiloquence où se complaît l’époque et que condamne toute votre œuvre ! Si je devais vous présenter, ce dont la foule de vos amis et lecteurs n’ont que faire, je dirais qu’avec vous l’Académie accueille, avant tout, un amoureux fou de la vie sous toutes ses formes, et des mots pour la célébrer.
Cet état de grâce, vous le tenez d’abord de votre âge. La détestation chevrotante du monde, qui nous guette tous, vous n’êtes pas près d’y tomber. Nouveau benjamin du Quai Conti — vous le resterez pas longtemps, rassurons-nous, je l’ai été, je sais à quelle vitesse ces privilèges-là nous faussent compagnie, c’est le cas de le dire ! —, vous avez l’insolence de nous rejoindre à cinquante-deux ans ! Certes, il fut un temps où des abbés de cour siégeaient parmi nous dès la vingtième année. Mais ils n’attendaient pas la quarantaine pour se changer en fauteuil — qui est notre manière à nous de trépasser. L’espérance de vie s’est allongée du double, et elle gagne un mois par an. Les candidats, que vous allez vite repérer à certaines gracieusetés nouvelles, devront en prendre leur parti : vous voilà dans la place pour un bail ! Du moins avez-vous le tact, dans votre effronterie, de nous arriver un rien dégarni du chef. Ainsi éviterez-vous de faire mentir une plaisanterie qui nous comparaît naguère à la contenance des wagons à bestiaux : « Hommes : quarante ; cheveux, en long : huit » !
Au lieu d’aligner des rangées d’arrière-petits-enfants endimanchés, comme c’est l’usage, et regardant leur montre, vous avez l’audace d’asseoir devant nous, outre des enfants encore gamins, votre papa et votre maman, plus jeunes que beaucoup d’entre nous, et à qui le Gabriel de vos romans, prête un solide appétit de la vie.
Cette présence exceptionnelle de vos géniteurs invite à varier le « Vous naquîtes, Monsieur » qui ouvre rituellement nos éloges. Étant venu au monde la veille du printemps 1947, — avec trois jours de retard, nous l’apprendrons dans votre livre Deux étés —, je suis fondé à proclamer : « Vous fûtes conçu, Monsieur », le 17 juin précédent. Parfaitement : votre entrée sous la Coupole coïncide avec l’anniversaire, aujourd’hui même, de votre conception ! Et à l’heure près ! À la minute, peut-être, puisque la chose se passait à l’île de Bréhat, par une marée de 108, et que le bas de l’eau, les jours de fort coefficient, tombe en Armor, comme nos séances, à l’heure de la sieste, moment béni où les parents se retrouvent enfin seuls à la maison, les enfants étant partis pousser le haveneau, en troupe, dans les flaques à crevettes.
Vos ascendances sont de celles qui se complètent et s’enrichissent. Côté maternel : le Luxembourg, le Saumurois, bref la terre, dont on nous a appris qu’elle ne ment pas, mais aussi qu’elle porte à inventer des contes. C’est de votre mère que vous tiendrez le goût des « il était une fois », si doux à entendre, pour l’enfant, si difficiles à continuer, pour l’écrivain. Les hommes, eux, vous rattachent aux aventures lointaines, la Caraïbe, Saint-Domingue, l’Amérique latine, d’où presque tous vos romans feront surgir un oncle à anecdotes et à accent, comme dans les opérettes.
Mais votre port d’attache, votre escale primordiale, la matrice de vos rêves, c’est l’île bretonne de Bréhat, ce dédale de granits roses et de courants vert émeraude au large de Paimpol. C’est là que la tribu Arnoult, votre patronyme pour l’état-civil, se retrouve chaque été depuis 1880 par tablées de trente, avec ses maris ingénieurs, ses enfants en cirés jaunes, ses non-dits, et sa messe dominicale suivie de pommé tiède. L’enfant de chœur que vous fûtes — on l’imagine de l’espèce farceuse — perdra la foi, dites-vous, mais non le souvenir de l’Histoire sainte et de l’Église, si pleine de rebondissements comme vous les aimez.
La logique aurait voulu qu’après la khâgne vous vous destiniez aux études de lettres. Si vous préférez « Sciences Po » et un doctorat d’économie — votre thèse, jugée par Raymond Barre, portera sur les mouvements de capitaux à court terme ! —, si vous choisissez d’enseigner cette économie à Paris-I et rue d’Ulm, puis de conseiller en ces matières le ministère de la Coopération, si vous rejoignez au Conseil d’État, en 1985, des écrivains comme Françoise Chandernagor et Marc Lambron, c’est que vous aimez trop la littérature pour la dessécher en objet de concours et d’enseignement, alors que les réalités financières et la rhétorique du droit vous aideront à nourrir vos livres, à les ordonner, comme on classe en botanique, comme on dessine des jardins. N’allez-vous pas présider le Centre de la Mer et l’École du Paysage, rêveuses fonctions dont Giraudoux lui-même n’eût pas l’idée ?
