Funérailles de M. Octave Feuillet

Le 31 décembre 1890

Jules CLARETIE

INSTITUT DE FRANCE.

ACADÉMIE FRANÇAISE.

FUNÉRAILLES DE M. OCTAVE FEUILLET

MEMBRE DE L’ACADÉMIE

Le mercredi 31 décembre 1890.

DISCOURS

DE

M. JULES CLARETIE

MEMBRE DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE
ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL DU THÉÂTRE-FRANÇAIS.

 

MESSIEURS,

Hier, la Comédie-Française avait sur son programme le nom glorieux d’Octave Feuillet. Aujourd’hui il y figure encore, mais comme voilé d’un crêpe.

Il y a quarante et un ans, alors qu’il lui apportait une de ses premières œuvres, la Vieillesse de Richelieu, la Comédie fêtait la venue du jeune maître et lui ouvrait ses portes avec joie. Aujourd’hui, elle les ferme avec tristesse et encadre de noir son affiche comme une lettre mortuaire.

Que de fois on l’a applaudi, ce nom de Feuillet, dans la salle morne, ce soir, mais toute pleine de sa mémoire et de l’écho des bravos évanouis ! C’est là que l’auteur de tant de proverbes exquis, de ces proverbes où, selon le mot de Sainte-Beuve, il n’imitait point Musset, mais le contredisait et lui répliquait ; c’est là qu’Octave Feuillet a donné le Cheveu blanc, le Cas de Conscience, le Village. C’est là que ce délicat, dont le talent rare avait des vibrations de fin cristal, fit aussi dérouler ces drames puissants, Julie, le Sphinx, Chamillac, ou, comme pour prouver que la force n’a pas besoin d’efforts, il arrivait à l’émotion poignante par la sincérité ardente d’un art supérieur, nerveux et affiné. Moins occupé de l’extérieur des choses que de l’intérieur des âmes il fut, on peut le dire, le dramaturge des sentiments. Et c’est par là qu’il séduisit et entraîna la foule.

Mais est-ce l’heure, est-ce le lieu de rappeler cette carrière de gloire, de travail et d’honneur ? D’autres ont dit, d’autres rediront encore ce que fut l’homme, ce que furent le gentilhomme et l’écrivain. Pour moi, pour nous tous qui avons travaillé et combattu à ses côtés lors de sa suprême bataille, nous ne voulons aujourd’hui que nous incliner devant ce charmeur disparu.

— C’est mon dernier drame, me disait-il le soir de la représentation de Chamillac ; désormais je ne prendrai plus la place de personne !

Cette place, on ne la lui a pas prise à lui, et, dans notre histoire littéraire, il la gardera au premier rang. Son œuvre subsiste souriante et émouvante à la fois, attirante, faite de rêve et d’héroïsme, en cela bien française, subtile aussi comme celle de Marivaux avec l’Acrobate ou la Crise, entraînante comme celle d’un Dumas père qui aurait lu Heine avec Montjoie ou Dalila.

Nous avons eu — je le répète avec émotion — l’honneur de lui devoir son dernier succès dramatique et la Comédie-Française salue avec respect ce collaborateur applaudi qui a fait battre les petites mains et palpiter les grands cœurs pendant plus d’un demi-siècle : et, après lui avoir donné son dévouement aux soirs de triomphe, elle lui apporte sa couronne au jour de deuil.

Cette Comédie-Française ! ce soir silencieuse, elle aurait voulu assurer à Octave Feuillet d’autres applaudissements ! Mais pourtant c’est là que Feuillet auteur dramatique aura laissé le meilleur de lui-même. On l’y jouait hier, on l’y jouera demain encore... On l’y pleure aujourd’hui !