Discours prononcé le 7. Février 1689. par Mr. DE CALLIERES, lorfqu’il fut reçû à la place de feu Mr. Quinault.
MESSIEURS,
L’honneur que je reçois aujourd’huy excite en moi des paffions bien différentes, il me comble de joye de me voir admis dans une Compagnie auffi célébre que la voftre, & il me donne une jufte crainte de ne pouvoir remplir dignement tous les devoirs que vous m’impofez par un fi grand bien-fait.
Vous m’avez choifi pour fucceder à un Académicien illuftre par la beauté & la fécondité de fon genie, par le tour heureux & naturel de fes productions, par fa douceur, par fa politeffe & par fes autres bonnes qualitez perfonnelles qui vous le font juftement regretter.
Vous m’avez affocié aux premiers Hommes de l’Eftat, & aux plus fublimes génies de noftre fiecle ; & vous m’avez, pour ainfi dire, adopté dans la famille des Mufes, pour me faire part de leurs threfors, dont vous eftes les propriétaires légitimes & les Juftes difpenfateurs.
Comment pourray-je, MESSIEURS, vous tefmoigner toute la reconnoiffance que je vous dois pour des graces fi grandes & fi peu méritées ? Je n’en apperçois qu’un feul moyen qui eft de vous perfuader que j’en connois le prix.
Permettez-moy donc, MESSIEURS, pour fatisfaire en quelque forte à mes obligations, de rendre icy le tefmoignage qui eft deu au merite extraordinaire de voftre illuftre Compagnie, & de vous renouveller le fouvenir agreable des grandes utilitez que la France a tirées de fon inftitution.
L’Académie a efté inftituée pour perfectionner l’Eloquence & la Poëfie Françoife, en travaillant à la pureté & à l’élegance de noftre langue.
Avant fon eflabliffement le ftile de nos Peres tenoit encore de la rudeffe & du mauvais gouft des fiecles precedens ; les uns cherchant à s’exprimer dans le genre fublime, affectoient des difcours guindez & enflez par des figures outrées & par des termes tirez des langues mortes qui les jettoient dans l’obfcurité.
Les autres penfant égayer leur maniere de parler & d’efcrire, rempliffoient leurs difcours & leurs ouvrages de jeux de mots, d’équivoques, de proverbes, & d’autres puerilitez fort éloignées de l’éloquence majeftueufe des anciens Orateurs grecs & latins.
L’Académie a purgé l’Eloquence Françoife de ces deffauts différens qui regnent encore chez les Nations voifines, elle l’a formée fur le modele de ces grands originaux de l’antiquité, qui font la regle certaine du bon gouft & de la vraye éloquence, elle l’a reduite dans les bornes de la droite Raifon, dont il ne luy eft plus permis de fortir pour courir après les pointes, & pour fe parer du brillant de quelques fauffes penfées.
Elle l’a renduë fimple, naturelle, aifée, & cependant vive, noble & élevée dans fa fimplicité, & elle a enfin atteint ce point de jufteffe & de perfection, fi difficile à trouver dans ce bel Art, le plus utile & le plus excellent de tous les Arts, qui ayant pour but de plaire & de perfuader, difpofe à fon gré des cœurs & des volontez des hommes, qui les a tirez des forefts pour les faire vivre heureufement fous de juftes loix, qui après avoir fondé les Societez, les Villes & les Eftats, a poli leurs mœurs, a élevé leurs fentimens & leurs penfées, qui eft l’organe & l’interprete de la Raifon, & qui inftruit & perfectionne la Raifon mefme.
La Poëfie, encore plus élevée que l’Eloquence, doit aux excellens Ouvrages de plufieurs de vos celebres Académiciens, cette beauté, cette jufteffe, & cette perfection où nous la voyons aujourd’huy en France.
Il n’y a prefque point d’efpeces de Poëfie dont leurs Ouvrages ne foient de parfaits modeles, les uns ont porté la gloire du Theatre François au plus haut point où elle puiffe jamais monter ; les autres ont excellé dans la plus fine raillerie & dans le tour ingenieux des penfées, dans la delicateffe, la tendreffe & la naïveté des fentimens, dans la beauté & la vivacité des defcriptions ; & ces excellens Ouvrages font également élevez & folides, fcavans & polis.
