Ode au vent d'Ouest

Le 25 octobre 1918

Jean RICHEPIN

SÉANCE PUBLIQUE ANNUELLE DES CINQ ACADÉMIES

du vendredi 25 octobre 1918

ODE AU VENT D’OUEST

PAR

M. JEAN RICHEPIN
DÉLÉGUÉ DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

 

 

Salut, vent d’Ouest ! Depuis que notre France est France,
Et même plus, depuis des mille et des mille ans,
Quand elle ne l’était encor qu’en espérance,
Salut, fécondateur de ses robustes flancs !

Pour nos aïeux Gaulois, qui devant l’Atlantique,
Migrateurs se fixant, arrêtèrent leur vol,
Pour leurs prédécesseurs de race plus antique,
Aborigènes, fils premiers-nés du vieux sol ;

Pour tous ceux qui vivaient d’elle et dorment en elle,
La bonne terre, pour ces Français du passé,
Et pour ceux d’aujourd’hui, de demain, c’est ton aile
Qui sème tout de son geste jamais lassé,

O vent d’Ouest, dont la grande haleine nous apporte
Les effluves du large emplissant nos poumons,
Et le sel des embruns, et l’odeur douce et forte
Où l’on hume à longs traits l’âme des goémons,

O vent d’Ouest, sans lequel la glèbe froide et dure,
Dans l’immobilité d’une statue en roc,
Resterait, abdiquant tout rêve de verdure,
Bouche close aux baisers impossibles du soc,

Tandis que sous ta pluie et sa tiède caresse,
Où dort un souvenir de l’équateur en feu,
O vent d’Ouest, on la sent désirer l’allégresse
De ses cheveux d’or roux flambant vers le ciel bleu,

Et s’amollir sa chair, de moins en moins farouche
A l’amour de son vieil et toujours jeune époux,
Le paysan, si bien qu’elle entr’ouvre sa bouche
Au soc dont le baiser rude lui semble doux.

C’est à toi qu’elle doit aussi sa place insigne
Entre tous les pays dont nul n’est son pareil
Pour nous donner, jailli des larmes de la vigne,
Le vin consolateur, ce rire du soleil.

Ah ! qui donc en dira la qualité, le nombre,
De tes féeriques dons enflant notre trésor ?
Même quand sur ta gloire on croit que passe une ombre,
Même en nous flagellant, tu nous chéris encor.

Sans doute, quelquefois, tu nous souffles l’orage.
Avec sa voix de foudre et ses veux en éclairs ;
Mais, quoi ? Nos gars bretons, luttant contre ta rage,
En ont l’âme plus brave et les regards plus clairs ;

Et tous les gars français ont ces regards, cette âme,
Tous en ont hérité, du courage têtu
Que souvent ton assaut de tempête réclame,
Et dont est faite notre héroïque vertu.

Quel que soit l’ennemi qui leur livre bataille,
Ayant su, par vent d’Ouest, tenir le vent debout,
Au plus fort des dangers ils redressent leur taille
Pour le grand cri, toujours le même : « Jusqu’au bout ! »

O vent d’Ouest, toi par qui les flots, comme des glaives,
Se hérissent sous tes coups d’aile extravagants,
C’est ainsi, tes Français, tous, que tu les élèves,
Même en frappant sur eux, ô souffleur d’ouragans.

Et donc, béni sois-tu, jusque dans tes colères,
D’où leur viennent leur endurance et leur fierté !
Béni sois-tu, vent d’Ouest, qui jamais ne tolères
Ni le lâche abandon du poste déserté,

Ni le front se courbant sous la peur du supplice,
Ni le devoir sacré remis au lendemain,
Ni que ta France un jour puisse être la complice
De quelque crime abject contre le genre humain !

O toi, dont cette France est la fille chérie,
Sache qu’elle n’a point désappris tes leçons,
Puisque l’affreux Calvaire où sa chair saigne et crie.
C’est pour l’humanité que nous le gravissons.

Mais tu le sais, vent d’Ouest, et que dans cette épreuve
Ta France ira jusqu’à la sublime hauteur,
Tu le sais; ne nous en donnes-tu pas la preuve
Par de nouveaux bienfaits, à notre bienfaiteur ?

N’est-ce pas aux pressants claquements de ton aile
Leur chantant : « Levez-vous ! La France lutte ! Allez ! »
Que les Américains à l’aide fraternelle
Ont déployé là-bas leurs drapeaux étoilés ?

N’est-ce pas toi, vent d’Ouest, chez eux prenant naissance,
Qui leur as dit tout bas : « Va, mets le dernier sceau,
« O peuple heureux et libre, à ta reconnaissance
« Envers ceux dont l’amour fut ton premier berceau ? »

N’est-ce pas toi, vent d’Ouest, dont l’âme nous amène
L’afflux de leurs soldats, de leur or, de leur cœur,
Pour qu’au suprême effort de la Croisade humaine
La Force cède enfin devant le Droit vainqueur ?

N’est-ce pas toi, vent d’Ouest, qui souffles la rafale
De l’univers entier désormais avec nous ?
N’est-ce pas toi, sous ta trompette triomphale,
Qui vas mettre demain le Barbare à genoux ?

Oui, oui, c’est toi, vent d’Ouest, vieil ami de la France,
Toi qui fis son pays fécond et nourricier,
Riche en blé, riche en vin, riche en persévérance
Dans tous ses généreux devoirs de justicier,

Toi dont la charité nous vient des mers lointaines
Où l’éternel midi chauffe leur lourd sommeil,
Et qui verses sans trêve à nos claires fontaines
Ta douce pluie où rit leur souvenir vermeil,

Toi qui, depuis des mille et mille ans réconfortes
Notre peuple amoureux du Vrai, du Bien, du Beau,
Toi qui de l’Amérique aujourd’hui nous rapportes
Celle dont notre poing y brandit le flambeau,

La Liberté, joyeux soleil du nouveau monde,
Quand la Guerre aura clos sa gueule au gouffre obscur,
près le dernier cri du dernier fauve immonde,
Dont ton souffle, ô vent d’Ouest, aura purgé l’azur.