François L’Hermite (1601-1655) est originaire d’une famille pauvre mais d’ancienne noblesse, qui détient le château du Solier, à Janaillat dans la Creuse, alors région de la Marche. Ayant choisi pour nom de plume « Tristan », peut-être par référence à un de ses ancêtres, ministre de Louis XI, plus sûrement en hommage à l’univers médiéval qui imprègne ses œuvres, il est l’auteur d’une production lettrée abondante et diverse, mais n’entre à l’Académie française qu’en 1648. Il est possible que son attachement précoce et durable à Gaston d’Orléans, ou « Monsieur », dont il suivra les équipées et les péripéties, l’ait desservi auprès de Richelieu, fondateur de l’institution. Du reste, c’est à un autre protecteur, celui-là membre éminent de la Compagnie, qu’il doit son élection, le chancelier Séguier, après qu’il a tenté sa chance auprès de différents mécènes, personnages importants de son époque, tels que le financier Montauron, la mondaine duchesse de Chaulnes, le bien en cour comte de Saint-Aignan, le puissant Henri de Lorraine, duc de Guise, dans l’hôtel duquel il s’éteint de phtisie, et même la reine Christine de Suède, dont il espère un temps rejoindre la cour flamboyante.
Le caractère polygraphique de son œuvre laisse penser qu’il a été plus attentif à l’air du temps que son tempérament ombrageux et mélancolique ne l’aurait laissé supposer, s’adaptant aux goûts et aux attentes du public ou suivant une stratégie de dédicaces à l’égard de grands destinataires. Pourtant, se dessine aussi chez lui un trait singulier, qui touche à sa manière de créer par voie d’esquisses, par petits essais, ou même par mise à l’épreuve de matrices structurelles et imagières, vouées à se déployer par la suite dans des pièces de grande envergure, en des genres et des tons différents.
Son œuvre se compose de trois grands pans : poétique, dramatique et prosaïque. Tristan est d’abord un poète lyrique et encomiastique, composant dès 1622 des pièces liminaires galantes ou en 1626 des vers de ballet pour Gaston. Sa première grande œuvre, La Mer, est encore dédiée à ce dernier mais elle est aussi un tombeau pour son ami Maricourt, mort au siège de La Rochelle, annonçant la veine lyrique élevée et poignante, discrètement érudite, qui caractérise nombre de ses vers. On s’est étonné que les académiciens aient accueilli si généreusement un poète qui introduisit les audaces verbales et les concetti de Marini ; mais on a reconnu aussi « les qualités lyriques, la noblesse de son inspiration, la haute tenue de sa langue ». Lorsqu’il entre à l’Académie, Tristan, qui est d’abord poète par sa sensibilité et son imagination, peut se prévaloir de trois recueils majeurs : Les Amours (1638), La Lyre (1641) et les Vers héroïques (1648), qui illustrent en effet toutes les manières possibles d’un poète virtuose – élégiaque et latine, pétrarquiste, humaniste, mariniste, galante, mondaine, burlesque – mais où l’on distingue aussi un penchant personnel pour l’humour macabre, la fantaisie fantastique et les mystères du songe, appelé à se déployer dans d’autres formes d’écriture.
Car Tristan, parvenu à l’Académie au terme de sa carrière, à contre-courant de toute une génération qui y était entrée jeune et aiguisée par les ambitions, est d’abord reconnu à son époque pour sa production dramatique. Son coup d’éclat est La Mariane, jouée en 1636 au théâtre du Marais, avec le célèbre Montdory dans le rôle d’Hérode, qui précède de peu Le Cid, pièce dont on sait qu’elle suscitera à l’Académie la première controverse entre Anciens et Modernes. Non loin des grands débats littéraires de son époque et pourtant légèrement en retrait, tel se tient Tristan. D’autres pièces suivront : des tragédies, Panthée, La Mort de Sénèque, La Mort de Chrispe et Osman, une tragi-comédie, La Folie du sage, et, plus tardivement, presque à contretemps de ce qu’on attend de l’académicien, une pastorale dramatique, Amarillis, et une comédie à la mode italienne, Le Parasite. Sa gloire de dramaturge est immédiate, au détriment de sa réputation au siècle suivant ; mais l’époque contemporaine a su reconnaître son talent équilibré, à mi-chemin de l’humanisme et d’une efficacité théâtrale toute classique.
Longtemps restée dans l’ombre, la partie prosaïque de l’œuvre de Tristan est peut-être celle qui suscite aujourd’hui le plus d’intérêt : la recherche universitaire, souvent du côté de la littérature, en particulier des genres épistolaire et autobiographique, parfois du côté de l’histoire, s’est attachée à analyser et à décrypter ses Lettres meslées (1642), ses Plaidoyers historiques (1643) et surtout son Page disgracié (1642), roman comique, récit picaresque ou d’initiation, ou même « essai de soi », dont le titre semble symboliquement résumer la destinée d’une certaine noblesse. Le Page disgracié, histoire en creux d’une vocation d’écrivain, arborée dans la force de l’âge mais jamais totalement assumée, fait l’objet aujourd’hui d’une édition de poche accessible au jeune public.
En 1646, l’œuvre de Tristan se referme sur un étrange ouvrage hybride, en prose et vers, L’Office de la Sainte Vierge, manuel de dévotion mais aussi pur élan de l’âme, et, plus que cela peut-être, incarnation des mouvements créatifs très secrets et profonds de son auteur, qui restent à découvrir.