FUNÉRAILLES
DE
M. J.-B. DUMAS
MEMBRE DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE,
SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES
Le mardi 15 avril 1884.
DISCOURS
DE
M. J. BERTRAND
SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES.
MESSIEURS,
Quand un même deuil attriste tous les cœurs, quand les mêmes souvenirs sont présents à tous les esprits, ceux qui, fidèles à une pieuse coutume, reçoivent la mission d’exprimer les regrets de tous, peuvent et doivent se borner à quelques courtes paroles.
Je n’ai rien à apprendre aux amis, aux disciples, aux admirateurs de celui dont, hier encore, nous attendions avidement la parole ; près de qui, jeunes ou vieux, inconnus ou illustres, les amis de la Science trouvaient, avec la même bonté, la même attention bienveillante, et, s’ils en étaient dignes, le même appui.
M. Dumas a été notre maître à tous ; ses leçons à l’Athénée, au Collège de France, à l’École Centrale, à l’École de Médecine, à la Faculté des Sciences et à l’École Polytechnique dans de trop rares occasions, avaient pour les auditeurs tant d’attrait ; il possédait si bien l’art d’élever les esprits, montrait si nettement la voie du progrès et faisait de chaque leçon un chapitre si élégant et si parfait, que les praticiens attentifs aux faits, les penseurs curieux de leur enchaînement, les juges délicats de l’élévation du langage, sortaient également résolus à ne pas manquer la leçon suivante.
Dans l’histoire de la Chimie renouvelée, aucun nom n’éclipsera celui de M. Dumas : ardent à propager les idées, habile à éclairer les preuves, son esprit sage et élevé a vu de haut les grandes voies de la Science et y a guidé ses disciples, je veux dire tous les savants qui, plus jeunes que lui, croient s’honorer en l’appelant leur maître.
En louant avec justice le chimiste Macquer d’avoir sacrifié à la science qu’il aimait tous les instants d’une longue vie, Vicq-d’Azir ajoutait :
« II est des hommes dont l’esprit est si actif, le jugement si prompt et le génie si vaste, qu’ils ne peuvent se concentrer en un seul point de l’espace où ils se meuvent ; ils ne sont pas plus maîtres de s’arrêter que les autres ne le sont de s’élancer aussi loin qu’eux. »
Vicq-d’Azir avait raison. S’il est juste de respecter et de louer ceux qui, mesurant leur œuvre à leurs forces, ont renfermé une honorable et utile carrière dans les bornes étroites d’une seule science, ne devons-nous pas plus de reconnaissance encore et plus d’admiration à celui qui, comme M. Dumas, capable de tous les efforts, acceptant tous les devoirs, s’est révélé supérieur à toutes les tâches ?
M. Dumas a rendu tant de services au pays, il a présidé à tant de travaux, laissé dans tant d’esprits une trace si profonde ; tant de voix vont s’élever pour déplorer une perte si grande , que l’Académie des Sciences , à laquelle j’ai mission d’associer le Journal des Savants, se rappelant avec une douloureuse fierté quelle place elle a tenue dans une si grande vie, doit se hâter de céder la parole aux nombreux orateurs qui, dans la variété de leurs louanges, si bien méritées, viendront rappeler, avec la même émotion, la puissance, l’élévation, la délicatesse ingénieuse, la sagesse, la mesure, la grâce et la suprême bonté du grand esprit qu’elle a si longtemps admiré, du grand cœur qu’elle a tant aimé.