L’auteur d’Électre écrivait trop français, jusqu’à se rendre difficilement traduisible en d’autres langues, pour ne pas décider en partie de votre seconde vocation, et bientôt la première : l’écriture, comme inventaire, métaphore et arabesque du monde. Autres influences : La Fontaine, Saint-Simon, Stendhal, pour la luminosité classique ; et pour le picaresque baroque : Cervantès, Dumas, Marquez, Nabokov. N’oublions pas Julien Gracq, si admiré que vous empruntez au Rivage des Syrtes, avec sa permission, le pseudonyme d’Orsenna, qui vous rendra plus libre de mener vos deux carrières. Un nom de ville, remarquons-le, et non de personne, de ces cités mythiques que l’on quitte sans esprit de retour, comme la Valette, Raguse, ou comme le début d’un conte — tout un programme.
Comme souvent les premiers romans, Loyola’s blues pose un thème qui se retrouvera plus tard chez nombre de vos personnages, et vous rendra reconnaissable : la passion de séduire, telle qu’elle va souvent de pair avec l’ambition politique.
L’appétit amoureux de Vauban, votre héros, le tenaille d’autant plus qu’il a été rudement brimé. Comme vous, il a été élève des bons Pères, chez qui la chasteté restait une des valeurs-refuges de la bourgeoisie. L’ambition politique est attestée, quant à elle, par la signature même du livre, daté, en 1973, des Jardins de l’Élysée, non sans prémonition puisque vous hanterez vous-même ces jardins dix ans plus tard. Vauban compte bien que l’y mèneront, sinon ses minces mérites militaires pendant la guerre, du moins son observation des trafics en tous genres de l’Occupation. Car vous lui donnez vingt bonnes années d’avance sur vous. Comme votre contemporain Patrick Modiano, vous trouvez les années 30-40 d’avant votre naissance plus propices que la suite à ce qui deviendra votre marque, votre famille, et que j’appellerais volontiers le « roman narquois ».
L’envie d’atteindre les sommets de la société ne vous intéresse pas au premier degré, comme chez Rastignac ou Lucien Leuwen ; ni pour vous-même, encore que votre présence sur ces banquettes, dans cet attirail, ne traduise pas, vous l’admettrez, un dédain radical des consécrations. Mais ce sont les calculs dérisoires du carriérisme qu’il vous amuse de tourner en fausse épopée, de traiter en sotie, comme disait Gide de ses Caves du Vatican. Si la débâcle de juin 40 a rempli vos aînés de honte et de rage, vous êtes de ceux à qui elle a légué un mépris tenace pour ces fantoches d’adultes, y compris pour les adultes que nous sommes, que vous êtes, devenus.
Le comique de l’ambition cesse d’être un hasard, dès lors que votre deuxième roman, La Vie comme à Lausanne, y revient, dans le cadre, encore plus risible, de la IVe République. Alors que sa mère le voit « Grand Poète », nouveau Byron, fils apocryphe d’Apollinaire, Charles-Arthur vit la drôle de guerre enterré sous la ligne Maginot, et ne rêve plus que d’être élu au centre, là où la France passera pour vouloir être gouvernée. Que sa biographie, et sa vie même, ressemblent à la Suisse, rythmées par le coucou : tel est son idéal. Je débutais comme critique, il se trouve, quand a paru cette parodie de roman de formation. J’ai été un des premiers à exprimer ma jubilation. C’est dire comme je me réjouis de revenir saluer à nouveau vos premiers pas sous cette voûte ; une situation d’autant plus délectable que nos humours, proches, ne l’avaient pas envisagée !
Mon article évoquait le saugrenu, le pince-sans-rire, de Roger Nimier, dont ce roman allait vous valoir le Prix 1978, Nimier qu’on aurait bien vu à ma place pour vous recevoir, si la route ne lui avait arraché sa copie, à peine commencée. La scène de la roseraie plantée entre les casemates de la ligne Maginot se relit comme un morceau d’anthologie. Elle éclaire votre façon de faire, qui est de pousser au grotesque des faits véridiques avec un sérieux qu’on dirait de pape, s’il n’était plutôt anglican, je veux dire : britannique. Par différence, on y perçoit le prix que vous attachez au bonheur privé, tant vous semblent à pouffer de rire le succès public et ses flonflons.
