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Malin, mauvais, méchant, malicieux, malotru et misérable

Le 6 mars 2025

Nuancier des mots

Le vocabulaire de la méchanceté est riche. Les mots qu’il compte sont souvent construits, directement ou indirectement, à partir des adjectif et adverbe latins malus, « mauvais », et male, « mal ». En passant du latin au français, cette base mal- a pu se conserver, comme dans malotru, maléfice, malicieux, ou évoluer en mau-, comme dans mauvais, maussade (quant à mé-, que l’on trouve dans méchant ou médisant, c’est un préfixe issu du francique missi, qui sert à construire des verbes à valeur négative ou péjorative). L’abbé Girard montra, dans son traité La Justesse de la langue françoise, ou les différentes significations des mots qui passent pour synonymes (1718), les différences existant entre malin, mauvais, méchant et malicieux. Il y indique que « le malin l’est de sang froid : il est rusé ; le mauvais l’est par emportement, il est violent ; le méchant l’est par tempérament, il est dangereux ; le malicieux l’est par caprice, il est obstiné. L’Amour est un Dieu malin ; le poltron fait le mauvais, quand il ne voit point d’énemis ; les hommes sont quelquefois plus méchans que les femmes, mais les femmes sont toujours plus malicieûses que les hommes. »

Dans son Encyclopédie du bon français dans l’usage contemporain, Dupré note une autre distinction : « Le mauvais l’est par nature et avec tout le monde, le méchant l’est par accident et seulement avec une personne ou plusieurs bien déterminées. […] Un être méchant n’est pas nécessairement mauvais ; un être mauvais est obligatoirement méchant. »

L’histoire de la langue nous apprend aussi beaucoup sur ces termes. Voyons d’abord méchant. Il s’agit du participe présent de l’ancien verbe mescheoir, qui signifie proprement « tomber mal ». Ce mot est construit à partir du latin male, « mal », et du verbe cadere, « tomber », qui est, par l’intermédiaire de son participe présent pluriel neutre cadentia, à l’origine du nom « chance ». Le méchant est donc, étymologiquement et dans les premiers textes où il apparaît, un malchanceux. La formation de mauvais est assez proche ; en effet cet adjectif, issu du latin populaire malifatius, lui-même composé à partir de fatum, « sort, destinée », signifie proprement « qui est affecté d’un mauvais sort ». Notre mauvais se trouve donc être celui qui est mal servi par le destin. Notons que malifatius a un antonyme bonifatius, à l’origine du nom propre Boniface. À cette liste de noms désignant des infortunés, on peut ajouter malotru, issu du latin populaire male astrucus, proprement « né sous une mauvaise étoile ». Ainsi nos méchant, mauvais et malotru sont d’abord des victimes du sort. C’est pour cela que le nom méchanceté était ordinairement renforcé, dans les textes d’ancien français, par maleurté, miseres ou mescheance, (une variante de malchance), tous termes désignant d’abord le malheur, l’infortune.

À cette idée de malheur, sans doute parce que l’on soupçonnait ceux qui en étaient victimes de quelque faute qui les rendait responsables de leur état, s’est vite ajouté un caractère dépréciatif. Pour preuve, l’article Malotru de la première édition de notre Dictionnaire. On y lit « Terme d’injure & de mespris, par lequel on pretend signifier en mesme temps une personne miserable, maussade, malfaite, mal bastie ». Il était alors logique que les adjectifs dont nous parlions s’emploient pour qualifier ce qui n’était pas de bonne qualité. Quand ils sont employés dans ce sens et qu’ils se rapportent à des choses, mauvais et méchant sont ordinairement antéposés (une méchante laine, par exemple) et on fera le départ entre de méchants vers, des vers de piètre qualité, et des vers méchants, écrits dans l’intention de blesser. Notons qu’aujourd’hui, dans une langue familière, méchant peut prendre un sens positif et signifier « formidable »…

Malicieux et malice sont, eux, issus du latin malitia. Ce nom est dérivé de malus, mais, dès le latin archaïque, il note plus particulièrement la ruse et la finesse, ce qui fait que, pour qu’il penche vers la méchanceté, le latin était ordinairement obligé de lui adjoindre l’adjectif mala (mala malitia). Un affaiblissement similaire s’observe en français puisque malice, en dehors de l’expression N’y voyez pas malice, est devenu un synonyme d’« espièglerie » et, dans l’usage, il n’y a plus guère que les enfants qui sont malicieux.

Il en va de même avec malin, tiré du latin malignus, adjectif formé de malum, « mal », et gignere, « créer, engendrer », et signifiant donc proprement « qui engendre le mal ». Ce sens s’est fortement atténué et le malin est devenu une manière de filou, quand il est petit, et de lourdaud dont les ruses sont facilement déjouées, quand il est gros. Si le masculin n’est connoté négativement que dans le nom le Malin, « le diable », on constate qu’au féminin, à la forme classique maligne, qui s’emploie essentiellement en médecine pour parler de ce qui est mauvais, dangereux (tumeur maligne), le français familier a ajouté, par analogie avec des couples comme badin/badine, la forme maline, pour parler d’une personne rusée ou facétieuse, à l’intelligence éveillée.

