Réponse de M. Joseph Bertrand
au discours de M. le comte d'Haussonville
DISCOURS PRONONCÉ DANS LA SÉANCE PUBLIQUE
le jeudi 13 décembre 1888
PARIS PALAIS DE L'INSTITUT
Monsieur,
Votre présence ici rappelle à l’Académie, comme à vous-même, d’anciens et chers souvenirs, votre nom y rencontre de vives et nombreuses sympathies. Vous ne l’ignoriez pas quand vous avez désiré nos suffrages, mais vous saviez aussi que le talent seul donne le droit de les obtenir : vous avez concilié la sévérité de nos traditions avec le désir de tous. L’Académie française, empressée d’accueillir l’arrière-petit-fils de Mme de Stael, le petit-fils du duc de Broglie et le digne fils de M. d’Haussonville, est heureuse en même temps de recevoir aujourd’hui un ami sincère et éclairé du bien, un écrivain habile et élégant de plus.
Vos ouvrages, Monsieur, sont dignes de louanges et, ce qui vaut mieux encore, de reconnaissance ; quand on les a lus avec plaisir, on peut les étudier avec profit ; vos documents sont certains, vos jugements impartiaux, vos conseils généreux et prudents.
Votre livre sur le salon de Mme Necker est un modèle que bien peu pourraient imiter.
Le sujet vous appartenait par droit de naissance. Un critique éminent à qui vous venez de rendre justice a pu ajouter, après vous avoir lu : et par droit de conquête.
L’intérêt commence dès la première page. Vous nous transportez au milieu du XVIIIe siècle, dans une petite ville de Suisse, où, par un hasard qui n’était pas rare alors, se trouve réunie une société intelligente qui, pour exciter les esprits, savait mettre les talents en lumière.
Suzanne Curchod, fille du pasteur d’un village voisin, semble née pour le premier rang. Elle préside l’aimable Société du Printemps dont les règlements, sévèrement observés, interdisent l’accès aux pères et aux mères des jeunes gens qui la composent. La jeune puritaine y rencontre Gibbon, le grand historien, alors jeune étudiant ; une mutuelle sympathie les rapproche : les règlements ne l’interdisent pas. Tout favorise une familiarité bientôt un peu tendre, comparable peut-être, avec plus, de dignité de part et d’autre, à celle de Goethe et de Frédérique Brion, ou, avec une ingénuité moins timide, à celle d’Ampère avec Julie Caron. Les mœurs alors permettaient, dans les plus dignes familles, ces honnêtes et charmantes libertés.
Le père de Gibbon s’oppose à un mariage, suivant lui, disproportionné. Quelques années s’écoulent. Gibbon a renoncé à des projets qui chaque jour lui deviennent moins chers. On ne fuit pas cependant les occasions de se rencontrer, on s’écrit quelquefois ; la séparation n’est pas une rupture. Dans son brillant salon de Paris comme plus tard dans son exil volontaire de Coppet, Suzanne Curchod, devenue Mme Necker, recevra cordialement son ancien ami, heureuse peut-être d’entourer son accueil toujours affectueux de toutes les splendeurs d’une situation dont Mme Gibbon n’aurait jamais pu rêver l’éclat.
Les portraits sont nombreux dans votre aimable livre. Vous nous montrez, dans une intimité un peu apprêtée, Marmontel et Thomas, Grimm et Suard, Morellet et Dorat, inégalement médiocres, mais également satisfaits d’eux-mêmes, également gâtés par le succès de leurs œuvres presque également oubliées aujourd’hui.
Diderot apparaît sans empressement : c’est un hôte qui se fait désirer. Vous ne l’aimez guère, on le devine ; mais votre courtoisie ignore l’injustice.
Buffon se montre heureux d’une sympathie qu’il partage. Vous en parlez si bien que, si prévenu qu’on puisse être contre la personne de celui que Dalembert nommait le marquis de Tufières, on ne songe pas à vous contredire.