Une comédie française clôt ce qui ressemble, avec le recul, à une trilogie burlesque de l’arrivisme politique, dont le souci prétendu de l’intérêt général cache mal la jouissance de commander, de se croire l’élite. Cette fois, l’actualité glisse vers 1958 et son changement de République. La contraception balbutiait. Les grands personnages roulaient en Hotchkiss et en D.S. C’était le temps, qui paraît si loin, où les communistes quêtaient pour fleurir la tombe de Staline ou conspuaient le général américain Ridgway, ancien de Corée et nouveau commandant de l’OTAN — déjà elle. Les familles « faisaient » l’Espagne en « Frégate ». On pataugeait dans le non-mémorable. Par contraste, les pubertés prenaient figure d’épopées, et de légendes les premières amours de séjours dits « linguistiques ». Barbie était un nom de poupée, pas encore de tortionnaire. Les familles Fenouillard des Trente Glorieuses regardaient sautiller les « Actualités » où les ministres, sur des perrons, lançaient à la caméra des sourires entendus et perplexes. Qu’est-ce que l’Histoire, finalement, sinon des nouvelles que crachote la T.S.F., à l’heure où nos joies intimes nous les rendent plus qu’incongrues : indifférentes ?
J’oubliais : déjà et encore, Bréhat est là, avec ses amers, ses amours, ses cris de plage, sa vase dans les sandales, ses mères qui tricotent, ses pains d’épice où le sable se colle, et ses lèvres bleuies qui tremblent à la sortie du bain. Faire sa réaction : telle était la grande affaire française, en ces années-là, dans l’Ouest !
Surviennent huit ans de silence. Quand un écrivain fait ainsi retraite, le milieu l’attend avec une escopette. Le risque de décevoir menace, surtout si les premiers livres ont brillé par leur champagne et leur brièveté. L’espièglerie adolescente des débuts supportera-t-elle la longueur attendue d’un professionnel devenu quadragénaire ? La traversée transatlantique d’une saga de six cents pages tiendra-t-elle la promesse des régates en bélouga entre trois bouées ? Pari gagné, puisque l’humour potache a soutenu la distance de L’Exposition coloniale, et séduit plus d’un million de lecteurs !
Sans sacrifier au sérieux, le culbutot en caoutchouc à quoi l’auteur compare son héros Gabriel, et à quoi il se compare lui-même en tant que romancier du rebondissement, a été lesté, pour l’occasion, de significations moins volatiles. Le siècle entier défile, et non plus ses seules marionnettes. L’essor industriel et l’aventure coloniale y prennent le poids de personnages centraux. L’art de la pirouette, celui d’une fresque réaliste.
La banlieue nord-ouest de Paris en est le berceau. Outre Céline et Arletty, elle a vu naître l’automobile et ses accessoires, qui furent, avec l’Empire, les grands rêves du siècle en train de finir. L’hévéa d’Indochine et le pneu auvergnat mériteraient de se partager le blason français.
Louis, le père de Gabriel, est poussé par sa mère à administrer nos chères colonies. Mais deux autres vocations le requièrent : le bricolage en affaires — la mode de la communication en tous genres lui ira comme un gant — et le bonheur en amour, avec cette singularité qu’il aimera deux sœurs, plus adorablement fantasques l’une que l’autre. Ce serait le pire des supplices pour qui s’obligerait à choisir entre elles. Mais quoi de plus délicieux si les trois intéressés se révèlent trigames dans l’âme ! Ce fut le cas pour Freud, après tout, sans l’aide d’un divan. Clara et Ann deviendront presque centenaires, sans rien perdre de leur ingénuité libertine. Avec un talent consommé pour vivre et faire vivre des moments rares, la narration saute d’un lit à l’autre, de Londres à Clermont-Ferrand, d’un paquebot à un circuit automobile, des odeurs de serre à celle des moteurs surchauffés, des airs de fox-trot au chant des boîtes de vitesses de Traction-Avant
Le tout drôlement dit, dans un doux mélange d’insouciance et d’angoisse, d’ébriété et d’ardeur, à la manière entêtante des cocktails d’alors ; comme si le moteur de ce siècle n’avait pas été l’économie, que vous connaissez si bien et que vous sous-entendez si finement, mais le goût de l’instant qu’inspirent souvent les veilles de catastrophe, goût en quoi communient le père et le fils, soudés par une tendresse adolescente qui reste un des souvenirs exquis du livre.