La Poëfie a efté appellée par toute l’Antiquité, le langage des Dieux, pour faire connaiftre qu’elle a quelque chofe de divin ; elle éleve l’efprit, elle touche, elle efchauffe le cœur par fes enthoufiafmes : ces hommes faints animez de l’efprit de Dieu, & fur tout le Roy Prophete s’en eft fervi utilement pour nous annoncer les plus grandes veritez, & pour nous exciter à la Penitence par fon exemple.
L’Efprit de tenebres a emprunté les charmes de ce bel Art pour tromper les hommes plus efficacement par les Oracles qu’il attribuoit à leurs fauffes Divinitez, & les grandes actions des Heros fe font perpetuées dans la memoire des hommes par les excellens Poëtes qui les ont celebrées.
C’eft ce qui fit regretter à Alexandre le Grand de n’avoir pas un Homere pour immortalifer fa gloire, de mefme qu’Homere avoit immortalifé celle d’Achilles ; & c’eft ce qui donna à ce Maiftre de l’Univers une veneration fi parfaite pour les efcrits de ce grand Poëte, qu’il les portoit par tout avec luy dans cette riche caffette qu’il avoit trouvée parmy les defpouilles de Darius, difant qu’il ne pouvoit placer affez richement le plus precieux & le plus parfait ouvrage de l’efprit humain.
Le Cardinal de Richelieu, ce fublime Genie, qui a fait de fi grandes chofes pour la gloire de l’Eftat & pour fa propre gloire, a parfaitement connu l’importance & la neceffité de cultiver l’Éloquence & la Poëfie Françoife.
Il a creu à l’exemple du grand Alexandre qu’il ne fuffifoit pas de faire des actions dignes d’une éternelle memoire, s’il ne formoit des efprits capables de les faire paffer à la Pofterité, il a travaillé avec fuccez à former des Homeres & des Demofthenes, en créant l’Académie.
Vous eftes, MESSIEURS, les dignes fucceffeurs de ces grands Hommes, & vous rempliffez heureufement par vos différents talens l’attente de voftre Fondateur, ainfi que celle de ce fage Chancelier qui luy a fuccedé dans la protection de voftre Compagnie, & dont la memoire vous eft encore fi vive & fi precieufe.
Les Politiques ont judicieufement remarqué que les Eftats confervent d’ordinaire l’efprit de que ceux qui ont efté eftablis par des Conquerans ont continué aprés eux à eftendre leurs conqueftes ; vous juftifiez, MESSIEURS, la verité de cette maxime, vous avez non feulement hérité de l’efprit & des lumieres de ces deux excellens Miniftres qui ont efté les Inftituteurs de l’Académie, mais vous avez eftendu confiderablement fes limites.
Oui, MESSEURS, je le puis dire à voftre gloire, & les Manes de ces deux grands Hommes n’en feront point jaloux, ils n’ont veu l’Académie que dans fon enfance, ils luy ont appris, pour ainfi dire, à marcher dans le chemin de l’eloquence : mais les excellens ouvrages de plufieurs membres de voftre illuftre Corps ont affeuré fes pas, & luy ont acquis cette vigueur, cette force & cette grandeur qui ne fe trouve que dans l’âge parfait.
C’eft à cette perfection où vous l’avez élevée qu’elle doit le comble de la gloire dont elle jouït depuis que le plus grand des Rois l’a jugée digne de la loger dans fon propre Palais, & qu’il a joint à tous fes glorieux Titres celui de PR0TECTEUR DE L’ACADÉMIE FRANÇOISE.
Vous avez trouvé, MESSIEURS, en cet augufte Protecteur tout ce qui pouvoit exciter vos defirs & remplir vos plus ambitieufes efperances ; vous y avez trouvé un Monarque accompli qui vous donne une ample & illuftre matiere d’épuifer toutes les forces de l’Éloquence & de la Poëfie, pour raconter à la pofterité fes actions inimitables.
Heureux de pouvoir élever vos idées au plus haut point de perfection où elles puiffent jamais monter, en les formant fur un Prince donné du Ciel pour faire l’admiration & les delices de la terre ; un Prince tousjours victorieux, & tousjours moderé, tousjours clement, genereux & équitable, qui en s’élevant au deffus des autres Princes par fes héroïques vertus, a en mefme temps élevé & perfectionné toute la Nation Françoife, qui l’a renduë fi celebre non feulement dans la guerre par fes victoires fur-prenantes, mais encore dans les fciences & dans les beaux arts, où nos François par fes foins & par fes bienfaits excellent aujourd’hui fur toutes les Nations.
