Discours sur les prix littéraires 2009

Le 3 décembre 2009

Jean-Marie ROUART

Discours sur les prix littéraires

 

 

Mesdames, Messieurs de l’Académie,

C’est toujours un paradoxe de voir les académiciens si respectables et si convenables. On en vient à oublier le feu qui les habite sous les chamarrures. Ne sont-ils pas juges et parties de la littérature, c’est-à-dire de l’expression des tumultes de l’âme humaine, des violences du cœur et du désarroi des blessés de la vie ? Sous cette apparence trompeuse que nous offrons, ce serait une erreur de croire que nous avons cessé d’être rongés par le démon du doute. Par l’angoisse.

Cette angoisse, elle tient bien sûr au jugement que nous portons sur la valeur de nos œuvres. Nous craignons qu’elles ne soient pas toujours aussi brillantes que les médailles qui nous ont couronnés, aussi pures et intransigeantes que les rêves de notre adolescence, aussi folles et rebelles que les promesses de nos vingt ans.

Une autre angoisse nous étreint : c’est celle qui tient à notre rôle de juré littéraire. Nous craignons de nous tromper dans nos choix, de ne pas couronner le meilleur écrivain, le meilleur historien, le plus doué des essayistes. Si je prétendais que cette angoisse est comparable à celle qu’éprouvent les candidats qui espèrent obtenir un prix, on dirait que j’exagère. On aurait raison. Après la fièvre verte, la température des académiciens revient très vite à la normale. Néanmoins, cette angoisse de se tromper, de ne pas rendre justice à l’écrivain véritable nous taraude. Nous le savons : il est de magnifiques écrivains que leur caractère difficile, la malchance, la tyrannie de la mode et, hélas parfois, notre incuriosité laissent dans l’ombre sur les bas-côtés de la célébrité. Ils s’éloignent de nous comme nous nous éloignons d’eux, géniaux, douloureux, lumineux et obscurs, déplorant l’échec de leur passion non partagée. Ils devront attendre de longues années une reconnaissance que la société et nous par conséquent n’avons su leur donner.

Ces doutes, cette angoisse devant l’injustice, si nous ne les avions pas, notre passé, comme les pierres du désert devant Jésus, nous le crierait. Sans céder à la repentance, admettons que l’Académie, comme beaucoup d’institutions et de jurys littéraires, s’est parfois trompée. Si ces erreurs s’étaient déroulées en catimini, je resterais discret. J’observerais cette loi du silence que les corps constitués adoptent vis-à-vis de leurs bévues. Mais ces erreurs sont de notoriété publique et il faut les affronter, sans complexe. D’autant plus que, l’Académie visant à être l’illustration du meilleur de la société, il est normal qu’elle ait, à certains moments, partagé ses défauts.

Prosper Mérimée et Sainte-Beuve, nos confrères, qui furent élus le même jour, sont des écrivains en tous points remarquables. Ni leur œuvre, ni leur intelligence, ni leur culture ne sont en cause. Leur jugement littéraire en revanche a connu parfois quelques éclipses et même quelques ratés qu’ils ne m’en voudront pas, du haut de leur gloire, de relever. Prosper Mérimée juge que Les Fleurs du mal sont un livre, je le cite, « très médiocre et nullement dangereux où il n’y a que quelques étincelles de poésie comme peut en avoir un pauvre garçon qui ne connaît pas la vie et qui en est las parce qu’une grisette l’a trompé ». Il estime que Victor Hugo, pour lequel il a une particulière aversion, n’a « ni fond, ni solidité, ni sens commun ». Il considère que Flaubert pratique « un lyrisme copié du plus mauvais Victor Hugo ». En fait, un seul écrivain, parmi ses contemporains, qu’il dédaigne, parmi Musset, Vigny, Théophile Gautier, oui, un seul trouve grâce à ses yeux : « Il n’y a plus qu’un homme de génie à présent : c’est Ponson du Terrail. »

Sainte-Beuve ne rachète pas les erreurs de jugement de son confrère. Plus grave, c’est le critique qui fait la loi dans le monde littéraire. On le sait, il n’aime ni Victor Hugo, ni Flaubert, il déteste Balzac, et il méprise Stendhal, sur lequel il s’acharne après sa mort avec une sorte de commisération attristée : « Je viens de relire ou d’essayer de relire les romans de Stendhal, ils sont franchement détestables. » Puis, en chattemite, il ajoute : « En critiquant ainsi avec quelque franchise les romans de Stendhal, je suis loin de le blâmer de les avoir écrits. Ces romans sont ce qu’ils peuvent, mais ils ne sont pas vulgaires. Ils sont comme sa critique, surtout à l’usage de ceux qui en font. » Quant à Baudelaire, qui était son ami et qu’il a dissuadé de se présenter à l’Académie, pour ne pas être « ridicule », il a résumé ainsi son œuvre : « Ce petit pavillon que le poète s’est construit à l’extrémité du Kamchatka, j’appelle cela « la folie Baudelaire ». On est tenté, devant tant d’onctuosité papelarde, de s’exclamer avec Marcel Proust : « Ce Sainte-Beuve, quelle vieille bête ou quelle vieille canaille. »

Je ne me suis pas livré à cette facile autocritique de notre passé où brillent tant de soleils, pour inquiéter les auteurs qui sont couronnés aujourd’hui. Je les vois déjà pâlir sur leur siège. Qu’ils se rassurent : si nos jugements sont relatifs, ils n’en sont pas moins sincères et le plus souvent ils ont été éclairés. Aujourd’hui, échaudés par les injustices, avertis par l’expérience qui a aiguisé notre discernement, oui, aujourd’hui, nos lauréats peuvent, en toute confiance et en toute sérénité, affronter le verdict de la postérité.