Le Prix Goncourt 1988 a couronné ce coup de maître. Vous l’avez reçu avec la bonne grâce chanceuse qui vous caractérise, et qui augurait bien de votre venue parmi nous, du premier coup, facile, consensuelle, à votre image. La meilleure façon de négliger les récompenses et les honneurs, si on trouve chic de ne pas avoir l’air d’y tenir, c’est encore de les avoir, et, tant qu’à faire, comme vous ce soir, comme les mousquetaires chers à votre enfance : sans tarder, avant les autres, flamberge au vent !
Etait-ce un honneur, un cadeau, de se voir confier quelques projets de discours par le Président de la République, vers 1983 ? Plutôt une source de malentendus. Comme tout écrivain qui se frotte aux faiseurs d’Histoire, Histoire avec majuscule et sans « s », vous en tirez un livre, Grand Amour ; selon votre pente, c’est-à-dire en fantaisiste aimant galéjer et, seconde nature oblige, courtiser les dames.
Le signataire de vos brouillons aurait mal pris vos nasardes, dit-on, et, à sa suite, quelques courtisans. L’offense était pourtant moindre que d’écouter aux portes, de se draper dans la déception, de s’approprier des secrets d’État ou de tourner casaque au galop, comme d’autres conseillers. Nous touchons-là à un de nos travers nationaux. En France, les études, les talents et les envies dont on fait les hommes politiques et les écrivains ont souvent été les mêmes, et aujourd’hui plus que jamais. Par la suite, les deux corporations croient pouvoir se fréquenter, se prêter la main ou la plume ; alors que tout, au fond, les sépare. Quoi de plus contraires que l’obsession de récolter des voix, chez le politique, et celle, chez l’écrivain, de trouver un ton ! Il n’y a pas d’allégeance au Prince qui vaille, pour qui n’a de compte à rendre qu’à son style. Trop de grands aînés y ont perdu leur temps et, sinon leur âme, de leur verdeur, si ce mot ne jure pas devant tant de ramages assemblés.
C’est la noblesse des artistes, et leur sauvegarde, de demeurer intraitablement indociles. Au demeurant, votre rébellion de « nègre » a connu des précédents augustes. Rappelons-nous le saint patron des souffleurs de génie que fut Cyrano de Bergerac, de votre désormais confrère Edmond Rostand ! Souvenons-nous de l’aplomb avec lequel l’écrivain Charles de Gaulle revendiqua, dans les années trente, la paternité d’un traité militaire signé de son ancien colonel devenu Maréchal ! Qui sait si ce contentieux n’était pas encore présent à leur esprit, quand s’ouvrit entre eux le différend que l’on sait, nettement moins « gendelettre ».
On ne peut exclure que les chefs d’État devenus tels après s’être rêvés écrivains se vengent de ceux qui ont persisté en les distrayant de leur œuvre par des corvées obscures ou des charges flatteuses. N’a-t-on pas dit que la Reine Christine avait « tué » Descartes en l’appelant à la cour de Suède ? Vous avez survécu aux lambris, quant à vous, et sans y laisser de « tags » : juste quelques croquis comme on en crayonne sur un buvard quand des raseurs téléphonent, et, bien entendu, quelques cœurs percés d’une flèche, comme partout où vous passez ; avec l’excuse que les Quatorze Juillet de l’Élysée, je l’ai observé, invitent aux tours de parc galants, plus qu’aux plans sur la comète, sinon aux plans de carrière.
Des tours et détours, votre livre suivant en est plein, comme il est normal sur une île — car, qu’y faire d’autre, hors saison ! Absent de Grand Amour, votre cher Bréhat se rattrape dans Deux étés, qui s’y passe entièrement. La passion de la mer se marie avec toutes les autres, hormis celle du grouillement citadin, qui n’est pas des vôtres, tandis que vous ont toujours enchanté, séduit, inspiré, la prose effervescente de Nabokov, et l’art méconnu de la traduction. Vous voilà lancé dans un nouveau ménage à trois, entre la chronique d’une île en hiver, le souvenir d’Ada ou l’Ardeur, et les difficultés qu’éprouve à le traduire un nommé Gilles, en qui on serait tenté de reconnaître Gilles Chahine, traducteur effectif du roman pour Fayard, où il parut en 1975.
Bien que notre époque succombe sous les commémorations, elle n’a guère fêté le centenaire de Nabokov, né en 1899. L’auteur du trop célèbre Lolita, (trop célèbre parce qu’à ce point le succès masque les vrais mérites, qui sont affaire de chuchotement) Nabokov appartient aux écrivains pour "happy few" dont rêvait Stendhal. Vous êtes de ses fervents, à cause de la ferveur, justement, de sa passion bizarre pour les éruditions inutiles, les noms de plantes imprononçables, les souvenirs indistincts, le mordoré d’un vitrail de véranda ou d’une aile de papillon. Mort en 1977, Nabokov a eu le temps de souhaiter que la traduction française d’Ada eût un goût « de loukoum ». C’était épaissir le mystère sous couvert de l’éclaircir — sa spécialité.
