Réception de l’Académie brésilienne des lettres
à l’Académie française
Séance du jeudi 19 mars 2015
COMMUNICATION
DE
M. Yves POULIQUEN
de l’Académie française
Mesdames et Messieurs,
Il est du bon usage de nos Académies de défendre et d’illustrer la langue, et même d’apprécier son évolutivité, mais il leur revient aussi de s’étonner que cette langue subisse parfois les atteintes d’usages qui en altèrent profondément la valeur.
Ainsi, depuis quelques années, le parler commun, et surtout celui des medias, offre maints exemples d’atteintes qui suscitent une véritable inquiétude chez ceux qui apprécient notre langue et qui s’étonnaient, il y a quelques années encore, que l’Académie n’intervienne pas ouvertement dans ce débat et se limite à consacrer le bon usage sur la scène publique sans se préoccuper de cette dégradation. Mais il s’agit là d’une question difficile, car comment intervenir, comment ouvrir une fenêtre vers le public, comment entretenir avec lui un dialogue, de telle sorte qu’il soit conscient que l’Académie n’ignore rien des attaques portées à notre langage. C’est ainsi, qu’après un débat assez long, il a été décidé d’ouvrir sur le site de l’Académie française une rubrique intitulée Dire, ne pas dire, explicitant vraiment le sens de ce que veut dire ou ne pas dire une phrase bien prononcée, bien écrite, ou mal prononcée, mal écrite. Ainsi est née – je la présente sur l’écran – cette rubrique qui est mensuelle, et qui collationne toutes les expressions que nos confrères ont recueillies au cours du mois passé, expressions qui constituent à leurs yeux les atteintes formelles à la langue française – et il en est de très nombreuses, puisque cette rubrique, depuis trois années, s’est largement enrichie et que je puis vous affirmer que, pour trois ans encore, nous avons suffisamment matière pour prévoir de nouvelles interventions. Cette rubrique porte sur les emplois fautifs qui sont les plus courants. Je vois par exemple, sur la page présentée, la différence entre hippo- et hypo- ; mais il y a aussi les abus de sens, qui sont très fréquents et qui constituent peut-être même les fautes les plus courantes. Par exemple : compliqué pour difficile : il est d’usage de dire que tout est compliqué, en évitant de montrer que la difficulté est peut-être aussi quelque chose de différent de ce difficile. Et lorsque vous consultez les productions du mois, vous voyez qu’on peut s’interroger sur positionner pris au sens de placer. On trouve des créations de mots, des néologismes. Certains d’entre eux sont affreux, comme l’accidentologie, un mot qui n’existe pas dans le Dictionnaire et qui est pourtant de plus en plus employé, de même classifier pour classer, contacter pour prendre contact. Il y a aussi l’invasion des anglicismes – je crois que c’est un problème assez commun à toutes les langues –, mais ces anglicismes deviennent de plus en plus nombreux, et surtout, à partir des racines anglaises, se forment des mots qui sont de vraies créations françaises qui n’ont plus aucun sens. Par exemple, shooter un mail, le sponsor, alors que nous avons un très beau mot qui est mécène. Dealer est devenu un mot presqu’admis dans la langue française, mais il y a pourtant d’autres termes pour désigner la même réalité. Aussi compétiter, pour entrer en compétition. Voilà quelques exemples qui illustrent ces dérives. Mais aussi, nous avons constaté que les Français ont plaisir à revenir aux surprises et aux bonheurs de leur langue. Nous avons créé une rubrique très intéressante qui permet de remettre en usage des mots qui sont charmants, qui ont été abandonnées et dont, finalement, l’intérêt, la source, l’étymologie peuvent trouver un bon accueil dans notre langage courant.
Chaque mois, l’un de nos académiciens rédige un bloc-notes, qui est écrit dans le même sens, c’est-à-dire pour s’étonner de la dérive de certaine de nos expressions, de la mauvaise interprétation du sens des mots ; ce bloc-notes conforte le regard que nous avons sur la langue française et qui atteste que l’Académie n’est pas absente de cette question importante qu’est le maintien d’un beau langage.
Sans doute la part des académiciens est-elle grande, mais les internautes, qui sont de plus en plus nombreux, nous aident à construire cette rubrique. Et la part du courrier est très importante, ainsi qu’en fait état notre site. Nous recevons chaque mois des centaines, voire des milliers de lettres ou de messages, qui interrogent directement l’Académie française et qui s’étonnent qu’elle n’ait pas remarqué que l’on employait improprement telle ou telle expression à la place d’une autre. C’est un dialogue extrêmement riche que nous avons avec les Français, et pas seulement avec les Français. Pour le mois de février, les lettres que nous avons reçues, et qui émanent de correspondants qui s’intéressent à la syntaxe, à la grammaire, au vocabulaire français, parviennent de dix-sept pays différents.
Le succès a été immédiat. Le nombre de questions qui nous ont été adressées par les internautes se monte à des dizaines de milliers et ne fait que croître régulièrement. Ce succès sur la toile s’est transformé en l’édition d’un livre intitulé Dire, ne pas dire, qui porte à la connaissance des Français une grande part des termes recueillis sur notre site internet. Cette publication constitue une réponse de l’Académie face à une inquiétude réelle des Français. Je pense que si elle reste modeste, elle est tout de même importante pour tous ceux, Français et étrangers, qui s’intéressent à la langue.
Je vous remercie.