 

Comme il est d’usage, je présenterai nos soixante et onze lauréats en commençant par ceux à qui nous avons décerné des Grands Prix – et qui voudront bien se lever à la mention de leur nom. Nous les applaudirons seulement après leur éloge. Je citerai ensuite les quarante-cinq lauréats de nos prix de fondations, qui voudront bien se lever ensemble à la fin du palmarès et à qui nous rendrons alors hommage par une ovation collective.

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Le Grand Prix de la Francophonie, le premier de nos Grands Prix, a été décerné cette année à M. le Professeur Thomas Gaehtgens, qui est une des figures majeures de l’histoire de l’art allemande de l’après-guerre. Il a non seulement consacré l’essentiel de ses publications à l’art français mais a toujours été un infatigable défenseur de notre langue, en Allemagne comme aux États-Unis où il réside actuellement.

 

Après avoir soutenu à l’université de Bonn une thèse sur le grand sculpteur du xvie siècle Germain Pilon, Thomas Gaehtgens a enseigné l’histoire de l’art à Berlin et a publié de nombreux travaux sur le Versailles des xviiie et xixe siècles, sur Joseph-Marie Vien, sur l’histoire artistique de l’Europe au xviiie siècle. Il a présidé pendant plusieurs années le comité international d’histoire de l’art et il est depuis 2007 directeur du Getty Research Institute de Los Angeles. La carrière de Thomas Gaehtgens, bien qu’internationale, a été largement ancrée en France. Dans son rapport, notre confrère Pierre Rosenberg nous rappelle ses services en matière de francophonie : titulaire de la chaire européenne du Collège de France en 1998-1999, Thomas Gaehtgens est également le fondateur du Centre allemand d’histoire de l’art, qu’il a dirigé pendant dix ans. Ce Centre, magnifiquement installé place des Victoires, constitue le pont entre les jeunes historiens de l’art allemands et leurs collègues français, qu’ils soient universitaires ou conservateurs de musée. À la tête du Centre, Thomas Gaehtgens a créé de toutes pièces une très belle bibliothèque de référence, a organisé de nombreux colloques et rencontres, a fait publier d’importants ouvrages d’auteurs aussi bien français qu’allemands, consacrés aux relations parfois délicates entre nos deux pays. Il a, par ce biais, favorisé les études et rapproché les chercheurs des deux pays d’une manière décisive.

 

La Grande médaille de la Francophonie revient à Mme Nadia Benjelloun, qui contribue elle aussi, dans un autre domaine, au rapprochement entre communautés intellectuelles au sein de la francophonie. Nadia Benjelloun, Parisienne par mariage, Marocaine de naissance, est l’âme, depuis de nombreuses années, de rencontres qui ont lieu en français dans le cadre du Festival annuel de musique sacrée de Fès. Elles réunissent sur un thème littéraire, philosophique ou moral, d’excellents esprits venus des quatre points du monde, dans la tradition des rencontres de Pontigny, comme le précise notre confrère Marc Fumaroli, et dans le souci de faire dialoguer des traditions différentes, dans l’ordre religieux comme dans l’ordre profane.

 

Le Grand Prix de Littérature est attribué cette année à M. Vincent Delecroix, pour Tombeau d’Achille et l’ensemble de ses ouvrages. Jeune professeur de philosophie à Paris, Vincent Delecroix est déjà l’auteur d’un Kierkegaard en 2006, d’un recueil de nouvelles intitulé La Chaussure sur le toit qui, comme le note dans son rapport notre confrère Michel Déon, est « d’un beau charme ironique », et de deux romans, Ce qui est perdu et À la porte – roman devenu une pièce de théâtre jouée par Michel Aumont. Et voilà qu’il publie un livre tout autre, un grand poème en prose, lyrique, de toute beauté, une œuvre qu’on hésite à classer et que nous appellerions peut-être avec Michel Déon, si le genre était à créer, une « interpellation » – l’interpellation d’un héros fabuleux, Achille, tantôt emporté par ses fureurs, tantôt livré à la pitié, mais toujours sublime devant l’histoire et les nobles fureurs des sens. L’exploration du cœur et de la démence d’Achille par Vincent Delecroix n’est pas sans nous rappeler, dit Michel Déon, les accents d’un Maurice Barrès.

 

À Claude Lanzmann, auteur du Lièvre de Patagonie, revient le Grand Prix de Littérature Henri Gal, prix de l’Institut de France décerné sur proposition de l’Académie française et créé en souvenir de M. Henri Gal, dont nous commémorons cette année le dixième anniversaire du décès. Le livre de mémoires de Claude Lanzmann éclaire rétrospectivement le parcours de l’auteur d’une lumière nouvelle. Il lui donne un sens, un relief qui font de cette vie une réussite, et de son récit un chef-d’œuvre. Claude Lanzmann a traversé les aventures les plus lourdes de l’histoire contemporaine, la guerre, la Résistance, la guerre d’Algérie, l’aventure des Temps modernes, la naissance d’Israël. Il raconte par le menu l’épopée de son film Shoah que, selon notre confrère Pierre Nora, seul un homme de son courage, de sa ténacité à toute épreuve, et de son don d’humanité était capable de réaliser. Cet homme, qui a vécu une telle proximité avec les victimes de l’Holocauste, se révèle avant tout un grand vivant, un amoureux fou de la vie, des dangers qui la font plus précieuse et des femmes qui la font plus belle. Peu de livres savent ainsi mélanger l’anecdote et la réflexion, le quotidien et la profondeur, le tragique et un humour qui rend la lecture, souvent, franchement drôle. « Avoir à son actif deux chefs-d’œuvre – un film et un livre – suffit à justifier une existence », conclut Pierre Nora.