Restituer cette littérature, délicieusement brouillée comme l’horizon d’un matin de nordet, demande autant de patience et de poésie que pour attraper en plein vol nuptial un Orsenna mâle tournoyant dans le faisceau du phare de Rosédo. Fayard s’inquiète des lenteurs de Gilles. Les voisins sont mis à contribution. Ils y vont de leurs restes d’anglais et d’équivalences erratiques. La torpeur gagne. En de tels lieux, tout est occasion de différer la tâche : les nouvelles du micro-climat, qu’on voudrait dû au Gulf Stream, le riz au lait du mercredi, la thèse d’un autre îlien sur un amour secret de Stendhal, les bavardages chez l’épicier, la voix de Borges grésillant sur la bande radio des chalutiers, la badauderie des touristes d’un jour, l’immanquable pêche à pied, la délivrance de la dernière vedette pour le continent, la blondeur des jeunes mamans, le clapotis des syllabes
On songe à Gide visitant Paulhan et Arland dans leur thébaïde de Port-Cros, pour parler N.R.F., et affolant tout le voisinage au sujet d’une vipère qu’il sait pertinemment ne pas avoir vue. Il n’est pire manière de faire travailler des écrivains que de les enfermer sur une île. Tout y est prétexte, pour ces velléitaires-nés, à refermer le capuchon du stylo et à marcher jusqu’au phare. Deux étés fournit une des définitions possibles d’un bon roman : un récit sans cesse retardé par des digressions qu’on n’a pas envie de sauter.
J’ai parlé en commençant de votre légèreté d’être, rien moins qu’insoutenable, comme dirait Milan Kundera, et même volontairement soutenue. Votre dernier livre paru en 1998, Longtemps, y apporte un bémol, comme on dit maintenant, signe, en musique, du passage en mineur, le ton du chagrin. Vous quittez en effet la comédie systématique et prenez le poids dont on vous croyait ennemi. Avec leurs serments trop intenses, vos personnages devenaient suspects de sur-jouer la passion — autre image de nos nouveaux maîtres à penser, les gens de spectacle —, faute de ressentir vraiment. Il leur manquait d’avoir souffert d’un amour contrarié.
C’est l’expérience douloureusement salutaire que va faire votre Gabriel, rescapé de l’Exposition coloniale, avec l’apparition, dans sa vie de botaniste insouciant, d’une irrésistible Italo-Russe, « à tomber », diraient nos enfants, douée de tous les charmes, y compris de n’être pas de son époque. Alors qu’on se met au lit, de nos jours, avant de savoir si on le souhaite vraiment — « On récite du Pétrarque avant, ou on se couche d’abord ? »—, alors que, si « la chose s’est passée hyper-bien », on appelle dès le lendemain le conjoint sur son portable pour parler divorce et régler les gardes du week-end, l’Italo-Russe lâche cette annonce sans âge et sans réplique : « J’ai ma vie, Gabriel, je n’en changerai jamais ». Quoi de plus « ringard », en effet !
Si elle a décidé que sa liaison avec Gabriel serait secrète ou ne serait pas, c’est, dit-elle, « au nom de la Loi » ; non pas la loi de tous que l’on subit, celle que l’on se donne en cachette, comme on dit qu’on se donne de la joie. Comment sauver l’adultère des hypocrisies qui y deviennent aussi routinières, très vite, que le conjugo ? Gabriel, qui a le sens du théâtral, en mettra dans le moindre cinq-à-sept, avec pour alliés l’espace (« Rendez-vous à Séville, demain, pour dîner ! »), et le temps, qui anoblit tout, même les tromperies à la sauvette — surtout si la sauvette dure trente-cinq ans. Le moment venu, Gabriel se retrouvera plus veuf que nature, nanti d’une gaîté inconsolable, miraculé de l’éternelle attente. Qui a dit que le meilleur moment de l’amour, c’était la montée de l’escalier ?
Sous cette Coupole, c’est plutôt la descente de notre échelle de meunier, là-bas, derrière, qui fait battre le cœur, au rythme des tambours — bien que leur roulement, le saviez-vous ?, soit celui qui accompagnait la montée des ci-devants à la guillotine.