Vous avez introduit dans vos gracieux tableaux avec une sympathique émotion les aimables et célèbres amies de votre aïeule. Vous ressentez et savez faire goûter le charme de ces vieux souvenirs. Ce charmant quatrain de Théophile Gauthier termine et résume un de vos chapitres :
J’aime à vous voir dans vos cadres ovales,
Portraits fanés des belles du vieux temps,
Tenant en mains des roses un peu pâles,
Comme il convient à des fleurs de cent ans.
Parmi les figures que vous présentez de si bonne grâce aux visiteurs du vieux salon de famille, il en est quelques-unes que l’on n’entendrait pas sans étonnement adopter le style soutenu que ce milieu sérieux et sévère devait plus ou moins imposer à tous. La fille toujours austère du pasteur Curchod voulait bien traiter en amie la charmante Mme d’Houdetot.
En lisant en tête d’un chapitre ce doux nom protégé par tant de souvenirs, j’ai craint, très à tort je dois l’avouer, pour l’amie volage mais fidèle de Saint-Lambert, un affront entouré de toutes les convenances que dans aucun cas, Monsieur, on ne vous voit oublier. La bonne et folle Sophie, ne trouvant dans la vie rien de doux que l’amour, suivait sa fantaisie, ne s’en cachait guère et ne perdait l’estime de personne. C’était une des grâces de son esprit nourri dès l’enfance aux maximes faciles de cette étrange époque.
Née en 1730, les leçons pour elle, quand elle connut Mme Necker, seraient venues beaucoup trop tard. La vertueuse et intelligente puritaine n’essaya pas de lui en donner ; elle sut aimer cette nature vive et franche, admirer ce charmant esprit, pardonner à ce cœur trop tendre, à cette âme ardente et sensible, qui rêvait encore et rêva jusqu’à son dernier jour d’un passé, malheureusement blâmable, dont le souvenir la consolait de tout.
L’admiration sincère de Mme d’Houdetot pour la petite Germaine, tout chez elle était sincère, vint resserrer les liens d’une affection mutuelle qui jamais ne se sont rompus.
La figure de Germaine Necker est attrayante et pleine de vie. On s’intéresse à cette aimable enfant qui deviendra Mme de Stael, on apprend avec joie que Tronchin, sans prononcer le mot de surmenage, qu’il aurait certainement compris, prescrit pour Germaine la solitude et le repos. L’enfant trop précoce doit renoncer aux ingénieuses et savantes leçons de sa mère, aux livres qui la charment, aux sciences dont sa jeune intelligence semble porter le poids sans fatigue, aux laborieuses soirées dans lesquelles l’étrange enfant, toujours en scène et plus éblouie que troublée, goûtait les succès des autres, ce n’est pas peu dire, avec autant de plaisir que les siens.
Mme Necker, dans son orgueil de mère et ses illusions de pédagogue, regrettera toute sa vie ces leçons trop vite interrompues, et quand on admirait plus tard les talents, le savoir et les excellences de Germaine, elle s’écriait ; « Ce n’est rien, absolument rien, auprès de ce que je voulais en faire ! »
Germaine cependant aimait peu les leçons. Son trésor était en elle. Pour surpasser Thomas, Marmontel et Morellet, elle n’avait pas besoin de leurs conseils.
Reconnaissante des soins de sa mère, quand elle pense aux dons de son esprit, c’est à son père qu’elle en veut faire honneur.
« Nous avons ici, » dit-elle dans une des lettres datées de Coppet que vous avez accordées à notre sympathique curiosité, « M. Gibbon, l’ancien amoureux de ma mère, celui qui voulait l’épouser. Je me demande si j’aurais pu naître de son union avec ma mère. Je me réponds que non et qu’il suffisait de mon père pour que je vinsse au monde. » Venir au monde ! tout est là pour elle. Elle y brillera quoi qu’il arrive.
La sincérité des jugements et la franchise des récits sont un attrait commun à tous vos ouvrages. Vous vous montrez indulgent, même pour Diderot, même pour Mme du Deffant. Je ne vous trouve pas cependant complètement juste pour Dalembert.
