Funérailles de M. Jean-Baptiste Biot

Le 5 février 1862

Joseph BERTRAND

INSTITUT IMPÉRIAL DE FRANCE.

FUNÉRAILLES DE M. BIOT.

DISCOURS

DE M. BERTRAND

AU NOM DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES.

 

MESSIEURS,

Lorsque nous accompagnons à leur dernière demeure ceux d’entre nous auxquels l’avenir réserve une célébrité durable et méritée, aux regrets que nous inspire la perte de l’ami qui n’est plus, nous mêlons, avec tristesse, le sentiment du vide qu’elle va laisser dans nos rangs, et les interprètes de la douleur commune viennent déplorer ce double deuil qui nous rassemble. Cependant, au moment d’adresser un dernier adieu à notre excellent et vieux confrère, je n’essayerai pas d’exprimer le profond chagrin que nous éprouvons tous, je veux me borner à vous dire rapidement, d’une manière bien insuffisante, quel rôle il remplissait parmi nous, quelle influence il exerçait sur nos travaux.

M. Biot appartenait à trois de nos Académies. L’Académie des inscriptions et l’Académie française avaient voulu inscrire son nom déjà illustre sur la liste de leurs membres : il était digne d’un tel honneur ; son intelligence, active et élevée, pouvait recevoir et féconder les vérités les plus diverses. Son esprit délicat et cultivé savait leur donner la forme qui les rend impérissables ; mais, à la fin comme au commencement de sa belle et longue carrière, M. Biot fut, avant tout, membre de l’Académie des sciences, et, tout en faisant de fréquentes et fructueuses excursions dans le domaine de la littérature et de l’érudition, il ne cessa jamais d’encourager nos efforts et de s’associer à nos travaux.

Il avait été élu, en 1803, membre de la section de géométrie. Disciple affectueux de Laplace, après avoir été l’un des élèves préférés de Monge, ses premiers travaux devaient être consacrés aux mathématiques, et la mécanique céleste fut l’objet de son premier enthousiasme scientifique. Les mathématiques pures et leur application à l’astronomie forment un champ assez vaste pour que deux de nos sections se le partagent. L’esprit curieux et ardent de M. Biot ne tarda pas, cependant, à s’y trouver à l’étroit ; en étudiant l’astronomie théorique, il voulut devenir observateur et contempler ces grands phénomènes dont son esprit avait approfondi les lois ; l’usage des instruments le rendit physicien, et il s’aperçut bientôt que la physique et la chimie sont des sciences inséparables. Ce sera une de ses gloires d’avoir un des premiers contribué à les unir par un lien désormais indissoluble et que l’avenir doit resserrer encore. Mais ce n’est ici ni le temps ni le lieu d’énumérer les travaux de notre infatigable confrère ; j’en prolongerais la liste, sans l’épuiser, bien au delà des limites que je dois me prescrire. M. Biot s’adressait d’ailleurs à toutes les sections de notre Académie comme à toutes les classes de l’Institut, et le souvenir de ses travaux est encore présent à la mémoire de tous.

Cette faculté d’intéresser à ses propres recherches les esprits les plus divers, M. Biot la possédait au plus haut degré, et sa conversation était, comme ses écrits, éminemment propre à inspirer l’amour de la science. On peut le citer comme un modèle à tous ceux que l’autorité de leur caractère ou de leur esprit et la supériorité de leurs talents mettront à la tête d’une génération scientifique. Toujours prêt à communiquer ses lumières et à profiter de celles d’autrui, il s’intéressait de cœur à toutes les recherches utiles ; mais il ne souffrait pas qu’elles fussent abandonnées, employant, pour stimuler les indolents, toutes les ressources de son esprit ingénieux et l’autorité magistrale de sa parole.

Mais l’exemple est plus efficace que les paroles les plus pressantes ; M. Biot ne l’ignorait pas, en se faisant l’apôtre du travail il s’imposait un devoir auquel il n’a jamais fait défaut ; l’Académie Fa vu pendant soixante années parcourir en tous sens le champ de la science, fouillant partout comme dans son domaine, sans se relâcher jamais, ni en rien. Tant d’efforts d’une intelligence aussi élevée atteindront leur but : les travaux de M. Biot vivront dans la mémoire des hommes, le souvenir de leur auteur se perpétuera parmi nous, l’Institut n’oubliera pas que ce noble vieillard se glorifiait d’avoir borné son ambition au titre d’académicien, et si quelques-uns d’entre nous se trouvaient entraînés loin de la voie qu’il a suivie avec tant de persévérance et de bonheur, le souvenir de notre confrère contribuerait à les y ramener ; ils se diraient que M. Biot a su trouver ici-bas la force et la grandeur dans la science et qu’il aurait cru s’affaiblir et déroger en les cherchant ailleurs.