Ce serait vous trahir que de passer sous silence ce qui mène votre imagination, baigne votre style et enchante votre public : votre goût insatiable de la femme, qui vous inspire des gourmandises de chat devant sa soucoupe, qui tient, je pèse mes mots, de la frénésie. François Truffaut, votre frère en fanatisme sur ce point, disait du cinéma : c’est l’art de filmer en gros plan des femmes sublimes. Vous êtes de ceux qui appliqueraient volontiers cette définition à la vie, comme aux livres ; de ceux qui ne peuvent s’empêcher de remarquer la jupe seyante de la sœur cadette, dans les mariages, fût-ce le leur. Vous formez — nous formons, allez, et nous ne sommes pas tout seuls ici même ! — une grande famille (il n’est pas déplacé de l’évoquer ailleurs, pourquoi le serait-ce en ces lieux ?) —, dont les derniers représentants littéraires seraient Henry Miller, Audiberti ou Philippe Roth
Je limite exprès mon énumération à des disparus et à des étrangers car, par les temps qui courent, elle pourrait tourner à la délation, l’idée fixe d’admirer et de courtiser — appelons-là : idée —, risquant de devenir délit de harcèlement, même de ce côté-ci de l’Atlantique et de la Manche. La question hante désormais nos relations quotidiennes, en attendant d’encombrer les tribunaux : est-elle respectueuse, honnête, licite, pour tout dire : « correcte » — ajoutez-y n’importe quel adverbe américain qui vous chante — la jouissance qui est la vôtre, et qui a rendu le XVIIIe siècle si ravissant, si délicat, tellement civilisé, de s’attarder au spectacle de la beauté féminine, de baptiser une nouvelle venue : « la Pimpante », « la Suave » ou « la Déchirante », comme le firent Crébillon ou Laclos, comme allait le faire Linné pour classer les liliacées ? Si nommer, c’est déjà poser la main et vouloir prendre, nous avons élu, je le crains, un pré-délinquant ; pire : un dangereux récidiviste, au casier lourd.
À suivre Vauban, Charles-Arthur et Gabriel, la gent féminine se partage en deux catégories. Non pas selon le critère d’inégale faroucherie auquel pensent nos auditeurs mâles à l’esprit le plus mal tourné, mais en fonction de deux vêtements types vus par un collégien moyen du dernier demi-siècle : la robe bleue, à plis, façon sœur d’élève, et le tailleur grège modèle mère de pensionnaire aperçue au parloir, ou, ce qui revient au même, épouse de ministre — épouse d’un deuxième mariage, s’entend. Pourriez-vous jurer que vous n’avez pas déjà attrapé au moins un spécimen de chaque sorte, ici même, dans le filet à papillons de vos lunettes de collectionneur. Non pas en lisant votre discours, bien sûr, vous auriez risqué le trébuchement ou le lapsus, mais maintenant que vous voilà quitte pour écouter, fût-ce des compliments, ce qui, on ne sait pourquoi, favorise plutôt l’attention.
Faites un tour d’horizon, discrètement. Pas à l’Est, on vous verrait vous tordre le cou et perdre vos boutons de col. Vers l’Ouest, plutôt, dans les haubans, au 270 compas, en prenant l’air ailleurs ; vous ne voyez rien ? Pas la moindre robe bleue, pas l’ombre d’un tailleur grège ? Vous êtes sûr ?
Où serait le mal ? Si on regarde bien, et révérence parler, la disposition de cette ancienne chapelle évoque moins des élans de piété que les bals au château, où il était séant de s’observer en vis-à-vis, de faire tapisserie, disait-on, si possible pas trop longtemps. Supposez — je pastiche de l’Orsenna, pour faire ressemblant — que la Garde républicaine se lance à cette seconde dans une mazurka ou, bouchant ses trompettes, dans un slow, pourquoi pas Loyola’s Blues ?, la piste a beau manquer de diamètre, vous n’imaginez pas les personnalités s’invitant à danser, d’une courbette, les couples, un à un, se formant, les mères s’enquérant des rangs de perles des débutantes et, chez les cavaliers, de leur rang de sortie aux Grandes Écoles ?