Arrêtons-nous enfin sur le terme misérable. Il est emprunté du latin miserabilis, proprement « qui est digne de pitié », mais il s’est chargé de tant de connotations négatives que n’avait pas le latin que, pour retourner au sens premier de ce mot, a été créé, au xixe siècle, celui de miséreux. La polysémie de misérable est ancienne, comme en témoigne la première édition de notre Dictionnaire, puisque à côté de « Malheureux, qui est dans la misere, dans la souffrance », ce mot est de surcroît glosé ainsi : « Il signifie aussi, Meschant. Il faut estre bien miserable pour faire une action si honteuse. […] On dit par injure, C’est un miserable. ce n’est qu’un miserable, pour dire, C’est un homme de neant. »

Laissons pour conclure la parole à Victor Hugo : « Sans doute ils paraissaient bien dépravés, bien corrompus, dégradés ; d’ailleurs il y a un point où les infortunés [on rappellera que, étymologiquement, mauvais et infortuné sont proches] et les infâmes se mêlent et se confondent dans un seul mot, mot fatal, les misérables. »

« Abasourdir » : prononce-t-on « abazourdir » ou » abassourdir » ?

Le 6 mars 2025

Emplois fautifs

Dans abasourdir, le s intervocalique se sonorise en [z], mais on entend parfois abassourdir, parce qu’on rattache faussement ce verbe, dérivé de l’argot basourdir, « tuer », à l’adjectif sourd. Il est vrai que la règle phonétique qui veut qu’un s intervocalique (c’est-à-dire placé entre deux voyelles) se sonorise en [z] souffre de nombreuses exceptions. On constate en effet qu’elle ne s’applique pas quand on perçoit nettement le fait que l’on a affaire à un composé. On dit ainsi, sans sonoriser le s, asocial, parce que l’on y reconnaît social. C’est aussi la raison pour laquelle le s intervocalique reste sourd dans antiseptique, cosignataire, préséance, présupposer, prosimiens, etc. La prononciation variera donc selon que ce s est la première lettre d’un radical ou la dernière d’un préfixe. C’est ce qui explique la différence de prononciation de ce s dans désacraliser (où s appartient au radical) et désavantager (où s appartient au préfixe), ou dans trisecteur et trisaïeul. On constate aussi que ce s est parfois redoublé, comme dans ressauter, et que dans d’autres cas il ne l’est pas, comme dans resituer. Notons enfin que la prononciation canonique de désuet est déssuet, mais que l’on entend de plus en plus dézuet parce que l’on oublie ou l’on ignore que, dans ce mot, dé- est un préfixe.

« Nœud » pour « Mille marin » ou « nautique »

Le 6 mars 2025

Emplois fautifs

Les unités de mesure de la vitesse sont ordinairement composées d’une unité de distance et d’une unité de temps. On dira ainsi que les meilleurs sprinteurs courent à plus de dix mètres par seconde, soit à plus de trente-six kilomètres par heure.

S’agissant de la vitesse des navires, l’unité en usage est le nœud, qui correspond à un mille marin (c’est-à-dire 1852 mètres) par heure. Le nœud a la particularité d’être, à lui seul, une unité de mesure de vitesse. On dira donc Filer dix, vingt nœuds (c’est-à-dire parcourir dix, vingt milles en une heure), mais on évitera bien sûr l’expression Filer dix, vingt nœuds à l’heure.

Les highlights de l’année

Le 6 mars 2025

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Le nom anglais highlight, composé de high, « haut, élevé, important », et de light, « lumière », pourrait être traduit, en fonction des contextes, par « summum », « point d’orgue », « moment phare », « grand moment », « apothéose »… Il peut aussi désigner l’évènement le plus marquant, le point culminant d’une cérémonie, d’une manifestation ou d’un spectacle. Notre langue dispose, on le voit, de mots ou locutions pour rendre cette idée. Aussi n’est-il pas nécessaire, en français, de parler des highlights de l’année. On évitera également d’employer l’étrange verbe highlighter en lieu et place de « souligner, mettre en valeur, mettre en lumière ».

« Temps d’arrivée estimé » pour « Heure d’arrivée prévue »

Le 6 mars 2025

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

E.T.A. peut être, entre autres, le sigle abrégeant la locution anglaise estimated time of arrival, qui s’emploie dans le monde du transport aérien pour indiquer à quelle heure est prévu l’atterrissage d’un avion. On l’utilise aussi pendant certaines courses nautiques pour donner l’heure à laquelle est supposé arriver tel ou tel concurrent. Il est possible de traduire cette expression par « heure d’arrivée prévue », mais on se gardera bien de transcrire cette locution anglaise par temps d’arrivée estimé, puisque, en français, le nom temps, désigne une étendue et non un point. D’autre part, le verbe estimer ne peut s’employer qu’avec, comme complément de temps, une durée et non une date ou une heure précise : J’estime à dix heures la durée du trajet.

À quel saint se vouer ?