Permettez au Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences de s’incliner, plus que vous n’avez fait, devant un génie immortel. Dans un siècle où l’on parlait tant de sensibilité et de vertu, aucun nom n’a été plus admiré des savants, plus honoré par les hommes de lettres. Villemain, dans une réunion des cinq Académies, abritait un jour un de ses actes sous l’autorité d’un prédécesseur illustre, devant lequel il se disait bien petit. Habile à définir avec élégance, il aimait à citer sans prononcer les noms. Un membre très éminent d’une autre Académie, non moins modeste que Villemain quand on lui en laissait le temps, crut être, sur un mot mal compris, l’un des termes d’une comparaison qu’on disait pour lui écrasante. Il laissa voir un peu d’irritation. « Je ne faisais allusion qu’à moi-même, » répondit Villemain ; Dalembert, secrétaire perpétuel de l’Académie française, était mon prédécesseur. Il est permis à chacun d’ignorer l’histoire de notre Académie, il ne l’est à personne de se fâcher quand on le place au-dessous de Dalembert.
Dalembert était juste et sage. La tolérance à ses yeux était un droit, l’intolérance un crime et un danger pour tous. Implacable contre toute injustice, c’est aux persécutés et aux proscrits qu’aujourd’hui comme alors, n’en doutez pas, Monsieur, sans se soucier du changement des rôles, il prêterait l’appui de son éloquence et l’autorité de sa droiture.
Vous avez traité Mérimée moins favorablement encore que Dalembert. Vous croyez, c’est une de vos raisons pour étudier l’auteur de Colomba, qu’on l’a trop sévèrement jugé.
Le souvenir laissé par Mérimée à ses amis n’a rien de sévère. Si, comme vous le supposez, il était né sensible, vaniteux et timide, il a réservé, comme c’était son droit, sa sensibilité pour les occasions qu’il choisissait ; sa vanité, plus cachée encore, n’a jamais froissé personne et quant à sa timidité, je ne saurais en juger : lorsque j’ai eu l’honneur de me rencontrer avec lui, il n’était pas le plus intimidé des deux.
Mérimée conservait dans sa bibliothèque, brûlée tout entière dans les incendies de la Commune, un exemplaire des Orientales remontant, ou bien peu s’en faut, à cette brillante époque qu’on a nommée le printemps du siècle, lorsque le jeune Musset le comparait à Calderon, et que le vieux Gœthe, devinant une énigme facile, rapprochait dans une même admiration les deux mots : Gazul et Guzla.
Sur la première page du volume on lisait : « À P. Mérimée, notre maître à tous. » Mérimée montrait rarement ces deux lignes dont la seconde qui ne contenait que deux lettres : V. H., ajoutait un singulier prix à la première.
Une vanité qui se refuse de telles satisfactions n’est pas le trait saillant d’un caractère.
Mérimée, après ses premières publications, n’était plus, dites-vous, un inconnu. L’exagération dans la louange est un écueil. Vous l’évitez avec trop de soin. Mérimée, qui n’a rien étudié sans l’approfondir, qui n’a jamais rien su médiocrement, disait Cousin, débutait comme le maître des maîtres. Il est permis de chercher un autre guide, on peut, je le comprends, pour la bibliothèque des enfants, pour celle même des adolescents, si on est libre de la composer, préférer d’autres livres à ses œuvres complètes : personne pourtant ne songe à en bannir Horace. Sa morale ressemble à celle de Mérimée. Horace, direz-vous, était un païen ; Mérimée aussi était un païen, et comme Horace, un fort honnête homme.
J’oserai, sans m’étonner autant, faire de sérieuses réserves sur votre appréciation du talent et du caractère de Sainte-Beuve. Votre consciencieuse étude sur cet esprit brillant et sincère se termine par une question adressée au lecteur :
Pourquoi, dites-vous, malgré une existence dont aucun acte contraire à la délicatesse n’est venu entacher le cours, malgré un amour ardent des lettres et une ardeur infatigable au travail, malgré une probité littéraire scrupuleuse, malgré de sérieuses qualités privées, malgré l’esprit, ce n’est pas assez dire, malgré le génie, pourquoi les générations nouvelles se montrent-elles si peu disposées à la bienveillance pour Sainte-Beuve ?
La question est nettement posée. Permettez-moi d’y répondre.
