Le nom punaise, terme générique qui désigne différents insectes, est le féminin substantivé de l’adjectif, aujourd’hui vieilli, punais, qui signifie « qui pue du nez, de la bouche » car nombre de ces insectes dégagent une odeur repoussante lorsqu’ils se sentent en danger. La langue populaire est assez riche pour désigner ce mal, qui donne à entendre des expressions comme « cocotter du bec », « fouetter du goulot », « avoir une haleine de chacal », « refouler du gosier ». Victor Hugo, qui aimait cette langue, s’en inspirera pour faire dire à Gavroche, dans Les Misérables : « C’est très mauvais de ne pas dormir. Ça vous ferait schlinguer du couloir et, comme on dit dans le grand monde, puer de la gueule. »
Punais est un mot ancien et se rencontre déjà dans Le Roman de Renart ; en témoignent ces vers « Filz a putain, vilains punès, / Fet Renard, qu’alez vos disant ? » Ce passage est intéressant parce qu’il rapproche les noms putain et punais, l’un et l’autre issus du latin putere, « puer », caractéristique étymologique qu’ils partagent avec le nom putois. On ne s’étonnera donc pas que, dans ce même roman, Punais soit justement le nom du putois. Les deux noms, putain et punaise, ont vu leur nature grammaticale s’étendre puisque, à celle de substantif, s’est ajoutée celle d’interjection. Notons au passage que le terme purée, qui commence lui aussi par la syllabe pu, a connu une évolution similaire.
On comprend aisément que, lorsque la punaise quitte le monde animal pour désigner des humains, ce ne soit pas dans une intention louangeuse. La forme de la bête fut source de sarcasmes ; comme cet insecte a une carapace aplatie, punaise s’est employé pour vilipender des êtres serviles et obséquieux, toujours prêts à s’aplatir devant les puissants. On a aussi usé de ce terme pour se moquer des femmes dont la poitrine était jugée peu généreuse.
Les morsures des punaises sont, on le verra un peu plus loin, très douloureuses, et punaise a donc naturellement désigné une personne méchante, cherchant à faire le mal. Dans ce cas, punaise peut être employé seul, mais on rencontre aussi souvent punaise de sacristie, c’est-à-dire, pour rester dans la métaphore animale et familière, une forme malfaisante de l’innocente grenouille de bénitier. Ce nom entrait aussi autrefois dans la locution punaises de caserne pour désigner les femmes qui accordaient plus volontiers leurs faveurs, tarifées ou non, aux militaires, celles-là même qui, pour reprendre une expression datant de l’époque où l’armée française ne s’habillait pas de kaki, « donnaient dans le pantalon rouge ».
La punaise s’est bien vengée de ceux qui l’avaient ainsi baptisée, puisque pendant plusieurs siècles elle sera l’ennemie des dormeurs, et les littérateurs qui feront voyager leurs personnages les amèneront souvent à devoir affronter ces redoutables hétéroptères ; c’est ce que fait Gide dans Les Caves du Vatican quand il leur livre en pâture le malheureux Amédée Fleurissoire, alors en partance pour Rome :
« Les punaises ont des mœurs particulières ; elles attendent que la bougie soit soufflée, et, sitôt dans le noir, s’élancent. Elles ne se dirigent pas au hasard ; vont droit au cou, qu’elles prédilectionnent ; s’adressent parfois aux poignets ; quelques rares préfèrent les chevilles. On ne sait trop pourquoi elles infusent sous la peau du dormeur une subtile huile urticante dont la virulence à la moindre friction s’exaspère. […] Et tout à coup, il sursauta d’horreur : des punaises ! ce sont des punaises !... Il s’étonna de ne pas y avoir pensé plus tôt ; mais il ne connaissait l’insecte que de nom, et comment aurait-il assimilé l’effet d’une morsure précise à cette brûlure indéfinie ? […] Il aperçut alors trois minuscules pastilles noirâtres qui prestement se muchèrent dans un repli de drap. C’étaient elles !... mais peu après, soulevant de nouveau son traversin, il en dénicha une énorme : leur mère assurément. »
Mais, et c’est peut-être une consolation pour cette bestiole, par analogie de forme, punaise a aussi désigné un petit clou à tête plate servant à fixer des images, des affiches – un objet que les Américains appellent pin, nom que l’on retrouve dans pin-up, désignant une jeune femme peu vêtue au charme provocant, dont certains ont coutume d’accrocher la photo sur leurs murs, et qui pourrait nous faire songer à quelque punaise évoquée ci-dessus…