Le 6 mars 2025

Expressions, Bonheurs & surprises

Pour désigner les maladies, la langue recourait volontiers, au Moyen Âge et à la Renaissance, à des tours dans lesquels le nom mal s’accompagnait d’un adjectif ou d’un complément donnant quelque indication sur sa nature : le mal de neuf mois désignait la grossesse, le mal d’enfant, l’accouchement, le mal chault, une forte fièvre, le mal le roi, les écrouelles, que ce dernier guérissait par l’imposition des mains. La syphilis était appelée le mal de Naples. Jacques de Mailles nous explique pourquoi dans sa Très joyeuse et très plaisante histoire du gentil seigneur de Bayart, le bon chevalier sans peur et sans reproche : « Aucuns […] en apporterent [de Naples] quelque chose dont ils se sentirent toute leur vie. Ce feust une manière de maladie qui eust plusieurs noms. D’aucuns feust nommé le mal de Naples, la grande verole ; les autres l’ont appelé le mal françois… » Quant au mal de mer, s’il désignait déjà la nausée provoquée par les mouvements d’un navire, c’était aussi le nom du scorbut. Mais, comme en ces temps la guérison semblait dépendre autant, voire plus, de la volonté de Dieu que du talent des médecins, on nommait souvent les maladies à l’aide du tour le mal saint X ou sainte Y. L’épilepsie était nommée, entre autres, le mal de saint. Un texte du Moyen Âge nous en donne la raison : « On appelle le mal caduc [cette maladie peut en effet faire tomber qui fait une crise] le mal de saint ou mal saint Jehan pourtant [parce] qu’il se fait en une partie sainte et sacree et divine entre toutes les autres, qui est le chef. » On l’appelait aussi le mal saint Valentin, parce que, croit-on, les Allemands allant en pèlerinage auraient rapproché le verbe fallen, « tomber », du nom Valentin.

Le nom du saint ou de la sainte était souvent choisi parce que la partie du corps atteinte avait un lien avec son martyre. L’ergotisme, qui provoquait de fortes sensations de brûlure, était appelé mal des ardents, mais aussi mal saint Antoine, en souvenir d’Antoine d’Alexandrie qui refusa de renier sa foi et fut, pour cela, jeté vivant dans une fournaise. Le mal sainte Apollonie (ou Apolline), c’est-à-dire « le mal de dents », était ainsi nommé car la sainte avait eu toutes les dents arrachées pour n’avoir pas voulu blasphémer. L’iconographie la représente d’ailleurs tenant dans une main la palme du martyre, et, dans l’autre, une tenaille avec une de ses dents. La mutité était appelée mal saint Zacharie parce que, nous dit saint Luc (1, 20), ce fut sa punition pour avoir douté de l’ange Gabriel qui lui annonçait que, malgré leur grand âge, lui et sa femme auraient un fils, « Et voici, tu seras muet, et tu ne pourras parler jusqu’au jour où ces choses arriveront, parce que tu n’as pas cru à mes paroles ». Le nom du saint pouvait aussi être choisi parce qu’il avait quelque rapport de sonorité avec celui du mal en question : on appelait ainsi le fait d’avoir l’humeur acariâtre le mal saint Acaire. Ce saint fut aussi invoqué pour guérir la folie. Il partageait ce privilège avec saint Mathurin. Mention en était encore faite dans la huitième édition de notre Dictionnaire, à l’article Avertin : « Terme d’ancienne Médecine. Maladie d’esprit qui rend opiniâtre, emporté, furieux. Il se disait, par extension, de Ceux qui étaient tourmentés de cette maladie. Le peuple appelait saint Mathurin le patron des avertins. » Mathurin vivait à la fin du iiie siècle. Sa réputation de guérisseur était si grande que l’empereur Maximien Hercule le fit venir pour soigner sa belle-fille, qui était folle. Mathurin lui fit boire un peu d’huile qu’elle vomit aussitôt, avec le démon qu’elle avait dans le corps. Elle était guérie. Le mal saint Ladre, lui, désignait la lèpre : ladre, issu du bas latin Lazarus, nom du mendiant couvert d’ulcères dans l’Évangile de saint Luc, était autrefois le nom des lépreux. On appelait le cancer du sein le mal saint Mammert. Le mal saint Guy désigna d’abord la chorée, état pathologique qui provoque des mouvements involontaires, brusques, brefs et irréguliers et plus souvent appelé danse de saint Guy. Ce dernier, en raison d’une erreur étymologique, avait aussi la réputation de guérir l’érotomanie : Guy, Vito en italien, mais que l’on trouve aussi sous les formes Vite ou Vith, est issu du nom propre latin Vitus, dérivé de vita, « vie ». Mais, au Moyen Âge, ces noms propres furent rapprochés du nom vit, et c’est ainsi que l’érotomanie fut appelée mal saint Guy ou mal saint Vitus ou saint Vit.

On ajoutera pour conclure que l’on parlait autrefois par plaisanterie de la maladie de saint Bondon (ce nom est une variante de bidon ou bedon), locution que l’on utilisait au sujet de ceux qui étaient « fort gras et en bonne santé », et dont on disait parfois qu’ils avaient « les joues plates comme une boule ».