Il existe en français plusieurs mots désignant un groupe de deux personnes, de deux animaux ou de deux objets, comme duo, dyade, double, etc., mais les plus en usage sont sans doute paire et couple, ainsi que leurs dérivés. Ils sont suffisamment proches pour qu’on les rencontre souvent ensemble, l’un servant à compléter l’autre. On lit ainsi dans Dominique, d’Eugène Fromentin : « Les bœufs rentraient du labour, […] accouplés par deux ou trois paires. » Mais il existe de l’un à l’autre des nuances dont l’abbé Girard a bien rendu compte dans La Justesse de la langue françoise, ou les différentes significations des mots qui passent pour synonymes (1718). Il y écrit en effet : « Une couple désignant deux choses qui ne sont unies qu’accidentellement, paire désigne deux choses qui vont ensemble par une nécessité d’usage, comme les bas, les souliers, ou une seule chose composée de deux parties ou pièces, comme des ciseaux, des lunettes, des pincettes. Une couple et une paire peuvent se dire aussi des animaux, mais la couple ne marque que le nombre et la paire y ajoute l’idée d’une association nécessaire pour une fin particulière. Un boucher achètera une couple de bœufs, c’est-à-dire deux. Un laboureur doit dire qu’il en achètera une paire, parce qu’il veut les atteler à la même charrue. » La remarque de l’abbé Girard conserve toute sa pertinence, à ceci près qu’aujourd’hui couple s’emploie essentiellement au masculin. Si ce nom conserve les sens énoncés plus haut, il désigne cependant en particulier deux êtres humains, unis par l’amour, par le mariage, et, par extension, deux animaux de sexe opposé.
Le féminin, lui, n’est plus guère en usage. La couple, c’est, en vènerie, la laisse avec laquelle on attache ensemble deux chiens de chasse, mais c’est surtout un groupe de deux animaux mis ou considérés ensemble, généralement pour être mangés, comme une couple de chapons. On disait aussi, par analogie une couple de serviettes ou je reviendrai dans une couple d’heures (notons que si l’on entend parfois aujourd’hui une paire d’heures en ce sens, cette locution désignait jadis, comme en témoignent les 2e, 3e, 4e, 5e et 6e éditions du Dictionnaire de l’Académie française, un livre d’heures).
L’opposition entre appariement accidentel et appariement nécessaire reste essentielle, aussi n’emploie-t-on pas la couple, ni d’ailleurs le couple, pour des choses qui vont obligatoirement ensemble : on ne dit, comme l’a souligné l’abbé Girard, ni un couple ou une couple de souliers, ni un couple ou une couple de gants, mais une paire de souliers, une paire de gants. Rappelons aussi que pour parler d’un attelage tirant une charrue, c’est ordinairement paire de bœufs qui s’utilise, quand bien même on trouve parfois un couple de bœufs. Et ce sont d’ailleurs là les emplois les plus courants de paire bien que, par extension, ce mot puisse s’employer avec des noms de personnes qui aiment à se fréquenter, comme dans une paire d’amis ou une paire de filous, locutions dans lesquelles l’emploi de paire souligne la grande complicité liant les deux personnages.
L’étymologie peut, elle aussi, nous aider à saisir la différence entre ces deux termes : paire est issu du latin paria, neutre pluriel, confondu avec un féminin singulier, de l’adjectif par, paris, « égal ». De paire est dérivé apparier, qui signifie à la fois « assortir par paires, joindre ce qui peut aller ensemble » (apparier des chevaux de trait, apparier des gants) et « faire des couples d’animaux, mâle et femelle » (apparier des tourterelles). C’est également de paire qu’est tiré, indirectement, le nom pariade, qui désigne le rapprochement par paire, chez certains oiseaux monogames, notamment les canards et les perdrix, en vue de l’accouplement et cet accouplement lui-même.
Couple, lui, est issu du latin classique copula, « lien, chaîne », « groupe de deux personnes », puis « paire », qui est lui-même composé à partir de cum, « avec », et apere, « lier, attacher », dont le participe passé, aptus, a pris le sens de « bien attaché à », puis « apte, adapté ».
Ceci nous amène à un dérivé de couple, accoupler, qui peut signifier « unir de façon à former une ou plusieurs paires ; joindre ensemble » ; on pourra donc dire accoupler des bœufs et, par extension, accoupler des mots d’après leur sonorité, mais il faut bien noter que dans ces cas l’usage préfère apparier. Accoupler s’emploie surtout au sens de « mettre en présence un mâle et une femelle d’une espèce animale en vue de la reproduction ».
Le dérivé accouplement a ces deux mêmes grands sens avec, là encore, une moindre fréquence pour l’assemblage par couple (un accouplement de bœufs pour tirer la charrue), que pour l’union du mâle et de la femelle chez les animaux. En ce dernier sens, accouplement est un synonyme de copulation, mot emprunté du latin copulatio, « association, assemblage », un dérivé de copulare, « lier, réunir » (signalons d’ailleurs que le participe passé substantivé latin copulatum désignait un mot composé). De copulare nous avons emprunté copuler, synonyme savant de la forme courante s’accoupler.
Du latin classique copula, « liaison, lien, union » et, en latin chrétien, « lien moral, union dans le mariage », le français a tiré un doublet : la forme populaire couple, et la forme savante, copule, un nom qui, en grammaire française, désigne à la fois le verbe liant le prédicat au sujet (dans : « Ils sont heureux », « sont » est la copule) et, parfois, la conjonction de coordination et.
Nous avons commencé cet article par un extrait de Dominique. Donnons pour conclure la parole à Marcel Aymé qui, dans un extrait de Les Bœufs, un des Contes du chat perché, illustre joliment par l’exemple le sens du nom paire, que le Dictionnaire de l’Académie française définit comme « un couple d’animaux de la même espèce, que l’on vend ensemble ou qui travaillent ensemble » :
« Dans l’étable, […] il y avait deux bœufs de la même taille et du même âge, l’un tacheté de roux, l’autre blanc et sans tache. Les bœufs sont comme les souliers, ils vont presque toujours par deux. C’est pourquoi l’on dit une paire de bœufs. »