Il est vrai que vous avez personnellement placé vos pions. Vous avez profité de la récente mixité académique pour vous trouver, en guise de parrain une marraine. Ça commence ! Je vois déjà les titres de la presse people : « Flirt quai Conti ! À peine toléré dans le Dictionnaire comme " relation passagère et qui peut rester platonique ", le flirt fait son entrée sous la Coupole ! Érik Orsenna y a ouvert le bal ! » Si je m’écoutais, comme au vieux temps des « boums », je préviendrais certains de mes confrères, les Jean-Marie, Jean-Pierre, Jean-Denis, Jean-François, sans oublier les Jean tout court : « Celui-là, l’Érik, va falloir l’avoir à l’œil ! »
Trêve de fantasmes chahuteurs, qui ne sont pas la conséquence d’un pari, mais destinés à suggérer vos rapports volontiers carnavalesques avec la réalité. Les fêtes et les noces du regard entre les deux moitiés de l’humanité, vous admettez mal, et on vous comprend, que les animaux soient bientôt seuls à y être autorisés. Elles font partie du droit de vivre, du devoir d’aimer. Elles appartiennent à votre thématique — pour parler vulgairement. Elles imprègnent, elles irradient, elles illuminent, toutes vos histoires d’amour, ce dont manquent, vous le déplorez quelque part, les romans de Sartre ou de Malraux. À vos mérites, j’ajouterais, à l’usage des jeunes lecteurs, celui de rendre ses prestiges et ses nuances au discours amoureux, un des plus sinistrés de notre langue, avec ses "nanas top" et ses "meufs canon".
Au moment de gloser sur l’amour selon Orsenna, je m’avise que votre nom ne se laisse pas aisément adjectiver en orsennien pour les futurs thésards, ce qui, s’agissant d’un pseudonyme, donc d’un choix, signale une relative modestie dans l’imprévoyance. De même, pourrai-je, après ce discours, me prétendre orsennologue émérite ? Le fait est que l’orsennisme exclut le huis-clos intimiste qui est souvent la rançon de la passion. Il ouvre tout grand sur le monde et sur la durée.
C’est peu dire que vos amants courent les continents. Le dépaysement fait partie de leur curiosité sans borne. Ils n’ont de cesse de traverser les océans, les milieux, les métiers. Pas d’amour sans aptitude miraculeuse à se rejoindre aux antipodes, cette aptitude qui guide les anguilles des bords de Loire, où Jules Verne enviait leur appareillage, jusqu’aux improbables Sargasses et retour. Vous-même vous ne vous plaisez qu’ailleurs, là où l’on s’étonne encore. L’expert économiste et le conteur s’émerveillent ensemble des pays en gésine, qu’ils soient d’Amérique du Sud ou d’Afrique, dont vous dites avoir « besoin », c’est votre expression, plus qu’elle de nous.
Au vertige de découvrir l’infini qui se cache derrière l’horizon, répond le vertige d’infini dans le Temps, cette aventure capitale, dans les livres comme dans l’existence. Vous êtes un romancier des longues périodes, comme on le dit pour les historiens. Vous accompagnez vos personnages sur plusieurs générations. Vous ne les quittez qu’à des âges avancés, et souverainement intacts, comme s’ils vous avaient devancé dans l’état où vous voilà, je veux dire : l’Immortalité. La durée peut tout, puisqu’elle est capable de changer les amours furtives en noces d’argent ou d’or. Les cheminements de l’Histoire, eux aussi, s’expliquent moins par les lois économiques — parole de docteur d’État — que par la mécanique céleste des flux et des reflux, chère à Shakespeare, à qui vous empruntez par ailleurs le mélange des genres.
Cette familiarité avec les extrêmes de l’Espace et du Temps, vous l’avez reçue, je l’ai dit, en héritage. L’air du large balance les branches de votre arbre généalogique. L’Alizé caraïbe y souffle son haleine humide. Vous la tenez aussi, cette familiarité, de la Botanique, des jardins, où on apprend à composer avec les carrés de terre et les saisons, à étiqueter la moindre brindille.
Au sens du temps qui passe, matérialisé par l’annuaire des marées, il faut ajouter, dans nos régions où le ciel « change » si vite, ce qui veut tout dire et rien : le temps qu’il va faire. Il n’est pas rare, les matins incertains, que Bréhat retentisse du toc-toc de tous les index îliens tapotant ensemble les baromètres pour évaluer la tendance du mercure, le « beau fixe » n’étant pas souvent atteint — ni souhaité, car comment rêver de fixité dans ces parages où tout est mouvement ! —, et pour décider si la fièvre locale, torride en dépit des vents aigrelets de Bretagne-Nord, s’apaisera ce jour-là en partie de pêche, dans les crêperies, en siestes fécondes — n’y revenons pas —, ou en excursion vers l’île sœur de Jersey, dont vous font cousin le même rose des cailloux, votre mélange très british d’extravagance et de flegme, votre refus de s’expliquer et de se plaindre.