 

Le Prix Jacques de Fouchier, qui récompense un ouvrage dont l’auteur n’appartient pas aux professions littéraires, est attribué à M. Alain Dejammet, pour Paul-Louis Courier. Diplomate, ancien ambassadeur de France auprès des Nations unies puis au Vatican, Alain Dejammet n’avait jusqu’ici écrit qu’un petit livre ironique sur son métier, Supplément au voyage en Onusie. Il fait aujourd’hui paraître, selon notre confrère Pierre-Jean Rémy, « un livre magistral, tout d’analyse et d’érudition, sur un personnage capital et ambigu du monde politico-littéraire de la première moitié du xixe siècle ». Ce n’est pas un euphémisme de dire qu’on attendait cette grande biographie où, en plus de six cents pages, Dejammet tente et réussit à cerner la personnalité de ce soldat pamphlétaire, helléniste, et propriétaire foncier, respecté et haï, dont la mort – un assassinat en pleine forêt tourangelle – suscita des controverses, conduisant à un procès fort célèbre. Ce livre presque unique semble clore bien des débats sur une figure emblématique des ambiguïtés de la Restauration.

 

Le Grand Prix du Roman est décerné à M. Pierre Michon, pour son ouvrage Les Onze. Personne n’est mieux placé que Pierre Rosenberg pour parler de ce livre qui évoque un tableau fictif qui serait au Louvre et un peintre, François-Élie Corentin, « le Tiepolo de la Terreur ». Ce tableau mesure quatre mètres trente sur un peu moins de trois mètres de haut. Il représente les Onze, le Comité de salut public de 1794, Robespierre, Saint-Just, Couthon, Collot, Barère… Ce sont l’histoire de ce tableau, les circonstances et les raisons de sa commande que Pierre Michon nous raconte en un court roman. Avec adresse, il entrelace fiction, évocation historique, histoire de l’art (l’on songe plus à Goya qu’à David) et histoire tout court (à l’aide de Jules Michelet). Pourquoi cette commande à cet artiste vieillissant encore attaché à l’Ancien Régime et à quelles fins ? Michon nous laisse attendre sa réponse. On admirera tout spécialement, nous dit Pierre Rosenberg, l’évocation hallucinée de la Terreur, de la nuit de la Terreur, les portraits imaginaires des commanditaires de l’œuvre, leurs raisons avouées ou inavouées. Les précédents ouvrages de Pierre Michon avaient retenu l’attention par la qualité d’une écriture personnelle, serrée et ciselée. Son dernier roman, que l’Académie vient de couronner, nous en semble le parachèvement.

 

Le Prix de l’Académie française Maurice Genevoix a été attribué à M. Pierre Oster, pour Pratique de l’éloge. C’est un grand poète qui nous livre ici, en courtes séquences, des exercices d’admiration sur ses poètes préférés, Saint-John Perse, Jean Grosjean, Paul Valéry, Philippe Jaccottet, Francis Ponge, ou encore Patrice La Tour du Pin. Soulignant la splendeur de l’écriture mise en œuvre pour célébrer ceux qui pratiquent, comme Pierre Oster lui-même, une poésie de louange, animée d’une haute ambition spirituelle, notre confrère Dominique Fernandez montre, dans son rapport, qu’avec cet ouvrage à la fois précis, clair, élégant et instructif, la critique littéraire est hissée au niveau de la création poétique.

 

Le Prix Hervé Deluen, destiné à récompenser une personne « qui contribue efficacement à la défense et à la promotion du français comme langue internationale », a été décerné à M. Alexandre Najjar. La liste des qualités de cet écrivain libanais le désignant pour un prix de francophonie est longue et on s’étonnera qu’un homme de cet âge ait embrassé tant de choses. Michel Déon, qui nous le présente, nous le dépeint précis, efficace, érudit, connaisseur impeccable des relations politiques et juridiques du Liban et de la France, jouissant d’une grande réputation et ardent défenseur du français au Proche-Orient. Il est l’auteur de romans, parmi lesquels Les Exilés du Caucase, Le Roman de Beyrouth, Le Silence du ténor et surtout L’École de la guerre. Le nom d’Alexandre Najjar est encore attaché à de nombreuses autres publications, les unes érudites, les autres anthologiques, et, partout, chaque fois, on retrouve la qualité de l’écrivain et de l’homme engagé dans le combat de la francophonie au Proche-Orient.

 

L’Académie a attribué son Grand Prix de Poésie à Mme Vénus Khoury-Ghata, pour l’ensemble de son œuvre poétique. Ses deux récents ouvrages, Les Obscurcis et À quoi sert la neige ?, délicieux recueil de poèmes pour enfants, font suite à de nombreux et riches volumes de poésie tels que Terres stagnantes, Les Ombres et leurs cris, Monologue du mort, Compassion des pierres. Avec ces recueils, Vénus Khoury-Ghata, Libanaise résidant en France depuis une trentaine d’années, a donné à notre poésie un ton singulier, tout à fait original, « l’arabe infusant son miel et sa folie dans la langue française », comme le souligne notre confrère René de Obaldia. Sur fond de tragédie, il y a paradoxalement chez le poète un émerveillement, voire une reconnaissance devant ce que Jules Supervielle nommait « la fable du monde », ainsi qu’une alliance subtile entre le visible et l’invisible.

 

Le Grand Prix de Philosophie revient à M. Rémi Brague, pour l’ensemble de son œuvre. La carrière exceptionnelle de Rémi Brague fut d’abord celle d’un historien de la philosophie grecque, historien lui-même philosophe. Mais ce ne fut là qu’une première étape, comme nous le rappelle Marc Fumaroli, et ajoutant à sa parfaite connaissance du grec ancien celles de l’hébreu et de l’arabe, Rémi Brague a entrepris une étude comparée des philosophies antiques et médiévales dans ces trois principales langues, en complément du latin. Ce champ immense n’ayant pas épuisé ses capacités philologiques et interprétatives hors du commun, il mène aujourd’hui à son terme une trilogie sans équivalent connu avec La Sagesse du Monde puis La Loi de Dieu et bientôt une étude sur l’humilité de l’homme, trilogie dans laquelle il confronte les traditions juives, chrétiennes et arabes pour tracer trois lignes d’accès à la modernité. Cette vaste entreprise n’oblitère pas, néanmoins, la recherche que Rémi Brague poursuit sur l’essence, la définition et l’avenir de l’humanité dans sa figure proprement européenne. Ainsi, dans l’ensemble de son œuvre, a-t-il su rendre à la philosophie tout son rôle politique, au sens le plus classique du terme.

