Le français d’Algérie, nécessairement contaminé par l’arabe et par le berbère, est riche de potentialités que nous aurions tort d’ignorer. Un chauffeur de taxi est pour eux un « taxieur ». Parmi leurs néologismes, j’ai retenu surtout deux mots, pour leur pertinence autant que pour leur saveur. Ceux de leurs compatriotes qui s’expriment mal –, c’est-à-dire ne parlent correctement ni le français, ni l’arabe, ni le berbère – ils les appellent des « zérolingues ». Ce sont les mathématiciens arabes qui ont introduit le zéro dans la numération, et les Arabes d’aujourd’hui ont bien le droit de l’utiliser pour composer de nouveaux mots. N’aurions-nous pas envie de dire, nous, en France : « Taisez-vous, zérolingue ! » à tel présentateur de télévision ou de la radio ignorant qui nous inonde de son sabir, quand ce n’est pas un ministre lui-même ? Et puis, pour le voyageur surpris, quand il débarque à Alger, par le nombre de jeunes hommes qui restent toute la journée, désœuvrés mais debout, appuyés contre un mur, dans l’attente interminable d’une chance qui ne viendra jamais, quel étonnement de découvrir un mot approprié à leur résignation. Ce sont des « haïtistes ». De « haïté », qui signifie « mur » en arabe. Le « haïtiste » est celui que le chômage cloue au mur. « Haïtiste », un mot qui résume dans sa brièveté poétique les problèmes sociaux, la douleur, les aspirations impossibles d’un peuple attaché à son pays mais qui n’a d’autre espoir que d’émigrer.
Dominique Fernandez
de l'Académie française