Mais c’est d’abord au cosmos que vous raccorde votre sixième sens ; et de la mer qu’il vous vient. Sans elle, vous n’auriez pas le réflexe de situer toutes choses sur la rose des vents, de relever le cœur dans le nord-est de la poitrine. Je veux parler de la haute mer, une fois sorti des courants qui blanchissent les passes du Kerpont ou de la Horaine, là où l’espace et le temps ne font plus qu’un, où il n’y a plus de lieux, seulement de purs instants, réglés sur les astres.
Monsieur,
Le hasard de nos élections fait bien les choses. On dirait de ces risées qui écartent le voilier des récifs au dernier moment, comme une caresse sur un front. Nul mieux que vous ne pouvait évoquer cet autre fou de mer que fut le commandant Cousteau. Je savoure le rare bonheur d’avoir accueilli ici, il y a dix ans déjà, cette sorte de grand frère, et de recevoir avec vous, à son même banc de nage, une manière de frère cadet.
Des bulles de champagne de votre prose, vous êtes passé naturellement aux bulles que rejetait le masque de celui par qui fut révélé le monde du silence. Vous avez ressuscité l’homme au bonnet rouge qui sut mettre sa popularité sans précédent au service de la planète. Vous avez justement rappelé avec quel scrupule le plongeur s’imposa de décrire les explorations psychiatriques du regretté Jean Delay, son prédécesseur. Vous auriez pu remonter encore dans la dynastie de votre dix-septième fauteuil, qu’on dirait voué à la fièvre de découvrir et de conserver, avec Bougainville, le frère du navigateur, avec Littré et Pasteur.
Je vous sais gré d’avoir associé au souvenir du Commandant la mémoire d’Éric Tabarly, dont la fin rappelle le mot de Conrad illustré par vos livres : « Du seul fait qu’il est né, l’homme tombe dans un rêve, comme on tombe dans la mer ». À eux deux, les patrons de la Calypso et des Pen-Duick ont accompli le prodige de redonner aux Français conscience, et orgueil, de leur vocation maritime, vocation dont vous allez retrouver ici d’ardents défenseurs, Michel Mohrt, Michel Déon, Jean-François Deniau.
En vous, nous saluons au moins quatre récipiendaires d’un coup : Érik Arnoult, cinquante-septième membre du Conseil d’État à nous rejoindre, homme d’institution donc, déjà président de plein de choses, ayant foi dans le droit, l’État, l’héritage, tout ce qui peut nous rassurer. Avec l’irrespectueux Érik Orsenna, nous accueillons le contraire du premier ou presque, du genre à dessiner des moustaches aux statues ; et vous aurez de quoi faire, nos couloirs, vous verrez, alignent autant de bustes que compte d’écueils le chenal du Trieux.
Moins visible, plus secret et plus ambitieux à la fois, nous découvrirons un homme fait pour nous : assoiffé de savoir encyclopédique, amoureux de réel et d’utopies, reporter autant que romancier, collectionneur des pratiques et des fables qu’a produites l’humanité, convaincu, avec Borges, que les bibliothèques peuvent récapituler le monde, conservateur des patrimoines et des légendes, charnellement attaché à nos paysages, bénédictin de l’érudition autant que nomade écarquillé ; un mystique des mots tel que nous les aimons, tel que le siècle prochain va en manquer, c’est à craindre.
Voici enfin l’ombre de Gabriel, insaisissable, filant entre les doigts et les définitions, libre de la liberté suprême, celle de l’imaginaire et des phrases jamais achevées, celle qui rend délicieusement imprévisible, et dont seule donne une idée la mer découverte, sans qu’on s’y attende, au détour d’un chemin creux.
Votre accointance avec ce mystère de la mer, je ne vois pas de meilleure façon de la figurer, pour finir, qu’en citant un passage fameux des Chemins de la mer, de François Mauriac. Notre confrère Maurice Schumann aimait tellement cette page qu’il la savait par cœur, comme des milliers d’autres, et qu’il la récita, une nuit, au micro de Londres ; Maurice Schumann, dont c’est l’occasion d’associer le nom à votre venue, qu’il désirait en ami, qui l’eût comblé.
Mauriac écrit (écoutez-le, on croirait entendre sa voix de confessionnal !) :
« La vie de la plupart des hommes est un chemin mort et ne mène à rien. Mais d’autres savent, dès l’enfance, qu’ils vont vers une mer inconnue. Déjà l’amertume du vent les étonne, déjà le goût du sel est sur leurs lèvres — jusqu’à ce que, la dernière dune franchie, cette passion infinie les soufflette de sable et d’écume. Il leur reste de s’y abîmer ou de revenir sur leurs pas ».
Merci, Monsieur, d’avoir gardé sur vous ce goût du sel. Rien que pour cela, soyez le bienvenu !