 

Le Grand Prix Moron, qui récompense également un ouvrage de philosophie, a été décerné à M. Dominique Guillo, pour Des chiens et des humains, car, comme le dit notre confrère Michel Serres, « on peut écrire un grand livre de philosophie sur un petit sujet ». Partant d’une expérience quotidienne, ce livre renverse en effet la plupart de nos idées cruelles, sottes ou naïves, sur les lignées animales sauvages et domestiques, sur le processus même de la domestication, sur les meutes et l’apprentissage, sur les conduites des bêtes par rapport aux humains, sur les communications possibles entre les animaux et l’homme, sur le fonctionnement global des circuits sensoriels... Bref, on sort de cette lecture avec des idées rafraîchies sur la sensation et la cognition, l’éthologie et l’évolution, mais aussi sur la vie courante.

 

 

De la philosophie, passons à l’histoire, avec le Grand Prix Gobert qui couronne cette année M. Guy Thuillier, pour l’ensemble de son œuvre d’historien. « Cette œuvre, selon Marc Fumaroli, est particulièrement impressionnante, tant par l’ampleur et la diversité du champ des recherches que par la rigueur de la méthode. » Les longs articles constituent autant d’études très originales, fondées sur des archives inédites, de personnages ou de faits négligés par l’historiographie courante. Quant aux livres – plus de quatre-vingts ! –,
nous les répartirons à la suite de Marc Fumaroli en trois rubriques. La première concerne la méthode en histoire, avec trois importants traités à contre-courant des modes subjectivistes et relativistes qui affectent souvent la discipline. La seconde relève de l’histoire locale et régionale, dont Guy Thuillier a aussi défini les méthodes, et dont il a illustré la pratique dans ses études sur le Nivernais, la province natale à laquelle il demeure attaché. Mais le massif principal de son œuvre, celui qui donne toute la mesure et l’originalité de sa personnalité d’historien, se dresse sur le terrain du droit, de la philosophie et surtout de la psychologie de cet ancien clergé laïc spécifiquement français, l’administration et sa bureaucratie. Naturellement, il a légiféré sur les méthodes de cette historiographie qu’il a, sinon inventée, du moins érigée en discipline scientifique, dans les deux volumes de Pour une histoire de la bureaucratie en France. Et il n’est guère d’aspect du sujet qu’il n’ait traité avec une exceptionnelle maîtrise, depuis L’ENA avant l’ENA, en 1983, jusqu’à Administration : vérités et fictions, en 2007. Si l’on ajoute que Guy Thuillier a publié plusieurs ouvrages d’histoire économique et monétaire sous l’angle de l’intervention de l’État, l’on n’aura encore qu’une faible idée de la variété de ses curiosités et de l’étendue de ses compétences scientifiques.

 

Le Prix de la Biographie est traditionnellement partagé entre littérature et histoire. Le Prix de la Biographie littéraire revient cette année à «Lauréat»M. Michel Jarrety, pour son Valéry. Selon la formule de Marc Fumaroli, « Michel Jarrety a réussi le tour de force de faire revivre le tout de l’homme sans nuire au tout de l’œuvre ». Tout en racontant presque au jour le jour l’existence d’un homme public qui a vécu plusieurs vies, le biographe a réussi à faire participer son lecteur à la continuité d’une vie intérieure secrète, celle des cahiers, celle de la lente genèse des poèmes, celle de la correspondance et des journaux intimes, où alternent le détachement sceptique de Monsieur Teste et les passions les moins désincarnées. Sans altérer la stature intellectuelle de notre illustre confrère, il en a révélé l’humanité généreuse et contradictoire.

 

Le Prix de la Biographie historique couronne le Léon Gambetta de M. Jean-Marie Mayeur, historien de l’Église catholique mais aussi de la iiie République. Comme le souligne notre Secrétaire perpétuel, Mme Hélène Carrère d’Encausse, Jean-Marie Mayeur porte dans ce livre passionnant un regard neuf sur une période particulièrement riche et complexe de l’histoire française. Le parcours politique de Gambetta, ses convictions si précieusement étudiées ici permettent de mieux comprendre ce qu’était alors le monde français et ce qui a nourri l’imaginaire de nos aïeux. Les grandes notions de patrie, de laïcité, de république, qui étaient au cœur de l’idéal de Gambetta, sont aujourd’hui affadies, voire mal comprises ou méconnues. Ce livre nous invite à confronter l’idée républicaine des premiers temps de la iiie République avec celle qui inspire les politiques d’une ve République épuisée.

 

L’occasion d’attribuer le Prix de la Critique à M. Bernard de Fallois, pour l’ensemble de son œuvre critique, nous est offerte par sa récente publication des poèmes de Paul Valéry à Jean Voilier, de son vrai nom Jeanne Loviton, derniers poèmes de Valéry regroupés sous le titre de Corona et Coronilla. Grand critique, Bernard de Fallois n’a jamais cessé de l’être à travers son œuvre d’éditeur, comme nous le rappelle Pierre Nora. Ami des auteurs, qu’il a choisi de publier, il a fait d’admirables préfaces à Marcel Pagnol ou Emmanuel Berl, et son livre sur Georges Simenon a contribué à mettre l’auteur au rang de grand écrivain. Surtout, c’est à Bernard de Fallois que nous devons la découverte de Jean Santeuil et du Contre Sainte-Beuve de Proust, qui ont permis de mieux connaître la figure de l’auteur d’À la recherche du temps perdu. Pour cet apport considérable à l’histoire de la littérature, et pour l’ensemble de ses importantes contributions à la critique et aux lettres, l’Académie veut lui manifester aujourd’hui sa reconnaissance.