Quand on pouvait dire de Sainte-Beuve : Il est mon ami, ce mot dans certaines bouches le rendait fier ; jamais il n’a consenti à laisser dire : Il est de nos amis. Ce double pluriel, on ne saurait trop l’en louer, était pour lui un intolérable solécisme. Comme écrivain, il n’a accepté aucune coterie ; comme journaliste, aucune couleur : toujours militant, il a combattu sous un seul drapeau. Ce drapeau portait une devise qu’aucun parti jamais n’a osé adopter : Truth, vérité : il se croyait le droit de tout quitter, on a osé dire, de tout trahir pour elle.
Sainte-Beuve repoussait avec indignation cette maxime cynique que beaucoup d’honnêtes gens, comme s’ils se vantaient d’un devoir accompli, se disent fiers de pratiquer : Il faut toujours défendre ses amis. Aimons nos amis, partageons leurs chagrins, réjouissons-nous de leurs succès, mais ne les défendons que quand ils ont raison, ne leur accordons, même en public, que les louanges qu’ils ont méritées. La vérité est, comme la justice, le droit et le profit de tous : à qui, dans certains cas, se vante de l’oublier, il serait bien sévère de ne pas pardonner, il n’est pas tolérable qu’on en fasse un mérite.
Presque toujours, Monsieur, en vous prenant pour guide, on n’a qu’à se laisser conduire. Avant Mme de Stael, vous aviez étudié Mme Sand, ses admirateurs doivent vous en remercier. M. Caro, dans ses brillants essais d’histoire littéraire, s’est incliné successivement, comme vous, devant ces deux grandes héroïnes de la prose française ; il s’accorde avec vous, nul ne s’en étonnera, car sur plus d’un point, c’est une louange que j’aime à vous donner, votre prédécesseur vous ressemblait par l’esprit comme par les goûts littéraires, par l’inflexible sévérité des principes, par l’aimable indulgence dans leur application.
La ressemblance de votre livre sur George Sand avec le charmant et dernier écrit de Caro n’a rien de fortuit. Vous avez puisé aux mêmes sources. Mme Sand, sous le nom d’Histoire de ma vie, a, par respect pour bien des souvenirs, raconté surtout, — avec quel charme, personne ne l’ignore, — la triste histoire de ses premières années. On se fait connaître en se faisant aimer ; vous avez connu Mme Sand, vous avez peint avec émotion les luttes douloureuses qui ont assombri ses premiers rêves, vous avez raconté après elle les tristes secrets de famille qui par l’enchaînement des situations éclataient tour à tour en révélations, en colères et en haines autour de son cœur déchiré. L’analyse de l’Histoire de ma vie est votre point de départ et la source de vos jugements. Caro pouvait y joindre ses propres souvenirs. Un roman de Mme Sand, pour les hommes de son âge, était un événement et marquait une date. « Sand, cette syllabe magique, s’écrie-t-il avec émotion, résume pour moi des journées de rêveries délicieuses et de discussions passionnées. » Il n’a pas eu à discuter avec vous. Sans rien emprunter à votre étude qui a précédé la sienne, il la confirme et la justifie par l’autorité de ses jugements.
Caro a comme vous subi le charme du grand écrivain, rendu hommage au brillant esprit qui, sans regarder les obstacles, croit devancer les siècles et combattre pour le vrai ; qui, dans son fier dédain de toute hypocrisie, déroule avec sérénité le monde troublé de ses pensées et les aspirations périlleuses d’un cœur aimant, prompt à s’enivrer des joies de ses amis et souffrant des douleurs de tous.
Vos études sur Mme de Stael et sur Mme Sand vous donnaient le droit de saluer aujourd’hui, tout auprès de celui que vous venez de juger avec tant de vérité et de justice, un autre talent de premier ordre. Pour l’auteur du Péché de Madeleine, la louange ne pourrait être trop haute. Pour son invincible modestie, elle ne semble jamais assez courte. J’imiterai, Monsieur, votre respectueux silence.
Les études sur la littérature contemporaine et sur la société d’un autre siècle n’ont été pour Caro, comme pour vous, qu’un délassement ou une préparation.
