Translation des restes de Saint-Lambert

Le 12 septembre 1844

Jean-Baptiste SANSON de PONGERVILLE

DISCOURS PRONONCÉ

PAR. M. DE PONGERVILLE,

POUR LA TRANSLATION DES RESTES DE SAINT-LAMBERT

DU CIMETIÈRE DU NORD AU CIMETIÈRE DE L’EST,

LE 12 SEPTEMBRE 1844.

L A DÉPUTATION DE L’ACADÉMIE ÉTAIT COMPOSÉE DE MM. DE PONGERVILLE, CHANCELIER DE L’ACADÉMIE, TISSOT, DUPATY, ANGELOT.

 

MESSIEURS,

Plusieurs générations nous séparent de l’époque fameuse où le nom de Saint-Lambert reçut un reflet brillant des grandes renommées qui l’environnaient. Aucun de nous n’a connu cet écrivain célèbre, aucun de nous n’a vu se refermer sur ses dépouilles la terre dont on les exile aujourd’hui ; mais nous venons les recueillir avec respect. La mort ni le temps ne peuvent rompre les liens de notre famille littéraire ; rien n’altère pour elle la consécration que le talent et le savoir ont reçue dans ses rangs ; elle y conserve le vivant souvenir des membres qu’elle a perdus ; sa confraternité remonte dans le passé et s’associe à l’avenir.

Depuis que Saint-Lambert a cessé de siéger dans notre Académie, la France, arbitre ou modèle de l’Europe, a reconstruit l’édifice social : les institutions, les usages, les mœurs, les goûts, les préjugés même, ont pris une face nouvelle. Notre France est sortie de ces grandes luttes triomphante, rajeunie et prête à poursuivre son essor glorieux.

Dans cet instant où la lumière du jour frappe une dernière fois le cercueil de Saint-Lambert, que ne peut-il jeter un regard sur cette patrie qu’il a servie de son épée, qu’il a honorée par ses talents. L’ami, le compagnon de Voltaire et de Jean-Jacques, l’admirateur de Montesquieu et de Buffon, verrait avec joie la liberté s’allier à la tolérance, l’égalité se fonder sur les lois, la justice n’avant qu’une seule mesure pour tous, la science reculant ses limites devant les prodiges de l’intelligence. Il verrait la littérature et l’éloquence, ces nobles interprètes de la raison publique, la servir avec éclat. Il verrait les chefs-d’œuvre qu’admiraient les deux derniers siècles, de plus en plus admirés ; notre belle langue, si sage dans sa hardiesse, si sublime dans sa simplicité, devenir le lien universel des hommes éclairés, il verrait des routes inconnues ouvertes à l’audace des émules de nos maîtres : partout les conquêtes du génie français acceptées avec reconnaissance, et nos grands écrivains adoptés par le monde entier. Il verrait enfin les mœurs épurées ne permettre aux plus grands talents que des triomphes irréprochables,

Chantre des Saisons, homme du monde et poète, toi qui conservas du moins la noblesse de l’âme dans les époques de corruption, traversées par ta longue carrière ; toi, qui sus rester le courtisan fidèle d’un roi détrôné, et l’indépendant favori de philosophes tout-puissants ; Saint-Lambert, de la sphère sublime que tu n’as point pressentie, que tu n’as pas même espérée, et d’où tu nous entends, sans doute, pardonne à la téméraire, mais inoffensive volonté qui ose aujourd’hui remuer ta cendre, et qui, trop souvent, dans un but d’utilité publique, n’épargne ni les grands souvenirs, ni la sainteté du tombeau. Du tombeau ! cet abri sacré où notre douleur confie avec une pieuse espérance les restes chéris devenus l’unique trésor de notre amour. Hélas ! sur la terre rien n’est stable, pas même le domaine de la mort. Attentifs à veiller sur les objets de notre vénération, nous venons au nom de l’Académie française, saluer ce qui nous reste de toi, et couvrir d’un religieux hommage la violation de ton repos. Les magistrats élus par tes concitoyens, de concert avec nous, te réunissent ici aux hommes d’élite qui furent tes émules, tes disciples, tes confrères ; la terre qui s’ouvre pour t’abriter désormais, est depuis longtemps sanctifiée par la gloire. Delille, La Harpe, Boufflers, Dureau de la Malle, Volney, Chénier, et tous les hôtes fameux de cet asile de paix, semblent ouvrir leurs rangs pour t’accueillir comme ils t’accueillaient dans les beaux jours où tu leur confiais les fruits récents de ta poétique imagination. Si ta vie, protégée par les lettres, fut un rave brillant et doux, qu’au milieu de ces ombres illustres, la mort soit pour toi un rêve plus doux encore.

Adieu, une dernière fois, homme aimable, élégant écrivain, philosophe, qui sus ajouter aux titres du hasard, des titres à l’estime de la postérité !