 

Vient ensuite le Prix de l’Essai, décerné à M. André Tubeuf, pour Ludwig van Beethoven. Bien connu de tous ceux qui s’intéressent à la voix humaine, à l’opéra ou au lied, voire à la musique de tous les temps, André Tubeuf a rédigé une bonne dizaine d’ouvrages consacrés à la musique et des milliers de chroniques musicales. Certaines, rassemblées au sein d’une Offrande musicale exemplaire, sont devenues pour beaucoup un livre de chevet. Après une Quatorzième valse consacrée au dernier concert de Dinu Lipatti à Lucerne, c’est un Beethoven lumineux qu’il nous offre. « D’une brièveté remarquable, d’une poésie intense, comme l’écrit Pierre-Jean Rémy, la réflexion d’André Tubeuf sur le génie créateur de Beethoven constitue une véritable leçon de choses pour les amateurs de musique, une initiation parallèle et subtile pour tous les autres. »

 

Le Prix de la Nouvelle va cette année à M. Sylvain Tesson, pour Une vie à coucher dehors. « Sylvain Tesson, nous dit Michel Déon, a conquis ses libertés en voyageant loin avec intrépidité et passion. » Dans ses livres, comme son modèle, Nicolas Bouvier, il a ouvert les portes du monde. Il apporte une grande bouffée d’oxygène dans la république des Lettres. Qui plus est, il écrit avec bonheur et un grand sens des drames possibles. Il a de l’esprit, du savoir et, parfois, un mot cruel.

 

Au titre des Prix d’Académie, trois médailles ont été décernées, dont la première revient à M. Michel Lécureur, pour Barbey d’Aurevilly. Le Sagittaire. Notre confrère Yves Pouliquen a apprécié le caractère complet de cette biographie : en effet, Michel Lécureur propose une saisie rationnelle et authentique de la vie de l’écrivain. Elle passe notamment par une analyse minutieuse de la quantité incroyable d’articles en tous genres dont le graphomane Barbey d’Aurevilly a inondé la presse, avec le talent qu’on lui connaît.

 

 

Un second Prix d’Académie a été attribué à M. Daniel Garbe, pour Alfred Fabre-Luce. Ce livre constitue la première biographie en date sur l’homme que l’on disait le plus intelligent de France, l’observateur le plus pénétrant de son temps, des années vingt aux années quatre-vingt. On ne saurait, nous dit Michel Déon, rien écrire de mieux sur la période cruciale de la guerre de 14-18, celle de 1939 à 1944, que son Journal de la France I, II et III qui lui valut d’être incarcéré par les Allemands en 1944, puis par ses compatriotes quelques mois après.

 

Un autre prix d’Académie a été décerné à Mme Anne de Lacretelle, pour La Comtesse d’Albany. Une égérie européenne. Avec cette biographie élégante et savante de Louise de Stolbert, épouse du dernier prétendant Stuart au trône d’Angleterre, Anne de Lacretelle arrache à l’oubli une femme intelligente, libertine et romantique qui renonce à son rang royal pour se consacrer aux lettres et aux arts, en compagnie du poète et tragédien Vittorio Alfieri à qui elle voua plus de vingt-cinq ans de sa vie, puis du peintre François-Xavier Fabre. Comme le souligne notre confrère Gabriel de Broglie, le grand intérêt de cette fresque est de donner de la période une vision qui n’est pas hexagonale, mais périphérique et européenne, car de sa fenêtre d’exil à Florence, la comtesse d’Albany a assisté au fracas de l’histoire avec le détachement d’une grande dame cosmopolite.

 

Le Prix du Cardinal Grente, décerné tous les deux ans à un membre du clergé catholique français pour l’ensemble de son œuvre, revient à Mgr Joseph Doré. Prêtre de la Compagnie de Saint-Sulpice, élève du professeur Josef Ratzinger, docteur en théologie, Mgr Doré a été très longtemps professeur à la faculté de théologie de l’Institut catholique de Paris, avant de devenir archevêque de Strasbourg jusqu’en 2007. Son œuvre de théologien est considérable – près d’une trentaine d’ouvrages et plus de deux cents articles – car, selon notre confrère Mgr Dagens, « Mgr Joseph Doré cherche inlassablement à comprendre comment le mystère du Christ se trouve au cœur de la Révélation chrétienne de Dieu et comment ce mystère se déploie à travers la grande tradition de l’Église tout en s’inscrivant dans les multiples cultures du monde ». À la connaissance approfondie des sources et à la rigueur de la réflexion, il sait allier une grande capacité de rendre accessibles, bien au-delà des spécialistes, les données fondamentales de la foi catholique. Le prix du Cardinal Grente récompense donc cette année un de ces grands théologiens qui honorent la tradition chrétienne et les universités catholiques françaises.

 

Le Prix du Théâtre a été attribué à M. Wajdi Mouawad, pour l’ensemble de son œuvre dramatique. Pour l’odyssée moderne dans laquelle il nous entraîne, où la légende côtoie l’histoire contemporaine, où les morts côtoient les vivants, où les ancêtres parlent à leurs descendants. Pour l’ampleur et la force de sa tétralogie, Le Sang des promesses, qu’il a menée à bien en quinze ans et dont la première partie, Littoral, est suivie d’Incendies, de Forêts, et enfin d’un dernier volet, Ciels, créé cet été dans le cadre du festival d’Avignon. « Spectacle rare », nous dit Florence Delay, Littoral, Incendies, Forêts furent représentés en une même nuit dans la cour d’honneur du palais des Papes, mis en scène par l’auteur, invité en tant qu’artiste associé du festival 2009. Trois lieux, Montréal, Beyrouth, Chambéry, livrent un peu de son histoire personnelle. Car Wajdi Mouawad est fils de chrétiens maronites qui, en 1978, quittèrent le Liban en guerre pour Paris. Là, l’enfant apprend le français et, en classe de 6e, il écrit sa première pièce, dont les personnages sont des objets jetés dans une poubelle qui parlent du non-sens de la vie... Au bout de cinq ans, la famille doit immigrer au Québec. Mouawad retrouve le goût de vivre à Montréal, quand il est reçu à l’École nationale du théâtre du Canada. C’est cette admirable réussite dramatique que l’Académie française est heureuse de saluer aujourd’hui.