En abordant de redoutables problèmes, vous avez eu la prudence de ne pas les résoudre. La confiance de vos collègues vous avait imposé, dans une assemblée politique, le devoir d’étudier sous l’une de ses faces le triste et grave problème de la misère. Votre esprit généreux s’est attaché avec persévérance à ces douloureuses et touchantes questions. Pour les législateurs, le mal serait incurable. La solution appartient aux hommes de bonne volonté. Pour s’écrier : Heureux ceux qui pleurent, il faut pouvoir ajouter : parce qu’ils seront consolés. La loi inflexible, sévère et muette n’a jamais consolé personne. Aucune prescription ne peut être efficace. Nous devons tous au bien notre concours actif ; nul n’a le droit de nous l’imposer. Celui qui dans ces maximes apercevrait une contradiction, aurait fait bien peu de progrès dans la voie où vous êtes un si bon guide.
Le centre de l’Europe était menacé d’une jacquerie il y a de cela quatre siècles bientôt, mais l’histoire pourrait être d’hier ou même de demain. Luther, invoqué par les deux partis, écrivit aux paysans que Dieu défendait la sédition, et dans sa réponse aux seigneurs, il leur reprochait une tyrannie que les peuples ne pouvaient, ne voulaient ni ne devaient supporter.
Il faut admirer la contradiction. Entre le droit des uns et le devoir des autres, l’intervalle est immense : la charité doit le remplir. Tout est perdu si on l’exige, tout l’est bien plus encore si on la refuse.
Il vous appartenait, Monsieur, comme ami non moins que comme successeur de M. Caro, de nous rappeler ses talents, de louer son caractère, de dire la juste autorité de ses jugements et les regrets qu’il laisse à tous.
Le talent de Caro était très cultivé et très naturel, son esprit gracieux et fort, sa critique ingénieuse et solide.
La conscience chez lui s’accordait avec la science, et les doctrines spiritualistes fortement imprimées dans son esprit ne se séparaient pas de la foi religieuse.
Professeur éloquent et polémiste redoutable, il a sur tous les grands problèmes déclaré et défendu, avec une politesse courtoise, sa pensée toujours ferme et précise. Une vie entière d’études et de méditations sincères lui donnait le droit d’avoir une conviction et de s’y tenir.
Il faudrait pour le bien juger réunir ces mérites si élevés et si rares. La place que j’occupe aujourd’hui, sans me donner plus d’autorité pour redire ce que nous pensons tous, m’autorise à vous remercier de l’avoir si bien dit.
Caro aimait la lumière : si, quand l’occasion l’y invitait, il s’aventurait comme ses prédécesseurs à la Sorbonne, dans les galeries souterraines de la psychologie, s’il élevait parfois les esprits sur la route périlleuse de l’infini, il savait les y retenir et les charmer sans promettre la certitude. Semblables à l’astre radieux vers lequel notre globe, toujours attiré, tend avec persévérance sans l’atteindre ni s’en approcher, les problèmes métaphysiques peuvent nous échauffer, nous éclairer, nous aveugler souvent, et provoquer vers eux de persévérants efforts, mais c’est toujours de loin qu’on les admire, c’est avec tremblement qu’il en faut parler.
Un de nos confrères très curieux de science, élève dans sa jeunesse de l’École Polytechnique, — c’était le Père Gratry, — se présenta un jour chez le géomètre Poinsot, après lui avoir exprimé le désir de le consulter sur un problème de grande importance.
La conversation fut longue ; le Père Gratry en sortit charmé : c’est de lui-même que je l’ai appris. « Poinsot, m’a-t-il dit, est un grand esprit et d’une admirable éloquence. »
Poinsot, de son côté, n’avait pas oublié la visite de son aimable confrère : je trouvai l’occasion de lui demander sur quel problème on l’avait consulté.
« Le Père Gratry m’a demandé, me dit-il, si je croyais les planètes habitées ? »
- Quelle a été votre réponse ?
- Je n’en pouvais faire qu’une, répondit Poinsot : « je n’en sais rien. »
« Je n’en sais rien ! » Tels sont sur bien des questions les derniers mots de la science humaine. Embellis par l’éloquence, développés par le talent, sous la plume d’un philosophe, dans la bouche d’un géomètre même, s’il veut s’y