C’eft icy, MESSIEURS, qu’eftant animé par le fouvenir d’une approbation auffi glorieufe que celle que vous avez donnée à mon Panégyrique du Roy, je me fens excité à vous faire un nouveau crayon des vertus de ce Héros.
A vous peindre fa valeur femblable à un torrent impétueux qui entraifne, qui ravage, qui ravage, qui deftruit tout ce qui s’oppofe à fes efforts.
A vous reprefenter tous fes ennemis vaincus, les uns captifs ou foufmis, les autres effrayez & efperdus chercher follement leur falut dans l’inondation de leur propre païs, & ne le trouver que dans la clémence du vainqueur.
A vous le reprefenter avec un virage auffi tranquille & auffi ferain au milieu des plus grands périls & dans la chaleur de fes plus grandes victoires, que lorfqu’aprés fon retour de fes glorieufes campagnes il a receu les tefmoignages de voftre admiration & de voftre joye pour des fuccez fi furprenans.
A vous montrer cet Arbitre de la paix & de la guerre, preferant le plaifir d’eftre l’Auteur du bonheur public, à l’avantage de foufmettre tant de Nations intimidées par le bruit de fes exploits ; & à vous le nontrer enfin par cette preuve fi extraordinaire de fa modération, de mefme que par toutes fes autres vertus, le feul digne de donner des loix à toute la terre.
Que s’il vient de reprendre les armes, ce n’eft que pour reftablir le repos public que des efprits inquiets & jaloux de fa gloire ont troublé par de noirs artifices, par des deffeins injuftes, & par des entreprifes odieufes ; ils ne les ont pas pluftoft fait paroiftre, que fans fortir de la tranquillité dont il jouït, à l’ombre de fes lauriers, il leur a fait fentir la pefanteur de fa main.
Un HEROS NAISSANT animé de fon efprit & de fon courage prend au milieu de l’hyver les places les plus imprenables ; il foufmet en moins d’un mois de grandes & riches Provinces, & femblable à cette vive image que le Soleil imprime de luy-mefme dans la nuë, & qui fait paroiftre à nos yeux un fecond Soleil, il montre à la terre un autre Louis.
Un grand & vertueux Monarque eft oprimé par d’infames trahifons, & par la revolte defnaturée de fes propres enfans, le Roy lui tend les bras, il le reçoit avec toute la tendreffe d’un veritable & genereux frere, & il eft preft d’employer fa main tousjours victorieufe pour le relever.
Mais, MESSIEURS, puifque vous avez bien voulu me recevoir dans voftre illuftre Compagnie, je dois avant toutes chofes travailler à profiter de vos fçavantes inftructions & de voftre exemple, pour me rendre digne de publier avec vous les vertus de noftre Heros.
Quel bonheur pour moy de pouvoir deformais joindre ma voix à vos fçavans concerts, pour chanter les actions heroïques de L’AUGUSTE LOUIS ; mais quelle gloire pour vous d’eftre feurs d`immortalifer vos noms en éternifant le fien !
Vos excellens Ouvrages qui raconteront à la pofterité les merveilles de fon Regne, feront des titres authentiques de la politeffe dont la France jouït, & des beaux & feconds genies qu’elle a produits en ce fiecle fi efclairé, fiecle feul digne d’elle comparé au fiecle d’Augufte.
Je crois, MESSIEURS, que vous avouërez fans peine que c’eft à la protection que le Roy donne aux belles Lettres que la France a la premiere obligation de cette politeffe que vous répandez fur toute la Nation Françoife, de mefme que nous devons à fa fageffe, à fa valeur & à fon humeur bien-faifante toutes les profpritez, de l’Eftat.
Pour moy, MESSIEURS, qui ay tant de raifons de m’inteteffer en voftre gloire, je publieray tousjours avec autant de joye que de foufmiffion, que c’eft à voftre feule generofité que je dois le choix dont vous m’avez honoré ; & que quelques tefmoignages que je puiffe jamais vous donner de ma reconnoiffance, ils feront tousjours au deffous du prix & de la grandeur de voftre bienfait.