 

En décernant son Prix du Cinéma René Clair à Bertrand Tavernier, l’Académie française tient à rendre hommage à l’un de nos grands réalisateurs. Ses sources d’inspiration, notre confrère Frédéric Vitoux le rappelle, sont fort diverses. Il s’est révélé mélancolique et nostalgique dans Un dimanche à la campagne, pour ne rien dire de son premier long-métrage, L’Horloger de Saint-Paul, qui s’inspirait de Simenon pour mieux explorer la ville de Lyon où il passa son enfance. Avec une lucidité impitoyable, il a interrogé la société française dans des films policiers comme L’Appât ou L. 627 et s’est aventuré sans complaisance dans les bayous de la Louisiane, cadre de son dernier film Dans la brume électrique. Il a exploré encore notre mémoire et notre histoire, de la Régence jusqu’aux temps de l’Occupation, en passant par la Première Guerre mondiale qui lui dicta deux films aussi mémorables que Capitaine Conan ou La Vie et rien d’autre.

 

 

La Grande Médaille de la Chanson française revient à Mme Anne Sylvestre, à qui son amour du vocabulaire, de la syntaxe, d’Apollinaire et des formes brèves ont, selon les termes de Florence Delay, « donné le statut de très belle “femme de lettres” de la chanson française ». De la Rive gauche au monde entier, ses chansons ont traversé plusieurs générations. Elle y chante ses révoltes, défend la cause des innocents, des incompris, des gens qui doutent, celle de toutes les femmes. Aussi drôle que vaillante, elle sait déclencher l’hilarité du public par des pamphlets et des provocations cocasses. De Gémeaux croisés, comédie à sketches chantée, à Calamity Jane, bel essai de théâtre musical, elle ne cesse de surprendre depuis cinquante ans. Bien des prix récompensant la chanson française lui ont déjà été décernés, mais, comme le dit Florence Delay, sur son « chemin de mots », il lui manquait le nôtre.

 

Pour clore la liste de nos Grands Prix, voici ceux du Rayonnement de la Langue et de la Littérature françaises, au nombre de deux cette année. Le premier, récompense Mme Delphine de Candolle, directrice de la Société de lecture à Genève. Cette Société de lecture, fondée en 1818 dans la tradition des sociétés littéraires du siècle des Lumières, est tout à la fois bibliothèque possédant un magnifique fonds d’ouvrages anciens et modernes, cabinet de lecture – qui accueillit des figures illustres, tels Cavour et Lénine –, société de conversation et désormais cercle de conférences rassemblant ses abonnés autour d’auteurs qui viennent présenter leurs œuvres dans les domaines les plus variés. Tradition et modernité caractérisent ce lieu magique aux destinées duquel préside avec une intelligence et une culture remarquables Mme Delphine de Candolle.

 

Une seconde médaille du Rayonnement est attribuée à M. Erden Kuntalp, qui, à Ankara, est non seulement un grand universitaire francophone mais également un fervent défenseur de l’enseignement français en Turquie. Son amour et sa connaissance du français ont amené ce professeur de droit à la présidence de la Fondation Tevfik Fikret, fondation privée qui regroupe trois établissements scolaires francophones d’excellence à Ankara, Izmir et Bursa, où plus de deux mille élèves suivent un enseignement bilingue, avec des cours renforcés de langue française et des cours scientifiques enseignés en français.

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Après les Grands Prix, voici maintenant les Prix de fondations grâce auxquels, selon la volonté des donateurs, l’Académie honore le talent et le savoir. Nos lauréats, je vous le rappelle, recevront ensemble nos applaudissements à la fin du palmarès.

 

Dans le domaine de la poésie, six ouvrages ont été couronnés. Le Prix Théophile Gautier est allé à M. Mathieu Bénézet, pour Ne te confie qu’à moi, ouvrage qui rassemble dix-huit petits ensembles poétiques exploitant une grande variété de registres, dans une langue toujours novatrice.

 

Le Prix Heredia revient, pour l’édition intégrale de son œuvre poétique, à M. Kama Sywor Kamanda, chantre de la mémoire africaine dont l’œuvre, d’une profonde humanité, se veut « un chant d’amour, de vie, d’espoir et de mort ».

 

Le Prix François Coppée est atttribué à M. Karel Logist, pour un recueil qui est également celui d’une vie de poésie, et qui est intitulé Tout emporter. On y goûte une voix mélancolique, des images, un charme qui se répète d’écho en écho.

 

 

Le Prix Paul Verlaine a été décerné à M. Jean-Luc Steinmetz, pour Le Jeu tigré des apparences, recueil qui développe les thèmes du vu et du non-vu, de l’impression première et de la vérité profonde, dans l’éblouissante clarté d’un non-dit riche de tout ce qu’il révèle.

 

Le Prix Henri Mondor, quant à lui, récompense une étude de la poésie mallarméenne. Il va cette année à Mme Laure Becdelièvre pour son Nietzsche et Mallarmé, pour le parallèle original et fertile qu’elle établit entre ces deux grands contemporains, tous deux explorateurs du langage et de la pensée.

 

Le dernier prix de poésie, le Prix Maïse Ploquin-Caunan, est attribué à M. Zéno Bianu, pour Chet Baker (déploration), un bel hommage poétique au musicien dont il fait résonner le jeu et la voix dans un long monologue inspiré.

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Pour la littérature et la philosophie, le Prix Montyon revient à Mme Myriam Revault d’Allonnes, pour L’Homme compassionnel, un livre clair, concis et direct, qui propose l’analyse délicate du rapport entre la politique et la compassion au cœur de « la société du spectacle ».

 

Le Prix La Bruyère, prix de philosophie morale, récompense l’ouvrage de M. Gianni Paganini, « Skepsis ». Le Débat des Modernes sur le scepticisme. Ce livre savant montre combien le débat qui avait partagé au xvie siècle philosophes et théologiens européens, à la suite de la redécouverte des philosophes grecs du doute, continue à modeler la pensée philosophique du xviie siècle.

 

Notre prix de traduction, le Prix Jules Janin, a été décerné à M. Phuong Dang Tran, pour sa parfaite traduction en français du roman de Duong Thu Huong, Au zénith, œuvre d’une importance capitale pour l’histoire du Vietnam depuis l’indépendance de l’ancienne Indochine française.

 

 

Le Prix Émile Augier est un prix de théâtre qui a été attribué à M. Patrick Cauvin, pour Héloïse. La pièce, qui a été mise en scène par Patrice Leconte au théâtre de L’Atelier, est marquée, comme tous les autres ouvrages de l’auteur, par de l’esprit et un sens aigu de l’observation.

 

Le Prix Émile Faguet récompense un ouvrage de critique littéraire : il va cette année à M. Michel Wasserman, pour D’or et de neige. Paul Claudel et le Japon. L’intimité de l’auteur avec le Japon et les Français qui ont parlé du Japon est remarquable, et son livre s’inscrit dans la lignée des grandes études sur les liens qui se nouèrent au début du xxe siècle entre l’Asie et tant d’écrivains français.

 

À M. Henry Bonnier revient le Prix Louis Barthou, pour Journal d’une confession. Ce journal, tenu de 2006 à 2007, recueille, avec les réflexions et les élans de sa foi, les pensées et les rencontres d’un romancier généreux.

Au titre de ce même Prix Louis Barthou, une médaille d’argent a été attribuée, pour Inventaire curieux des choses de la France, à M. Alain Schifres, plume acérée et brillant observateur de notre pays, de ses modes de vie et de ses préjugés.

 

Le Prix Anna de Noailles, qui couronne une femme de lettres, est décerné à Mme Anne-Marie Garat, pour L’Enfant des ténèbres. Ce beau roman, qui se déroule en 1933-1934 dans l’Europe tout entière, prend la valeur d’une grande frise ambitieuse, dans la tradition romanesque classique.

 

Le Prix François Mauriac est quant à lui destiné à un jeune écrivain. Il est attribué à M. Jean-Baptiste Del Amo, pour Une éducation libertine, premier roman d’un auteur de vingt-six ans qui frappe par son érudition enjouée et sa manière de pasticher le XVIIIe siècle avec verve et originalité.

Une médaille de bronze du Prix François Mauriac a été décernée à Marcus Malte, pour Toute la nuit devant nous, dont l’inspiration, en particulier sur la préadolescence, est fort heureuse et s’accompagne d’une réelle tendresse pour les héros.

 

Le Prix Georges Dumézil, prix de philologie, revient à M. Laurent Susini, pour L’Écriture de Pascal. La lumière et le feu. La « vraie éloquence » à l’œuvre dans les « Pensées ». C’est là une vraie synthèse, d’une qualité exceptionnelle, sur le travail pascalien de la prose.

 

M. Thierry Dancourt obtient le Prix Roland de Jouvenel, pour Hôtel de Lausanne, première œuvre singulière autant par l’histoire qu’elle raconte que par le ton et la délicatesse de l’écriture.

 

Le Prix Biguet est attribué à M. Jackie Pigeaud, pour « Melancholia ». Le Malaise de l’individu, l’un des trois ou quatre ouvrages majeurs qu’on ait écrits depuis longtemps sur ce thème, selon notre confrère Jean Clair, qui estime que « l’élégance de l’écriture, l’érudition et la finesse analytique s’y mêlent pour en faire un petit Burton de poche ».

 

Le Prix Ève Delacroix est décerné à M. Stéphane Hoffmann, pour Des garçons qui tremblent, roman dans lequel l’auteur se montre pour la première fois un écrivain grave, déchirant, à la sincérité meurtrie, dans une forme de désenchantement.

Une Médaille d’argent de ce même prix est attribuée à M. Arnaud Teyssier, pour Charles Péguy. Une humanité française, biographie qui choisit d’éclairer surtout l’homme qui, issu d’un milieu modeste et rural, est devenu la figure intellectuelle, littéraire et politique que l’on sait.

 

L’Académie est heureuse d’attribuer cette année le Prix Pierre Benoit à M. Hyam Mallat, pour La Rencontre de Pierre Benoit et Georges Lecomte, de l’Académie française, avec le Liban. Ce sont les lettres inédites des deux académiciens qu’Hyam Mallat, si attaché à l’amitié franco-libanaise, a pieusement recueillies, soigneusement annotées et commentées.

 

Dernier prix de littérature, le Prix Jacques Lacroix, qui couronne des ouvrages sur la vie des animaux, est partagé entre M. Henri Gourdin, pour Le Grand Pingouin, et M. Philippe Jourde, pour Le Hérisson. Le premier se penche sur une espèce disparue que l’on trouvait encore sur les côtes de Bretagne au xviiie siècle, tandis que le second met à notre disposition un savoir complet sur une espèce protégée.

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Viennent maintenant les Prix d’histoire. Le Prix Guizot va à M. Jacques Le Rider, pour L’Allemagne au temps du réalisme. De l’espoir au désenchantement. Il s’agit d’une vaste interprétation de la vie culturelle allemande entre 1848 et 1890 à la lumière de la notion de « réalisme », qui dresse avec beaucoup de finesse et de fermeté la généalogie du désenchantement avec lequel l’Allemagne abordera le XXe siècle.

Le Prix Guizot est également doté de quatre médailles, deux d’argent et deux de bronze. La première revient à Mme Stella Ghervas, spécialiste de l’histoire culturelle européenne du XIXe siècle, pour Réinventer la tradition. Alexandre Stourdza et l’Europe de la Sainte-Alliance, un livre très solidement documenté, bien construit et complet sur la pensée et l’action du diplomate.

La seconde médaille est attribuée à M. Grégoire Kauffmann, pour Édouard Drumont. Écrire une biographie de Drumont qui ne soit ni une apologie ni un contre-pamphlet était une gageure, dont l’auteur s’est tiré avec science et tact, détachement et précision.

M. Alain Monod obtient également une médaille du Prix Guizot pour Vauban ou la mauvaise conscience du roi, qui, plus qu’une biographie, est un essai, consacré avant tout au sort des protestants.

Une autre médaille revient à M. Charles Wright, pour Casanova ou l’essence des Lumières, biographie classique dans laquelle l’auteur insiste avec raison sur ce chef-d’œuvre des lettres françaises que sont les Mémoires.

 

Le Prix Thiers est décerné à M. Steven Kaplan, pour Le Pain maudit. Retour sur la France des années oubliées (1945-1958). L’Académie a plaisir à saluer ce grand universitaire américain qui écrit en français et qui est le premier à faire du pain un objet d’histoire totale, au carrefour du matériel et du symbolique.

 

À Mme Bénédicte Vergez-Chaignon est attribué le Prix Eugène Colas, pour Les Vichysto-résistants de 1940 à nos jours. Cette étude éclaire une réalité historique occultée, celle de ces partisans de la Révolution nationale engagés dans la Résistance, et montre le rôle majeur de ces hommes dans l’histoire de la ive et de la Ve République.

 

Le Prix Eugène Carrière, qui couronne un ouvrage d’histoire de l’art, est allé à M. Bertrand Jestaz, pour Jules Hardouin-Mansart, monographie d’une grande érudition.

 

Le Prix d’histoire locale Georges Goyau est attribué à M. Pierre-Jean Souriac, pour Une guerre civile. Affrontements religieux et militaires dans le Midi toulousain (1562-1596). Ce livre, avec un très grand talent d’exposition, contribue non seulement à la connaissance du Midi toulousain, mais plus largement à la compréhension des guerres qui, dans la seconde moitié du XVIsiècle, ont ravagé diverses régions françaises.

 

C’est à M. Stéphane Audoin-Rouzeau, l’un des meilleurs historiens de la Grande Guerre, qu’est décerné le Prix du Maréchal Foch, pour Combattre. Une anthropologie historique de la guerre moderne (XIXe-XXe siècle), ouvrage dans lequel l’auteur pense la violence de guerre au plus près du combattant.

 

Le Prix Louis Castex est partagé entre M. François Feer, pour Bestiaire amazonien et M. Philippe Charlier, pour Les Monstres humains dans l’Antiquité. Analyse paléopathologique. Dans un livre enchanteur, François Feer, naturaliste, décrit avec délectation et poésie les animaux fabuleux qui composent la faune du bassin amazonien. Philippe Charlier, médecin, tire du réexamen des collections anciennes de cas tératologiques des informations médicales d’intérêt épidémiologique évident, et dégage aussi la part qu’elles purent avoir dans une construction mythologique ou légendaire.

 

 

M. Stéphane Toussaint reçoit le Prix Monseigneur Marcel, pour Humanismes et antihumanismes. De Ficin à Heidegger. Dans ce volume, l’auteur, si familier de la pensée de la Renaissance, conteste sa mise en question par nombre de philosophes modernes.

Au titre du même Prix, une médaille d’argent est décernée à Mme Florence Buttay-Jutier, pour « Fortuna ». Usages politiques d’une allégorie morale à la Renaissance. Traitant un magnifique sujet, le livre appartient aux études iconographiques de grande qualité.

 

Le Prix Diane Potier-Boès, récompensant un ouvrage sur l’histoire des pays de la Méditerranée, revient à M. Jean-Nicolas Corvisier, pour Les Grecs et la Mer. L’auteur y bouscule l’idée reçue de la familiarité des Grecs avec la mer pour retracer l’histoire d’une difficile conquête étendue sur plusieurs siècles.

 

Le Prix François Millepierres a été attribué à Mme Anne-Gabrièle Wersinger, pour La Sphère et l’Intervalle. Le schème de l’Harmonie dans la pensée des anciens Grecs d’Homère à Platon, un ouvrage très savant sur la pensée des présocratiques.

 

Le Prix François Millepierres est doté cette année de deux médailles d’argent, dont l’une va à M. Rémi Dalisson, pour Les Fêtes du Maréchal. Propagande et imaginaire dans la France de Vichy. Grâce à lui, c’est toute la politique symbolique et culturelle du pouvoir que l’on peut déchiffrer dans cette forme de propagande, très peu étudiée jusqu’ici.

La seconde médaille a été décernée à M. Frédéric Cousinié, pour Images et méditation au xviie siècle, ouvrage d’une érudition impeccable qui s’attache à la pratique dévotionnelle des arts visuels en France.

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Enfin, trois prix de soutien à la création littéraire ont été attribués cette année. Le premier, le Prix Henri de Régnier, va à M. Jean-Jacques Lafaye, pour soutenir une importante étude sur André Maurois, dont Jacqueline de Romilly nous indique qu’elle se fondera notamment sur des documents inédits conservés à l’Institut de France.

À M. Gabriel Matzneff, romancier et essayiste qui unit dans ses ouvrages l’érudition à l’imagination, revient le Prix Amic. C’est une occasion pour nous de faire un signe à un grand écrivain dont nous admirons l’œuvre et la probité littéraire.

Et le Prix Mottart couronne M. Gaspard-Marie Janvier, pour Le Dernier Dimanche, un étrange récit que sa conclusion place soudain aux limites de la Légende dorée et du conte fantastique.

 

J’invite désormais les quarante-cinq lauréats que je viens de citer à se lever pour recevoir nos applaudissements, avec l’hommage de l’Académie et sa reconnaissance pour leur œuvre en faveur de la langue et des lettres françaises.